21 Septembre, 2 ans avant l’Avènement

 

    Le camion s’engagea sur une plaine immense, mélange étonnant de verdure rase et de roches éclatées. Le chemin en terre n’avait plus rien d’une route et Kami, qui conduisait, craignait l’accident.

    Après avoir parcouru quelques kilomètres, il arrêta le camion. Des dizaines de personnes faisaient barrage. Syrine se cala au fond du siège. Elle les reconnaissait. Les Descendants d’Eren. Le moment était venu.

    En plissant les yeux, elle repéra Gi, Taï et Sovana. Elle sursauta. Taï était le plus jeune frère de Gi. Le plus dangereux aussi. La soif de sang se lisait dans son regard. Elle secoua la tête, se rappelant leur première rencontre en Bretagne. Et puis elle se remémora la douceur de Gi, de ses mains sur sa peau. Elle repoussa l’image.

    Ce n’était pas le moment, elle devait se concentrer sur le présent.

    Dans le rétroviseur, elle aperçut d’autres membres de la secte. Il n’y avait plus moyen de fuir. Ils étaient encerclés.

 

    Le moteur du camion s’éteignit et les quatre amis sortirent du véhicule. Leur voyage s’arrêtait là.

 

***

 

    Ils avaient trouvé ce qu’ils nommaient la brèche et s’y étaient rendus. Raiden pleurait en silence, allongée par terre. Elle avait mal. Son corps avait été lacéré par l’Oracle. Son sang leur avait permis de remonter l’histoire récente de la Bête et de découvrir où Ulome l’avait débusquée.

    Après une semaine de captivité, la jeune femme avait compris beaucoup de choses à propos des Descendants d’Eren et de leurs désirs.

    D’innombrables brèches existaient à travers le monde. Chacune étant protégée par la Bête, une énergie primaire aussi vieille que le monde. Depuis des années, les sbires de la secte avaient cherché où cette énergie se concentrait et ainsi repéré les brèches les unes après les autres.

    Ulome, sciemment ou non, leur avait posé des difficultés en déplaçant la Bête qu’il avait su trouver. Mais le problème était réglé.

    D’autres forces occultes représentaient aussi une menace pour les projets des Descendants d’Eren. Aussi, certains fanatiques avaient été envoyés pour tuer les ennemis potentiels à la Levée du Voile. La jeune femme songea à Kami et Syrine. Ils étaient des cibles. Avaient-ils été tués ? C’est ce que l’Oracle avait insinué en annonçant que la quasi-totalité des cibles avaient été exécutées et que, à présent, plus rien ne s’opposait à la Destinée.

    En activant toute les brèches, ils initieraient la Levée du Voile. Tout serait terminé.

 

    Un violent coup de pied lui coupa le souffle. Raiden sentit une de ses côtes craquer et son cri s’étouffa dans sa gorge. Elle ne pouvait même pas se tenir le flanc. Ses mains étaient liées et sa bouche toujours tenue fermée.

    — Tu vas arrêter de chialer toi ? hurla son gardien.

    Elle ne bougea pas. Cet homme là était plus à cran que ses autres surveillants. Bien que la pièce soit plongée dans le noir, elle savait que l’Oracle était présent. Lorsqu’il avait recueilli son sang, il lui avait confié qu’il bloquait sa magie. Elle ne pouvait rien faire. Rien tenter.

    — Ho, et puis merde ! Tu veux crier ? Fais-le ! il arracha violemment le chatterton de sa bouche.

    Elle se contenta d’agiter sa mâchoire endolorie, mais n’émit pas un son. Elle le sentait fulminer. L’approche de l’évènement le rendait fou.

    — Tu veux faire ta maline ? Dans quelques heures tu seras morte ! Tu m’entends ? il s’arrêta une seconde. Elle l’entendit soupirer.

    « Ho, mais avant tu vas crier. Crois-moi.

           

    Une cloche résonna à quelques mètres d’eux. La sorcière ferma les yeux, ses oreilles ne pouvaient supporter le son. Ils étaient dans un clocher. Elle se souvenait de la vision de Kami.

    Le gardien s’allongea sur elle. L’odeur âcre de sa transpiration lui envahit le nez. Il ne disait plus rien, mais son souffle parlait pour lui. Ses mains déchirèrent le chemisier de Raiden. Elle n’y arrivait pas, elle ne pouvait pas rester immobile. Tout son corps se mit à trembler, à se contorsionner. Mais rien n’y ferait.

    L’homme lui enserra le cou d’une main puissante, de l’autre il remonta sa jupe. Les sanglots ne venaient pas, la jeune fille avait trop peur. L’homme mordit la lèvre. Elle tourna la tête. La main lâcha son cou et lui écrasa les seins. Il voulait lui faire mal. Elle le sentait. Il remonta sa toge. Il était nu dessous.

    Raiden pensa à son enfant. Les larmes jaillirent au même instant que la douleur. Alors elle demanda pitié.

 

***

 

    Chacun d’entre eux étaient fébriles. Kami et Syrine s’étaient avancés, suivis de près par Antha et Tiass. Ils étaient tous armés, même Tiass qui avait récupéré la faux subtilisée lors de son évasion du cirque. La nuit recouvrait le plateau. Seuls les flambeaux des Descendants d’Eren apportaient une lumière sur la scène qui se déroulait.

    Sovana affichait un sourire cruel. Elle avait gagné. Ils étaient quatre, et eux plus d’une centaine.

    — Bande d’idiots ! commença-t-elle.  A quel point ce fut simple de vous amener sur cette brèche ! Et dire que vous vous êtes toujours imaginés supérieurs à moi. Il a suffit d’apparaître lorsque votre direction n’était pas la bonne, que vous preniez trop votre temps ou alors de vous recouvrir d’une tempête de neige quand vous alliez trop vite. Vous n’avez été que des marionnettes. Je ne regrette vraiment pas de vous avoir laissé tomber !

    — Tu oublies simplement que ce n’est pas toi qui nous a quittés mais moi qui t’ai chassée, la coupa Syrine. Enfin, on sait que tu aimes réécrire l’histoire.

    — Tu ne devrais pas croire que c’est déjà gagné, ajouta Kami. Je te rappelle que ton amie Amarante n’a pas survécu à sa misérable tentative.

    — Elle t’a quand même laissé un joli souvenir, hurla la Descendante d’Eren en pointant du doigt le visage de Kami. « Tuez-les ! »

 

    D’un même mouvement, plusieurs dizaines de Descendants d’Eren se jetèrent sur le groupe. Kami fit tournoyer son bâton au-dessus de lui. Une vague d’énergie explosa, coupant l’élan d’un bon nombre d’ennemis.

    Il détacha ses massues d’un coup de poignet et se propulsa dans le tas de Descendants le plus proche.

    Des projections d’énergie fusaient tout autour de lui alors qu’il s’attelait à fracasser le plus de crânes possibles. Dans son champ de vision, il pouvait voir Syrine et Tiass lutter avec autant de force. Ils se battaient pour tuer. Antha était introuvable.

    Par chance, leurs ennemis étaient aussi violents qu’inexpérimentés en magie. Le français regroupa sa force dans le sol et de gigantesques aiguilles de glaces surgirent partout sur la plaine. Il s’élança à travers le champ de bataille pour trouver son amie polonaise. Il le sentait, quelque chose n’allait pas.

 

***

 

    Elle s’était enfermée dans une bulle imaginaire. Elle songeait à Raven. Elle l’imaginait utiliser son pouvoir pour la retrouver et la délivrer.

     Son corps était inerte. Elle se sentait vide de sens. Elle avait été transportée comme un vulgaire paquet, descendue du clocher et enfermée dans un van. Dix minutes après, on l’avait de nouveau saisie pour l’amener dans un parc. Jetée au sol. Encore une fois. Elle avait ouvert les yeux, reconnaissant vaguement l’endroit pour être un jardin de sa ville d’origine. Alors la brèche était là. Elle avait donc grandi au-dessus.

    L’Oracle prit la parole :

    « — Le sacrifice peut commencer. Par cette lame, baignée dans l’essence de la Bête, nous appelons à la Levée du Voile. »

 

***

 

    La lame s’enfonça dans la gorge de la femme. Syrine tira de toutes ses forces, le sang giclant sur son visage.

    Le sortilège de Kami avait permis, sinon de tuer les Descendants d’Eren, au moins de les séparer et de gêner leur progression. Le paysage était soudainement devenu un désert de glace.

    La sorcière rousse s’efforça de repérer Sovana. Il lui fallut quelques minutes pour la retrouver au milieu des projections d’énergies, mais elle finit par l’apercevoir. Elle s’avançait vers elle. Taï, le jeune frère de Gi se tenait à ses côtés.

    Elles allaient donc en terminer ici.

 

    Un hélicoptère s’éleva soudain au-dessus d’eux. Syrine sentit son estomac se retourner quand elle reconnut Gi retenir Antha dans l’engin qui s’éloignait déjà.

    Il n’avait donc jamais oublié sa mission. Il avait réussi à enlever la jeune polonaise. Ni Kami, ni elle, n’avait su la protéger. Elle hurla de rage.

    Une décharge l’arracha du sol. Sovana ne lui avait pas laissé le temps de se préparer. Syrine se releva immédiatement et fit face à la sorcière. Taï, se recula, signe qu’il ne prendrait pas part à cet affrontement. Sûrement un ordre de sa supérieure. Elle voulait en découdre.

    C’était mieux comme ça. Ce serait entre elles seulement.

    Sovana leva les bras, exhibant les griffes accrochées à sa main gauche.

    — Ces lames ont été consacrées par la Bête. Il me suffit de te trancher la gorge avec, la brèche s’ouvrira et la Levée du Voile pourra enfin avoir lieu. Grâce à ton sang Syrine. N’est-ce pas merveilleux ?

    Pour seule réponse, la jeune femme propulsa son poignard qui se ficha dans la cuisse de Sovana.

    — Tu parles trop.

    Elle se jeta tête en avant contre son ancienne amie, la faisant basculer sur un pic de glace. Mais Sovana était prompte à réagir. Elle lui envoya son coude dans l’estomac et l’attrapa par les cheveux.

    — C’est mon style, tu vas voir c’est efficace.

    Syrine agrippa le poignard et appuya de toutes ses forces pour se libérer. La Descendante d’Eren hurla en reculant. Sa jambe était sanguinolente, elle ne pouvait pas enlever le poignard sous peine de déclencher une hémorragie.

    Sovana recula encore et s’empara d’une petite sacoche accrochée à sa taille. Elle en sortit trois pierres luminescentes. De la magie fossilisée. Syrine plongea sur le côté, une seconde trop tard. L’explosion des pierres la souffla et sa tête heurta une roche.

    Tout lui semblait flou. Le brouhaha autour d’elle n’avait plus de sens. Kami, Tiass, Antha. Elle aurait aimé leur demander pardon. Mais elle allait mourir, et la Levée du Voile les engloutirait tous.

    Sovana s’approcha. Elle ne souriait pas. Une lutte de plusieurs années allait prendre fin. Pas un mot. Pas une larme. Les griffes se soulevèrent au-dessus de Syrine. Elle ferma les yeux. Un cri s’échappa de Sovana.

    La Descendante d’Eren s’était figée. La hachette de Taï était fichée entre ses omoplates.

    Il s’avança vers elle :

    — Tu n’aurais pas dû instrumentaliser notre frère Sovana. Mais, sois heureuse, j’avais également consacré ma lame. Grâce à toi, la Levée du Voile aura bien lieu. » Il l’a poussa sur le côté et dévisagea Syrine.

 

***

 

    Des exclamations s’élevaient à ses côtés. La douleur était insoutenable. Elle arrêtait de lutter. Raiden regarda une dernière fois le poignard plongé dans sa chair. Personne ne l’avait secourue. Son enfant ne verrait pas le jour. Elle ne pourrait pas dire au revoir à Raven.

    La terre tremblait. Tout s’illuminait. Le ciel noir se colorait de sang et sa conscience s’enfuyait. Quelques secondes, peut-être, passèrent puis une explosion retentit. Le sol s’ouvrit sous elle, libérant une énergie aveuglante. Le néant l’emporta définitivement.

 

***

 

    Kami accourait, mais il était déjà trop tard. Une lumière blanche souleva le sol, faisant éclater la glace qu’il avait créée. Le ciel se teinta de rouge, et un geyser luminescent explosa des entrailles de la terre. Il plongea vers elle. Des hurlements résonnèrent autour d’eux. Puis la Fin les recouvrit tous.