Chapitre XIII

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    En recoupant certains destins, j’ai relevé une similitude qui lia les deux groupes de Sorciers. La mort s’invitait régulièrement chez nos amis, et plus la Fin approchait, plus les vies s’égrenaient autour d’eux. Mais la coïncidence voulut que, le dernier mois de l’Ancien Monde, une surprise identique frappe deux personnes dont je relate ici l’existence. Avant d’en terminer avec ce récit, et puisque les éléments recueillis sont assez nombreux pour la relater, je voulais vous faire partager la joie, fugace, qui secoua leurs existences.

Votre dévoué, S.


08 Septembre, 2 ans avant l’Avènement, Lyon.

 

    Un vertige, un évanouissement, et tout le monde s’inquiète autour de vous. Raiden n’était pourtant pas aussi fragile que sa constitution le laissait supposer. Elle, elle ne s’inquiétait jamais. Mais si elle pensait que ses proches avaient saisi la force tranquille qui l’habitait, elle se trompait tout bonnement.

    Alors, après deux petits malaises sans importance, et devant l’insistance plus que pressante de Raven, elle avait consenti à consulter un médecin. Ensuite, devant les mystères et les multiples questions de celui-ci, elle avait accepté de se soumettre à quelques tests sanguins qui ne lui demandaient de s’absenter que peu de temps du Domaine.

    C’est dans cet esprit serein, baignant dans une espèce d’insouciance incongrue au regard des événements ésotériques qui l’entouraient, qu’elle apprit qu’elle était enceinte. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne l’avait pas vu venir.

    Ce jour là, elle fit une chose qu’elle n’avait pas faite depuis une éternité. Elle se promena à travers la ville, prenant tout son temps, sans se presser. Pour une fois, le Domaine attendrait.

    Elle sortit donc du cabinet médical et marcha sans but, juste pour le plaisir de se balader. L’automne arrivait, installant son climat tempéré et habillant les arbres de mille feuilles multicolores. L’effervescence du monde la ravissait, elle qui serait maman dans quelques mois. Un tas de questions semblaient vouloir se poser à elle, mais elle les repoussait tranquillement, soucieuse de savourer la beauté de cette journée. Les dilemmes pouvaient attendre, les tracas aussi.

    En regardant autour d’elle, tout lui parut avoir changé. C’était comme si elle s’était absentée depuis très longtemps et qu’elle redécouvrait la ville. C’était d’ailleurs un peu le cas, puisque qu’elle n’avait pas quitté le Domaine Occulte depuis le soir où elle avait chassé Ulome. Elle visita de nouveau l’église St Nizier, la Basilique de Fourvière, et arpenta longuement le quartier St Jean. Le soleil était encore éclatant lorsqu’elle parcourut les quais de Saône, traversa la presqu’île et qu’elle s’installa sur un banc dans le parc de la Tête d’or.

    La nouvelle était assez soudaine. Maintenant qu’elle savait, bien entendu, elle recoupait toutes les petites choses qu’elle avait relevées au fil des semaines. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu passer à côté de son état.

    Une vague de panique tentait de prendre le dessus, par intermittence avec une vague de joie démesurée, mais elle tenait bien le coup dans l’ensemble. En tout cas, elle aurait pu être plus perturbée. En son for intérieur, elle était à la fois heureuse et terrifiée. Raven serait-il aussi enthousiaste à l’idée d’avoir un enfant ? Étaient-ils prêts ? Réussiraient-ils à protéger le nouveau né lorsque les Descendants d’Eren les attaqueraient ? Ferait-elle une bonne mère ? Et lui, un bon père ?

    Ce qui était certain, c’est qu’elle attendrait encore avant de le lui dire. Elle devait être sûre d’elle avant d’en parler. Elle devait prendre le temps, s’assurer que tout se passerait bien.

    En y pensant, elle devait avouer ne jamais avoir ressenti le besoin de procréer. Pourtant, sa gentillesse et sa patience la faisait souvent passer pour une vraie mère auprès des autres membres du Domaine, mais elle n’était pas certaine de vouloir donner la vie dans un monde qui allait si mal.

    Pollution, guerre, haine, sectes, et autres immondices seraient probablement le lot des nouvelles générations. N’était-ce pas, alors, la pire des cruautés que de livrer un nouvel être à ce monde en crise ?

 

***

 

12 Septembre, 2 ans avant l’Avènement, Russie.

 

    Tout doucement, le petit groupe se rapprochait de la Sibérie. L’excitation gagnait chacun d’entre eux à mesure qu’ils avançaient sur les routes abîmées de la Russie reculée. Les paysages changeaient autour d’eux, laissant la place à des végétations moins fournies, et à un environnement plus sauvage.

    Un étrange ballet s’était installé dans leur quotidien. Depuis deux ou trois mois, Antha se levait avec de fortes nausées, ralentissant la progression de ses amis. Tiass et Kami s’étaient fait une raison, décrétant que la dureté de ce que la jeune femme avait vécu la bouleversait encore inconsciemment. Elle était malade, il fallait lui laissait du temps.

    Mais Syrine, elle, n’était pas si naïve. Surtout depuis une semaine ou deux, alors que les nausées semblaient s’être envolées. Trop de détails attiraient son attention pour qu’elle ferme les yeux sur son pressentiment. Elle était une femme, elle aussi, et reconnaissait certains signes.

    Ils avaient installé le camion à l’entrée d’un village, histoire de passer la nuit au calme dans leurs couchettes respectives. La civilisation serait bientôt trop éloignée d’eux, autant en profiter tant qu’ils le pouvaient encore et utiliser la prochaine journée pour faire des stocks et contrôler que tout allait bien sur leur véhicule.

    Syrine se leva tôt et installa une petite table dans un coin d’herbe pour y servir le petit déjeuner. Elle prit son temps, admirant le contraste du paysage naturel, vibrant de force vive, et la ville qui se dressait à quelques mètres.

    Kami et elle avaient procédé au rituel pour la protéger des assauts de Gi. Elle serait tranquille pour plusieurs mois, le temps de se ressaisir véritablement. Depuis, il avait eu la délicatesse de ne plus parler de cet épisode. Et elle lui en était reconnaissante.

    Les autres dormaient encore quand elle traversa les quelques enjambées qui la séparaient de la cité russe. Ils se réveillaient tout juste quand elle revint au campement. Elle avait eu du mal à trouver ce qu’elle cherchait. Elle n’y avait jamais pensé mais, en France, certains objets étaient incontestablement plus faciles à acheter que dans d’autres pays.

    Antha buvait un grand verre de jus de fruits, incapable d’avaler quoi que ce soit d’autre, quand elle vit son amie française approcher. Elle ne comprit pas tout de suite ce qui lui était tendu puis, après un moment de flottement, sentit la terre s’ouvrir sous elle.

    Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? Des bouffées de chaleur lui montèrent au visage lorsqu’elle s’empara du test de grossesse que Syrine lui avait rapporté. Elle se précipita à l’intérieur, poussa Tiass dehors, et s’enferma.

    Un quart d’heure plus tard, le visage baigné de larmes, elle descendit du camion. Elle ne pouvait pas parler. Ses trois amis attendaient le verdict face à elle, alors elle tendit le bâtonnet à Syrine. Oui, elle était enceinte. Oui, Stefan était encore vivant, en quelque sorte.

    Elle se laissa tomber au sol, secouée par ses sanglots. On aurait dit une marionnette dont les fils venaient de rompre. Ses cheveux collaient à ses joues, ses yeux se noyaient.

    Comment exprimer tout ce qui traversait son esprit ? Stefan. Leur enfant. Elle serait seule pour l’élever. Serait-elle à la hauteur ? Elle avait peur, bien entendu, mais de savoir qu’une partie de son Amour vivrait encore, grâce à elle, lui procurait un bonheur démesuré.

    Malgré tout ce qu’elle avait vécu, elle aurait le droit, elle aussi, à sa fin heureuse.

 

***

 

15 Septembre, 2 ans avant l’Avènement, Lyon.

 

    Raiden était sur le parking du troisième pavillon de l’hôpital. Elle cogna doucement sa tête sur le volant. Elle aurait déjà dû annoncer sa grossesse à Raven. Il serait tout aussi heureux qu’elle. Elle le savait bien. La peur, jusque là, ne l’avait jamais paralysée.

    Mais cette fois, c’était différent. Les enjeux étaient bien plus importants que sa propre vie. Elle était dépassée par tout ce qui lui arrivait.

    Elle passa une main sur son ventre. Ça fonctionnait. Elle se détendait un peu.

    Elle sortit de la voiture, pestant contre elle-même de s’être garée aussi loin. Bientôt, elle aurait du mal à se déplacer avec le bébé.

    Son oreille capta un bruit feutré derrière elle. Elle ne se retourna pas.

    Le coup lui fit perdre connaissance immédiatement.

 

***

 

    L’hôpital. Encore. La douleur. Toujours.

    Retour à la case départ. Ayhan secoua les draps, un peu d’air ne lui ferait pas de mal. Il avait chaud. Sa chambre n’était pas climatisée, il s’inquiétait et il s’ennuyait. Il avait à nouveau fait une crise. Plus violente cette fois. Un million de décharges électriques lui avait vrillé le cerveau. Il avait convulsé et saigné abondamment du nez. Il avait cru que cette crise serait la bonne. Mais non. Il s’en était remis. Sauf que les médecins ne voulaient plus le laisser sortir.

    Il était tiraillé. Lors de cette crise, il avait blessé Ogora. Il avait absorbé une partie de son énergie, et un début d’incendie s’était déclaré au Domaine.

    Devait-il sortir de l’hôpital ? Si Ogora était blessée et que lui n’était pas là, le Domaine serait sûrement pris par les Descendants D’Eren. Cependant, dans cet état, il était tout aussi dangereux que la secte pour ses amis.

    Et puis il ne souhaitait pas mourir. Il haussait toujours les épaules lorsqu’on lui parlait de la mort, mais ce n’était qu’une façade. Il voulait vivre encore.

    Il se redressa dans le lit. Vingt-deux heures. Raiden aurait dû être là. Il s’impatientait légèrement.

    Kami lui manquait. Il songeait à ce que son ami lui avait raconté sur les vampires psychiques. Ça se déclarait en général quelques temps avant la mort. Un an de sursis. Parfois plus.

    Si ce qu’il imaginait était réel, si Ayhan était lui-même un vampire psychique, alors il était en sursis depuis plus de deux ans. Depuis le rituel de Kami qui lui avait rendu sa mémoire. Depuis son AVC. Ça lui avait permis de sauver le Domaine, mais le prix était élevé.

    Raiden était-elle au courant ? Savait-elle que Shin serait stoppé par le vampirisme d’Ayhan ? Il avait du mal à imaginer son amie le mettre volontairement en danger. L’avait-elle manipulé ? Mais la fin justifiait parfois les moyens. Et sa fin, à lui, était peut-être très proche. Céder à la soif dévorante qu’il ressentait parfois ne pouvait qu’accélérer les choses. Une larme s’écrasa sur le drap. Il avait peur.

 

***

 

    Raiden se réveilla dans le noir, les mains attachées dans le dos, les pieds ligotés et la bouche fermée par un papier adhésif visiblement très résistant.

    Deux hommes se trouvaient avec elle. Elle ne les voyait pas, mais les entendait distinctement malgré leurs chuchotements.

    — La fille a été en contact avec la Bête. Un contact très proche, son essence la traverse de toutes parts. Je la ressens avec une force incroyable.

    — Alors, Oracle, grâce à elle, tu vas pouvoir nous guider. Fais vite, car si la brèche se trouve au Domaine Occulte, la majorité de ses gardiens ne sont pas en état de protéger l’endroit !     

    Raiden ne bougea pas, mais ses entrailles se tordirent en pensant au massacre si les Descendants d’Eren attaquaient le Domaine maintenant.

    — Je sais tout ça. Mais tu seras surpris, je pense. La Bête se trouve bien au Domaine Occulte. Mais elle ne protège plus la brèche. Cet imbécile d’Ulome a déplacé la Bête pour la rendre plus manipulable. C’est lui qui l’a installée ici. Nous ne savons toujours pas où se trouve la brèche.

    — Je vais le tuer ! rugit celui qui semblait être le chef.

    — Calme-toi. Je vais trouver. Grâce à la fille. La Bête se trouve en elle, je saurai la pister et remonter jusqu’à la brèche. Ce n’est qu’une question de temps. Et de quantité de sang. Elle est frêle, j’espère qu’elle saura me donner ce dont j’ai besoin.

    — Qu’est-ce que tu veux dire Oracle ?

    — Donne-moi le cutter qui se trouve à tes côtés. Je vais me mettre à chercher tout de suite.

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