Chapitre 4

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J’avais mis neuf mois à écrire « Seins au formol ». Un tapuscrit de 497 pages, inspiré par les 17 moulages de seins gauches que comptait ma collection.

L’histoire d’une tueuse en série qui séduisait des femmes, les emmenait au lit et, après l’acte, les poignardait, découpait leur sein gauche et le plaçait dans un bocal rempli de formol sur lequel elle avait écrit au feutre rouge, le nom de la victime et la date de sa mort. La commissaire Frida Charlier, victime d’une fracture du talon, avait dû passer l’enquête à son collègue Louis Lefer dit ‘’Danton’’ qui n’avait pas tardé à arrêter Nikki, laquelle jugée et condamnée à deux fois la perpétuité pour les 26 crimes barbares qu’elle avait commis, ne cessait de clamer son innocence et par deux fois, avait tenté de se suicider. Rétablie, la commissaire Charlier, s’est rendu compte de quelques lacunes dans la procédure. Elle reprend le dossier le potasse à fond, et finit par se demander si on n’avait pas laissé courir la véritable coupable. Alors, elle va trouver Nikki dans sa cellule et, entre elles deux, c’est le coup de foudre. La jeune femme lui avoue en pleurant qu’elle est innocente. Frida la croit et lui jure de reprendre toute l’enquête, et elle aura raison. En effet, la véritable coupable est arrêtée et condamnée. Nikki a été libérée, Frida a donné sa démission et toutes les deux sont parties filer le parfait amour aux îles Marquises.

Pour pouvoir l’écrire sereinement et disposer de tout mon temps, j’avais demandé une disponibilité d’un an. Mon poste au Conseil Départemental, où j’étais attaché au patrimoine des Alpes Maritimes, absorbait beaucoup de mon temps, et j’avais dû entamer pas mal d’heures de sommeil, et sacrifier de nombreux jours de congés pour parvenir à écrire mes sept romans précédents dans des délais raisonnables (six ou sept mois en général), je pressentais que celui-ci requerrait une attention particulière, incompatible avec ma trop lourde fonction. D’autant que mes moyens financiers, me le permettaient largement.

Nice étant une ville trop tentatrice pour moi, j’avais décidé de m’exiler 60 kilomètres plus loin, dans le village de Puget, au tout fin fond du département, où Maïa et moi possédions une grande maison avec un beau jardin et, tout au bout, un four dans lequel la sculptrice de mon cœur faisait cuire ses œuvres, tandis que son neveu s’en allait gambader à travers champs avec son cocker noir et blanc baptisé Rodin.

Antoine Léchin, mon grand-père maternel, l’avait achetée pour y couler une retraite paisible, auprès de ma grand—mère Rita et, certains weekends, de ses deux filles chéries : Maïa et Stéphanie, et de ses petits-enfants, quand il en aurait eus.

C’était un homme doux, fin, cultivé, plein d’humour, et d’une grande largesse d’esprit. Libéral et féministe jusqu’à la pointe des ongles, il avait soutenu leur cause, lors de l’appel des 343 salopes en 71, trois ans après avoir applaudi mai 68, qui avait mis fin à une longue époque rigide et amidonnée, à une glaciation des mentalités, où les femmes faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour affirmer leur identité dans la société, avant qu’elle ne les dévore. Il était également un grand lecteur devant l’éternel, d’hebdomadaires satyriques bêtes et méchants.

Rita, ma grand—mère, petite femme divinement belle et jouant admirablement du piano, était tout le contraire de lui : sèche, intransigeante, sévère et intraitable. Elle n’a pas pu en profiter longtemps de cette maison, dont elle aimait s’occuper du jardin entre une Polonaise de Chopin, et une sonate de Brahms. Dix-huit mois plus tard, un cancer foudroyant, l’a emportée.

Maïa, qui m’a toujours parlé sans fard et sans ambages, m’a raconté que son chagrin de veuf, n’avait duré que le temps de la convenance et, qu’aussitôt après, il s’était plus ou moins mis en ménage avec Marie Jeanne, une divorcée de vingt ans de moins, qui n’avait ni la beauté, ni le don artistique de Rita, mais possédait un caractère d’ange qui comblait largement ces carences.

Les deux prunelles de ses yeux, (et son petit-fils) venaient régulièrement lui rendre visite. (Papa n’aimait pas Puget et prétextait toujours des dossiers à traiter). Parfois, lorsque mes parents voulaient se retrouver seuls en amoureux, Maïa m’emmenait avec elle, pour la plus grande joie de papy Antoine qui, toujours selon elle, était le plus doué pour me faire manger les petits plats, me faire faire le rototo et me coucher, sans que je pousse le moindre hurlement. Il paraît également, à en croire toujours ma marraine adorée, que je m’endormais toujours dans les bras de Marie Jeanne, qui possédait une belle et opulente poitrine. (Maïa, soit dit en passant, en possède une tout aussi confortable…).

Il est mort dans le jardin de la maison, une belle journée d’octobre, dix mois après l’accident qui a coûté la vie à mes parents.

Lorsqu’il a appris la tragédie à la télévision, il a appelé sa fille aînée pour lui dire qu’il ne pourrait survivre longtemps à ce coup immonde du destin, qui venait de lui arracher une partie de son cœur.

« Maïa, ma chérie, je n’aurai pas le courage de Victor Hugo, qui a pu survivre quarante et un an de plus que sa jeune et tendre Didi. Moi, le sort m’a arraché la moitié de mon cœur. Est-ce qu’un homme peut vivre ainsi estropié ?

Ensuite il a fait une attaque qui lui a paralysé tout le côté gauche.

Il est enterré au cimetière du village, et je n’ai jamais manqué de me recueillir sur sa tombe, chaque fois que j’y séjournais.

« Et tu comptes rester là-bas jusqu’à ce que tu l’aies terminé ? »

Je l’ai prise dans mes bras, j’ai planté mes yeux marron foncé dans ses beaux yeux vert intense :

« Crois-tu que je serais capable de rester tout ce temps sans te voir, te caresser, t’embrasser ? Ah ! Si tu venais avec moi, ce serait le paradis.

— Tu sais bien que je trouve l’air trop humide.

— Je te réchaufferai, marraine de mon cœur.

— Et ton roman s’écrira tout seul !

— Alors je reviendrai deux jours par semaine, ma tentatrice adorée.

— Sauf si tu fais la connaissance d’une jolie femme, plus fraîche et moins flétrie que moi, et qui ne t’empêchera pas de franchir la ligne jaune.

— Il faut que je sois sérieux, Maïa chérie. Abstinence, abstinence, hélas. Et puis là-bas, tout ce que Puget compte de jolies femmes, elles sont toutes mariées et mère de famille. Et tu me connais, je suis un homme respectueux. »

Solen a été l’exception. Au début, j’avais cru que l’homme qui tenait avec elle la boutique d’objets artisanaux, était son mari, ou son compagnon, ou tout autre homme qui partageait sa vie. Or, ce n’était que son frère, et ils vivaient tous les deux dans une grande bâtisse à sept kilomètres de Puget dans la direction du col Saint Raphaël.

Elle avait quitté mari et fille sur un coup de tête et celui-ci en avait profité pour faire valoir ses droits pour la garde de l’enfant.

« C’était un imbécile qui faisait mal l’amour. Je m’en suis rendu compte trop tard. J’étais enceinte. Je me suis dit que si c’était un garçon je resterais, quitte à prendre des amants ; par contre, si c’était une fille, je partirais refaire ma vie. »

Elle a fait une moue de déception et plongé son regard dans son verre de rosé aux trois quarts vide :

« Petites, elles ne veulent que leur père. Grandes, elles deviennent vachardes avec leur mère ; et quand la pauvre commence à sucrer les fraises, elles deviennent leur maman. »

Elle disait cela, mais elle trépignait de joie, lorsqu’elle savait que sa Mathilde chérie venait passer quelques jours avec elle.

Quand je lui ai proposé de venir vivre à la maison, elle m’a dit :

« Anicet je t’aime et je ne voudrais pas te perdre. J’adore tes livres, et ce sein en argile que je te vois tripoter lorsque tu écris (J’avais emporté celui d’Aurélie, le plus beau, avant que je ne reçoive celui de la mystérieuse Roxane…) ne me donne pas envie de le briser en mille morceaux comme le ferait une femme jalouse et possessive. Mais j’aime ma liberté avant tout. Je te l’ai déjà dit : j’ai été mariée pendant six ans avec un crétin, ça m’a donné une bonne leçon.

— Je ne te demande pas le mariage, Solen. Moi aussi je le fuis comme la peste, mais… »

Elle m’a interrompu :

« Non, mon amour. Chacun chez soi.

— Je le sais. Si tu ne m’avais pas interrompu, tu aurais entendu que je ne te proposais cela que le temps que tu trouves un logement. Moi aussi je suis un farouche partisan du chacun chez soi. »

Elle préférait rentrer chez son frère, lorsque elle avait estimé que deux jours de vie commune c’était trop.

Dans le fond, cela ne me déplaisait pas du tout. Au contraire. J’en profitais pour écrire sans relâche pendant son absence. Lorsqu’elle était là, j’étais trop absorbé par la blondeur de ses cheveux coupés au bol, par ses yeux gris, ses petites taches de rousseur sur son nez légèrement retroussé, par sa bouche ronde et ses lèvres diaphanes, par ses seins en poire fermement implantés, par son corps aux courbes sensuelles et sa peau veloutée. L’amour que nous faisions n’était jamais banal. Nous inventions à chaque fois de nouvelles positions qui s’achevaient, une fois nos sens apaisés, par des séances de fou rire. Nous parcourions les routes de ce coin du département, à pied ou en voiture, nous faisions des incursions dans le 04 et, lorsque le crépuscule nous surprenait, nous trouvions toujours un petit hôtel, ou en petit gîte pour y passer la nuit.

« Où en es-tu de ton roman ?

— Au diable mon roman. C’est toi que je veux écrire. Matin, midi et soir.

— Je ne suis pas de la bonne littérature.

— Quelle importance ? Tu es mon livre de chevet.

— Serais tu en train de tomber amoureux de moi ?

— Un tout petit peu. Juste ce qu’il faut pour me donner envie de te revoir encore. Et toi ?

— Moi aussi.

— Alors tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. »

Parfois, au milieu d’une phrase, je m’arrêtais et je pensais à nous une fois que j’aurais fini le livre. Je ne me voyais pas m’installer définitivement à Puget, je ne la voyais pas, vendant son commerce pour s’installer à Nice. Pour quoi faire, d’ailleurs ? Lorsqu’elle vivait encore avec son mari, dont j’ai toujours ignoré le prénom, elle travaillait dans une banque en tant que chargée d’affaires professionnelles. L’un de ses clients, avait une boutique dans la vielle ville qui proposait des babioles manufacturées : colliers, bracelets, boucles d’oreille et autres affûtiaux. Elle lui a parlé de son frère, très doué pour ce type de créations. Deux semaines plus tard, elle partait avec lui. Tout d’abord pour un long voyage autour du monde, qui sonna le glas de leur liaison. Ils sont restés associés et lorsqu’elle a eu suffisamment de quoi avoir sa propre boutique, elle l’a quitté pour venir s’installer à Puget où son frère louait cette bâtisse, non loin de là.

Je ne voyais pas comment nous projeter elle et moi, et mes doigts restaient suspendus au-dessus du clavier. Une petite voix à l’intérieur de moi me disait : « Ecris, au lieu de rêvasser. ». Alors, je prenais le sein de la semaine, je le caressais et mes personnages et mon intrigue reprenaient le devant de la scène.

« Je me trompe, ou ce moulage est différent de celui de la dernière fois ?

— Tu ne te trompes pas du tout, Solen.

— Et à qui appartient-il… Si ce n’est pas indiscret ?

— A Solange.

— ‘’Un ange nommé Solange’’.

— Oui. Mais savais-tu qu’avant, c’était une nouvelle ? » J’ai haussé les épaules : « Comme je ne suis pas doué pour ce genre littéraire, Ludwig, qui aimait l’histoire, m’a conseillé de la transformer en roman. »

Elle a acquiescé :

« Ludwig, c’est ton éditeur ?

— Mais aussi mon meilleur ami. Mon presque frère. Nous nous connaissons depuis nos sept ans. »

Elle a soupesé le sein, puis l’a reposé sur mon bureau.

« Et tu en as combien ?

— Dix-sept.

— Tu comptes t’arrêter un jour ? »

J’ai mis mes mains autour de sa taille, je l’ai attirée à moi et, mes lèvres contre les siennes je lui ai dit :

« Après le tien. »

Elle a accepté mon baiser, puis :

« Et si je décidais de ne plus te le donner ?

— Nous allons voir ça. »

Je l’ai entraînée dans la chambre.

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