03 - Un mal-être embarrassant - partie 2

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 Je me réveillai lentement aux premières lueurs de l’aube. J’étais couchée confortablement sur ce que je pris pour un doux tapis de fourrure, m’enfouissant plaisamment dedans sans pensée, avant de vite réaliser qu’il s’agissait du corps de Riza. Je me redressai alors d’un bon, poussant un cri de surprise. Gênée, j’essayai de me sortir de ma délicate situation, avant de me faire rattraper par une guerrière mal réveillée. Je baragouinai des excuses dans tous les sens, tandis que les souvenirs de la nuit me revenaient en tête, avec son lot d’embarras supplémentaire. Elle me fit taire d’une petite tape sur la joue, puis ajouta amusée :

 – T’es dur au réveil quand t’es pas dans la compote, toi ! Ralentis, tu veux bien, on est pas toutes coutumières avec la gueule de bois.

 Elle se débarrassa négligemment de moi, et s’étira avant de m’inviter à sa façon à me rafraichir dans la rivière, sans m’attendre pour autant. Je restai plantée là, me sentant bizarre. Je compris que ce n’était pas de nouvelles perceptions que j’avais, bien au contraire, j’avais simplement retrouvé le plein usage de mes sens. J’étais moi-même.

 Je me relevai d’un bond sans trébucher. Je m’avançai entre les arbres sans divaguer. Je plongeai dans la rivière sans hésiter. Je le regrettai immédiatement.

 Au contacte directe avec ma peau, l’eau glacée me brula froidement sur tout le corps, et mes muscles se crampèrent. Grelotante, je réussi néanmoins à revenir rapidement sur la terre ferme et à m’essuyer, donnant un bon fou-rire à Riza ainsi que des idées de railleries originales. Je maugréai.

 – La saison froide est moins tendre quand la bouillotte est pas là, hein ? me piqua-t-elle.

 Je ne répondis pas et retourna simplement auprès des braises encore un peu incandescentes. Riza, elle, revint bien après, sa fourrure encore humide montrant allègrement chacune de ses courbes bien tracées. Elle finit ainsi de se sécher devant moi.

 – Un message à faire passer, peut-être, ronchonnai-je avec une moue.

 Elle se contenta de pouffer, je sentais cependant son regard fixé sur moi tandis que je rassemblais les paquetages. Elle m’observait encore du coin des yeux alors que nous reprenions la route. Elle sifflotait même un air répétitif et plutôt énervant.

 – Vous… Pourriez… Arrêtez, grinçait-je entre mes dents. J’ai compris. Vous aviez raison, je me sens bien mieux.

 Elle ne put se retenir de me mettre une grande tape sur l’épaule, manquant de peu de me renverser à cause de tout ce que je portais.

 – Tu sais ce qu’il va t’arriver, à présent ? Me charria-t-elle avec son sourire en coin.

 – Je vais être entrainée par une aventurière compétente ! affirmai-je pleine d’assurance.

 Elle me regarda, le sourcil levé, le regard sérieux. S’ensuivie une explosion de rire beaucoup trop sonore pour être honnête. Elle ne se moquait pas de moi, mais elle appréciait si bien ma flatterie peu discrète que j’allais l’entendre jusqu’au bout du voyage.

 – Oh, sucrette. J’espère que tu garderas cette motivation jusqu’au bout. Voyons…

 Elle regarda son équipement un instant, détacha le fourreau contenant sa longue épée de sa ceinture, et me tendit le tout. Mon premier travail, si ce n’étais déjà de porter son barda, consistait à tenir son arme à bout de bras pendant la marche. Et que son arme était lourde. Je dus changer à plusieurs reprises de main au court de la journée pour ne pas finir avec plus de douleur au bras que je n’en avais déjà aux jambes.

 Au fils des journées suivantes, avoir retrouvé l’intégralité de mes sensations me paraissait de moins en moins pratique. Toutefois, les courbatures s’atténuèrent avec le temps passants ; je me fortifiais. C’est du moins ce que je me répétais à voix basse, en permanence, pour oublier que c’était aussi sûrement ma condition qui revenait. Nous suivîmes la rivière durant une paire de jours jusqu’à rejoindre un large chemin de terre battu, en matinée. Avoir la vue dégagée par cette route nous permit d’apercevoir enfin l’enceinte d’une ville, à l’horizon.

 Je m’imaginai enfin retrouver la civilisation, et tous les conforts si simple et si appréciable, comme un foyer pour passer la saison froide en intérieur et au chaud. J’avançai en flânant, pensant déjà à un futur bain chaud ou à une sieste sur un vrai sommier, quand je sentis une soudaine pression sur mon coup accompagnée de l’habituel bruit de chainette.

 – H-Hé, je ne comptais pas aller bien loin. Surtout dans ma, euh, tenue…

 Elle fit semblant de ne pas m’entendre, prenant le temps d’attacher l’autre bout de la laisse à l’anneau de son bras. Elle me reprit ensuite son arme des mains, me lança un grand sourire malicieux et me fit avancer. Je continuai tout de même à me plaindre à chaque pas de distance que nous parcourions. Et elle finit par craquer.

 – Vas-tu fermer ton clapet, un jour, râla-t-elle en roulant des yeux.

 Elle réfléchit un instant bizarrement long, avant de s’expliquer :

 – Tu crois qu’on laisse les petites délinquantes débarquant de nulle-part marcher librement dans la plus grande ville mammifère du royaume ? Les vilaines truandes, on les tient à l’œil ! Et puis… Ça sera, disons, instructif.

 Je voulus répondre par un sarcasme, mais son dernier mot me laissa perplexe. Ou bien était-ce le ton insistant qu’elle avait utilisé sur celui-ci ?

 – Vous auriez au moins quelque chose comme, euh, une ceinture en plus, avec une poche au-devant. Je crois que mes soucis reviennent.

 Elle baissa brièvement les yeux, pour les remonter regrettablement avec un encore plus large sourire narquois.

 – La préchauffe arrive juste à temps ! me lança-t-elle avec une grande frappe dans le dos pour me faire marcher.

 Elle était suspicieusement trop enjouée en pensant à ce que je devrais traverser, malheureusement, aucun de mes dires ne lui importait. Quoi qu’il en fût, donc, je me laissai trainer jusqu’au rempart de bois.

 Nous arrivâmes à l’ouverture, où deux gardiennes s’occupaient déjà d’inspecter longuement un chariot de provisions, au désespoir d’une vendeuse pressée. Nous fûmes arrêtées nous-même par une troisième garde. Cette ourse blanche mal lunée était équipée bien plus lourdement que n’importe quelle combattante que j’avais pu rencontrer. Elle portait une fine armure de cuir presque intégrale, fortifiée de quelques plaques de fer aux endroits les plus vitaux. Elle portait notamment une large brassière en guise de bouclier, une cervelière ronde qui lui englobait mal sa tête, et une hallebarde avec laquelle elle tapait frénétiquement le sol, toutes engravées d’une tête de biche, symbole de la ville.

 – Déclarez vos intentions ! grogna notre interlocutrice.

 – Deux ventes officielles : Un monochromar de seconde forme, et une échappée récalcitrante.

 La soldate détacha son regard de Riza pour venir sur moi. Elle me tourna autour, scrutant chacune de mes formes de la façon la plus gênante qu’elle put. Puis elle tapa violemment ma cuise du bout de son bois, m’obligeant à écarter les jambes. Je n’osai émettre la moindre protestation face à sa trop grande taille. Elle souffla en voyant ma marque, grommela en se rendant compte que j’avais un peu souillé son arme, et retourna devant la panda.

 – Ta trouvaille est bien dépoilée, depuis quand les mercenaires appliquent la sentence, hein ? T’essaierais pas de refourguer celle d’une autre, des fois ?

 – J’ai aussi la caboche de la bestiole ici, dit Riza sans se démonter. J’aurai dû l’amener vivant, lui aussi ?

 Elle présenta promptement le sac putride et purulent sous le nez de son interlocutrice. Cette dernière fit aussitôt un pas en arrière, essayant de ventiler d’une main les effluves néfastes.

 – Refait… Jamais… ça… articula-t-elle difficilement entre deux haut-le-cœur. Aller, bougez !

 Elle fit un vague geste en direction de l’ouverture et retourna à son poste en toussant. Nous pûmes donc enfin entrer dans la ville mammifère la plus peuplée de tout le royaume. Notre grande capitale. La cité Liberté.

 Douce ironie.

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