Le clapotis de la pluie diluvienne rythmait l'ambiance de la bibliothèque. Le silence était d'ordre et les étudiants étaient généralement plutôt respectueux. Cela était dû au fait qu'une partie des élèves du lycée n'y mettaient pas les pieds. Sinon croyez bien que l'atmosphère serait différente et on ne pourrait plus appeler cet endroit une bibliothèque. Les cheveux relevés en queue de cheval, un long pull noir, un jean du même coloris et des bottes marrons, Alex épluchait les bestiaires de toutes sortes.

Cette fille lisait déjà énormément indépendamment du programme, le reste du temps elle le passait à dévorer ce genre d'ouvrages. Elle avait une fascination profonde pour tout ce qui relevait de l'imaginaire. Elle arrivait tous les matins à 8h pile pour l'ouverture et repartait à la fermeture, aux alentours de 19h. certains s'étonnèrent de ne pas la voir aussi le samedi, la bibliothèque restait ouverte pour les lycéens qui n'avaient pas la possibilité d'étudier chez eux dans de bonnes conditions, mais Alex ne pouvait pas, elle guidait des touristes en randonnée dans les montagnes toute la journée du samedi. Ses parents étaient eux-mêmes guides montagnards depuis leur arrivée dans la région, il y a une vingtaine d'années. Leur affaire marchait plutôt bien, jusqu'à il y a cinq ans environ. Des vagues de disparitions, de meurtres ou d 'attaques avaient envahi le coin, le vidant d'une bonne partie de ses touristes. L'aide d'Alex permettait d'éviter à Mr et Mme Carberry d'embaucher et d'ainsi mettre la clef sous la porte.

Peu de personnes s'intéressaient à Alex en réalité. Si elle avait une micro réputation de fan de créatures, c'était depuis les exploits de Stan qui n'avait rien trouvé de mieux à faire que de scruter un jour ce qu'elle lisait dans la cour et de se moquer d'elle devant tout le monde. À l'époque, elle était en troisième, depuis elle s'était endurcie mais restait néanmoins quelqu'un de sensible. Elle avait peu d'amis, sauf Jason et Lena. Jason était dans l'équipe de football mais toujours comme remplaçant. Il n'avait jamais été sur le terrain. Pourtant l'équipe y gagnerait, costaud, rapide et intelligent il avait tout d'un champion mais il n'était pas sur la ligne de la mentalité du lycéen type de l'équipe de sport. Les autres le snobaient d'autant plus qu'il plaisait aux filles. Le mettre sur la touche était leur seule défense. La menace n'était pas importante, car si Jason était Don Juan, il avait une règle, il ne touchait pas aux copines des autres, à moins qu'elles n'aient rompu avec leur copain.

Quant à Lena, elle est typique de la première de la classe. Elle et Alex s'étaient rapidement entendues car Lena savait qu' Alex était bosseuse et ne pouvait se permettre de travailler avec des personnes qui ne visaient pas l'excellence. Elle n'était pas une bombe sans être non plus d'être le cliché de la binoclarde plongée dans ses bouquins. Elle cultivait un certain charisme auquel plusieurs garçons ne furent pas insensibles, mais elle déclinait systématiquement leurs avances. Roy l'avait assez mal pris. Joueur de l'équipe assez populaire il n'avait pas l'habitude de se prendre un râteau. Et quel râteau ! Lena était l'incarnation sinon le sarcasme lui-même. Elle l'avait humilié devant tout le monde. Depuis c'était elle aussi une paria comme Jason. Les trois étudiants s'étaient ainsi bien trouvés.

Qui se ressemble s'assemble disait souvent Jacky, la miss populaire du bahut. Elle représentait les stéréotypes de la reine du lycée. Grande, mince, cheveux blonds bouclés, maquillage régulièrement refait, bouche pulpeuse, mains parfaitement manucurées, vêtements de créateur. Tout la clique des « populaires » sortait du même milieu et fréquentait les mêmes cercles. Tout ce petit monde fonctionnait avec son équilibre, jusqu'au jour où Alex partit trop loin dans ses recherches.

C'était un soir, elle restait comme à son habitude jusqu'à la fermeture. Ses doigts parcouraient les nouveautés de la bibliothèque dans un grand bac. Les livres n'avaient pas encore été mis en rayon mais la documentaliste l'autorisa à regarder et même emprunter si elle le désirait. Elle tomba sur un livre à la couverture gris charbon, il semblait ancien, bien restauré mais usé malgré tout. Pour seul titre sur le dos Mort. Intriguée, Alex partit s'installer à une table pour parcourir les premières pages avant la dernière sonnerie dans dix minutes.

Ce livre apparaissait comme un manuscrit très ancien et unique. L'écriture était à l'encre. Elle pouvait sentir sous le bout de ses doigts les marques de la plume. Le papier n'était pas non plus de l'époque actuelle. Peut-être du vélin, Alex n'en était pas sûre. Cela lui suffit pour l'amener à choisir ce livre et à l'embarquer chez elle. Elle adorait les vieux livres encore plus que le reste. C'était comme accéder à un monde ancien, un monde disparu qui a néanmoins laissé quelques artefacts à disposition des hommes d'aujourd'hui. Elle tendit l'ouvrage à la documentaliste Mme Macos qui la toisa d'un drôle d'air derrière ses lunettes écaille.

— Ce livre n'est pas à nous, d'où le sortez-vous ?

— Il était dans le bac avec les nouveautés. Répondit Alex perplexe

— Il y a erreur, je ne sais pas comment il est arrivé là-dedans mais s'il vous intéresse, vous n'avez qu'à le garder.

Alex avait de la chance de tomber sur une des rares documentalistes qui n'auraient pas dû l'être. Elle n'était guère férue de livres. Elle avait pris le poste uniquement pour la tranquillité et la sécurité de l'emploi, elle l'avait elle-même admis au détour d'une conversation que surprit Alex entre Mme Macos et ses collègues. Alex repartit ravie, le livre sous le bras. Avant de sortir du lycée, elle aperçut que la pluie n'avait cessé de tomber. Elle glissa délicatement le livre sans son sac à dos qu'elle ferma avec soin. Pas question de l'abimer. C'était certain, c'était un exemplaire unique et elle avait bien l'intention de grappiller le moindre savoir qu'il recelait.

Arrivée chez elle après dix minutes en voiture, elle retira avec empressement son anorak, et parti vider son sac dans sa chambre. Ses parents n'étaient pas encore rentrés, c'était jour de courses. Alex veilla à ce que Luis, son chien eut assez à manger et à boire, lui fit quelques câlins puis partis feuilleter les premières pages de l'ouvrage qu'elle avait déniché en s'affalant sur son lit. A peine ouvert, elle tomba sur une note étrange. C'était un post-it jeune accroché à l'intérieur à la première page sur lequel il était inscrit « Quiconque tombe sur ce livre verra ses jours comptés ».