Chapitre 5

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 Quand j’ai remis le manuscrit à Ludwig (il avait repris à 24 ans la maison de son père, qui lui avait passé la main) il a été emballé mais il le trouvait un peu trop long, malgré une intrigue soutenue et haletante, et voulait que je procède à quelques recoupes.

« Que nenni, frérot. Je te propose une autre solution qui va décupler les ventes.

— Laquelle ?

— Tu l’édites en deux tomes. Le premier : l’enquête. Nikki est arrêtée. Le second : la contre-enquête. Tracy est arrêtée, Nikki et Frida s’en vont à Tahiti. Les deux parties ont quasiment la même longueur. Eventuellement je peux retrancher quelques bribes d’un tome, et quelques autres bribes de l’autre. »

Assis derrière son bureau directorial, Il m’a fixé longuement de ses yeux gris, a hoché la tête de droite et de gauche, puis il s’est levé d’un bond, m’a serré très fort dans ses bras, m’a couvert de bises, m’a décoiffé, m’a donné je ne sais combien de tapes sur l’épaule et a hurlé :

« T’es un génie, frérot. On arrose cela !

La sortie du premier tome, avait fait un véritable tabac. Il s’en était vendu en deux mois autant que n’importe quel autre de mes romans en un an. Deux maisons d’édition, l’une Italienne, l’autre Espagnole, venaient d’acquérir les droits pour la traduction du volume et celui à paraître. Radios et télévisions Francophones, voulaient m’avoir dans leurs studios, sur leurs plateaux. La gloire et le succès m’étaient tombés dessus sans que je m’y attende (Auparavant, je n’intéressais que quelques radios locales, ou des émissions télévisées, diffusées à des heures tardives.) De plus, ces énormes tirages, avaient incité Ludwig à rééditer mes livres précédents, qui ont ainsi connu une deuxième vie et une grande renommée.

Cette médiatisation soudaine, m’avait fait sortir de l’ombre, et de ce fait, personne n’ignorait plus qu’Anicet Lepervier était Alex Cantié (pseudonyme formé par mon deuxième prénom : Alexandre, et l’une des sept cent vingt anagrammes d’Anicet)

Le généreux chèque d’avance que j’avais reçu, les ventes record dès sa sortie en librairie, les contrats de traduction dans les langues de Dante et de Cervantès, traduits en euros, avaient considérablement alourdi mon compte en banque. Si j’ajoutais à cela, l’héritage légué par papa et maman, qui se composait de l’appartement que j’habitais rue de Maupassant, plus la villa où j’étais né, dans le quartier de Cimiez ; ainsi que les propriétés à Nantes et l’île d’Yeu de papi et mamie Lepervier, et enfin la maison de Puget, me permettaient de poser ma casquette d’attaché départemental sur la patère de l’oubli, et coiffer celle du « full time writer ». Alors, deux mois avant l’expiration de mon congé sans solde, je suis allé remettre ma démission au directeur des ressources humaines, lequel regrettait cette brutale décision et me proposait l’allongement pour douze mois encore de ma disponibilité.

D’un ton paternaliste et tout empreint de pessimisme, il m’a mis en garde, contre les aléas du succès et de la célébrité. Combien d’écrivains avaient connu la gloire à la suite d’un roman, et puis, plus rien ? Combien d’acteurs, après un premier rôle d’anthologie, ont dû se contenter par la suite de figurations de deuxième voire de troisième plan ? (Sans parler de celles et ceux morts dans l’oubli, la misère et la déchéance physique)

« Ecrire c’est oser, monsieur Roux. Poésie, théâtre, contes, nouvelles et enfin, romans. Depuis l’âge de seize ans je n’ai fait que cela.

— Et vous êtes tout de même allé au lycée et à l’université. Gardez vous une chance, Lepervier ; ou plutôt : gardez nous une chance. Nous n’aimerions pas vous perdre. »

Il m’a regardé droit dans les yeux, puis :

« Réfléchissez. Passez me revoir dans une semaine. J’accepterai votre choix. »

Etienne, que j’avais invité à dîner, avec sa femme (plus décolletée que jamais), était de mon avis. Cela ne m’étonnait pas. Etant mon plus proche collaborateur, il avait hâte de prendre ma place.

Maïa, elle, partageait ma décision. Elle penchait du côté des Giono et Sartre qui avaient quitté leurs métiers respectifs que de celui des Giraudoux et Claudel qui avaient gardé le leur.

Solen, me poussait carrément à écrire ma lettre de démission et la poster en recommandée.

« Mon directeur d’agence était comme monsieur Roux. Il ne voulait pas me larguer. Il faut dire qu’il me faisait de sacrées avances.

J’ai fini par retourner voir mon DRH, la semaine suivante, pour lui annoncer que ma décision de démissionner était irrévocable.

Une fois les formalités achevées, j’ai emmené Solen pendant dix jours au Portugal. Entre tourisme, restauration, bains de mer et horizontalités prolongées, ils ont filé à toute allure. A notre retour, nous étions plus amoureux que jamais et, contrairement à ce qu’elle n’avait cessé de marteler, le désir que nous vivions ensemble plus que trois jours d’affilé, avait commencé à germer dans sa tête.

« Sans toi, mes journées sont grises, et mes nuits sont blanches. »

Je le pensais aussi. Notre couple s’ancrait de plus en plus dans ma tête et dans mon cœur. Aucun point de discorde entre nous. Nous étions au diapason sur tout. Nos relations et nos amis nous enviaient. Nos familles nous appréciaient. Maïa n’arrêtait pas de me chanter ses louanges.

« Elle est belle, drôle, intelligente. Et tu as vu comme elle m’aime ? Et comme Mathilde semble s’attacher à moi ? »

Adorable marraine qui espérait en silence que je lui donne un ou deux petits enfants !

Mais, comme avec Aurélie, je repoussais la décision, je temporisais. Je me sentais comme le baigneur qui, face à la mer hésite entre plonger ou retourner bronzer sur les galets car il la trouve encore trop froide à son goût. Et pourtant, lorsqu’il s’éloigne, il n’a qu’une envie : celle de courir et de se jeter dedans.

Je ne savais plus quoi lui répondre. Elle me répétait que vivre ensemble ne voulait pas dire s’engager et tout le tralala. Idée que je ne partageais pas du tout. Je tenais des Lepervier la tradition du mariage, des enfants, de la famille, et j’étais intimement convaincu que si mes parents n’étaient pas morts, j’aurais probablement des frères et des sœurs, et nous serions tous mariés et pères et mères de famille. Papi et mamie ne cessaient de me le répéter et, sur le lit de mort (je les ai perdus à un an d’intervalle) ils m’ont fait promettre de faire un beau mariage et d’avoir des enfants.

« Comme tu es rétrograde, mon chéri. Tu n’as jamais entendu parler d’union libre ?

— La liberté en amour, n’existe pas. Dès qu’on a franchi la porte commune, on devient redevables l’un de l’autre. Faire des concessions et rendre des comptes deviennent la règle.

— Parce que tu n’en faisais pas dans ton travail ?

— Trop, justement, pour ne pas devoir en faire, en plus, dans ma vie privée.

— Si c’est comme ça que tu entrevois la vie commune, c’est que tu ne m’aimes pas assez. Alors, autant rompre tout de suite.

— C’est toi qui ne m’aimes pas assez. Comme si ça changeait quelque chose de vivre ou ne pas vivre ensemble.

— Ça change tout, Anicet. »

Je haussais les épaules et je me taisais. Alors elle se mettait à pleurer. Je la prenais dans mes bras, elle refusait mes étreintes. Parfois elle allait s’enfermer à clé dans la chambre ; d’autres fois, elle prenait ses affaires et rentrait chez elle. Et moi je tournais en rond dans l’appartement en pestant :

« Pourquoi s’est-elle mis cela en tête ? Quelle mouche l’a piquée ? Nous n’étions pas bien comme ça ? Chacun chez soi. Gérard Oury et Michèle Morgan n’ont jamais vécu ensemble ; et pourtant, ils ont été l’un des couples les plus unis du cinéma. »

Et Dieu sait si elle commençait à prendre une place de plus en plus grande dans ma vie. Ma maison de Puget, mon appartement de Nice, et même les rues par où nous étions passés, étaient imprégnées de son parfum et de son odeur. Le moulage de son sein ne quittait plus mon bureau, et les nuits où elle ne dormait pas avec moi, je le posais sur ma table de chevet. Toutes les occasions m’étaient bonnes pour lui envoyer des fleurs (elle adorait les tulipes bi colore jaunes et rouges) par l’intermédiaire de Roxane, ma Vénus de fleuriste. Mais je ne pouvais me résoudre à cette vie commune qu’elle me réclamait.

Décidément, ce retour du Portugal, ne m’avait pas plu du tout, et j’eusse préféré que nous fussions un peu moins amoureux l’un de l’autre.

Notre ciel était très souvent couvert. Nos prises de bec se multipliaient, nous faisions l’amour de moins en moins, et de plus en plus mal ; mais dès que nous nous retrouvions l’un sans l’autre, c’étaient des coups de fil à n’en plus finir. Des « Pardons » et des « Je t’aime » à profusion.

Un soir nous avons eu une longue dispute et le lendemain, je devais partir à Paris pour participer à une émission littéraire en prime time. Il était question de la prochaine sortie du second tome de « Seins au formol ». Des grands noms du polar étaient invités également et je me sentais tout petit par rapport à elles et eux. Solen avait promis de m’accompagner, mais après cette dernière brouille, et malgré que nous nous fussions réconciliés, elle a refusé. Tout s’est très bien déroulé pour moi, et une grande dame du roman policier a même accepté de venir boire un dernier verre avec moi (en tout bien tout honneur !). De retour chez Ludwig, (C’est lui qui m’hébergeait chaque fois que je montais à Paris, pour le plus grand plaisir de ses filles Elodie, ma filleule, et Cindy, sa petite sœur), je l’ai appelée une énième fois, en espérant que, cette fois ci, elle daigne me répondre. (Toutes les fois précédentes, j’avais eu son répondeur qui me proposait de lui laisser un message, et j’avais attribué cela au fait qu’elle me boudait). Mais j’ai fait chou blanc derechef et j’ai commencé à m’inquiéter, d’autant que Maïa n’avait pas eu de ses nouvelles non plus. En désespoir de cause, j’ai appelé Tom, son frère. Il était une heure du matin et j’avais eu scrupule à le tirer de son sommeil (Il avait l’habitude de se coucher tôt). Il m’a annoncé la mort brutale de son ex beau-frère à Valence où il résidait avec Mathilde. Ils avaient dû monter précipitamment et il s’étonnait qu’elle ne m’eût rien dit.

Le lendemain, j’avais troqué mon billet d’avion pour Nice, contre un billet en TGV pour Valence.

J’ai assisté aux funérailles. Elle était grave, et ses larmes de circonstance. Tom indifférent. Seule Mathilde pleurait son père. Je me sentais de trop. Je suis resté trois jours et trois nuits. Elle m’avait promis de redescendre dès qu’elle aurait du temps, pour s’occuper de la vente du magasin. Sur le quai de la gare nous avons pleuré la mort de notre belle histoire. Ses larmes étaient sincères, les miennes aussi. C’est son frère qui a liquidé son affaire à Puget.

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