Chapitre XI

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13 Mai, 2 ans avant l’Avènement, Lyon, France.

 

    La chose avait été plus difficile que prévu. Raven avait fourni à sa bien-aimée les renseignements qu’elle lui avait commandés. Des identités, des lieux, des relations. Mais, même avec toutes ces informations, contacter celui qui allait lui servir avait été d’une rare complexité. Heureusement, pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, Raven avait tout mis en œuvre pour la satisfaire. Sûrement une nouvelle preuve de son amour inconditionnel, pensa-t-elle. De quoi d’autre aurait-il bien pu être question ?

    Quoi qu’il en soit, le grand soir était arrivé. La jeune femme s’était enveloppée d’un voile carmin, une couleur dont elle s’habillait rarement, par superstition. Elle craignait que les couleurs trop voyantes ne mettent en lumière la détermination et la force qu’elle tentait de dissimuler aux autres. Si elle était une personne d’une douceur infinie, elle n’en restait pas moins une femme dont le feu intérieur était colossal. Seulement, elle préférait masquer cet aspect là de sa personnalité. Alors, elle ne revêtait que de belles couleurs, apaisantes, qui aidaient à imposer dans les esprits son image d’inoffensive femme-enfant.

    Exceptionnellement, lorsque l’occasion s’y prêtait, elle laissait tomber le masque et portait sur ses frêles épaules ce châle et des chaussures  assorties. Le temps de passer pour une créature fragile et ingénue n’était plus. D’un instant à l’autre, elle intriguerait pour arriver à ses fins.

    Elle croisa les jambes, perchée sur son tabouret de bar, et but une gorgée de champagne. Elle ferma les yeux un instant, se laissant griser par les milliers de bulles qui explosaient contre son palet. Elle adorait ce goût, amer et subtil, parfait pour une vengeance.

    Pour cet événement, elle lui avait fixé un rendez-vous dans un pub chic de Lyon. La maison aurait été plus appropriée, offrant l’intimité et la discrétion nécessaires, mais il était exclu d’introduire l’individu chez elle. Bien trop dangereux. Et puis, elle n’était pas certaine que Raven cautionne ses intentions. Bref, pas question de se mettre à découvert plus que de raison.

    Pendant un moment, ses pensées se mêlèrent aux bulles de l’élixir glacé qu’elle sirotait doucement. Et si elle était partie ? Et si elle avait écouté Kami lorsque, adolescent, il lui avait prédit des horreurs ? Que se serait-il passé si elle avait fui Lyon ? Aurait-elle été plus heureuse ? Son avenir avait-il changé depuis cette époque ?

    Elle soupira. Les yeux plongés dans sa coupe, les bulles la fascinaient à ce moment là. Elle finirait sa course de façon violente, indubitablement. Elle le savait. Elle l’avait toujours su. Même avant que Kami lui parle de s      a vision. Et ça lui importait peu. Non pas qu’elle ne tienne pas à la vie. Mais, elle avait une destinée. Et elle l’acceptait. Entièrement. Parfois, elle pensait à sa propre vie comme à celle d’une jeune fille de bonne famille d’un autre siècle. Recluse, attendant celui à qui elle était promise. Sauf que pour Raiden, sa vie entière était le cloître qui la préparait à épouser la fatalité.

 

    Quelque chose effleura son épaule. Du coin de l’œil, elle distingua un gant qui se retira aussitôt. Raiden pivota pour voir son invité.

    — Je suis heureuse que vous soyez venu. J’ai bataillé pour vous contacter, mais nous serons contentés tous deux à l’issue de notre entretien.

    — J’en suis certain. Le nouvel arrivant avait parlé d’une voix sans âge, sans sexe, presque sans humanité.

    — Mettons-nous à l’écart, suivez-moi.

    La jeune femme sauta gracieusement de son perchoir. Ou, pour être plus précis, elle glissa de son tabouret et se dirigea vers le fond de la pièce, suivie par son invité. Ils s’installèrent à une table isolée, sans personne à proximité.

    — Bien. Nous serons plus à notre aise pour discuter. Souhaitez-vous une coupe ? Ou autre chose peut-être ?

    — Je ne peux ingurgiter ce genre de choses, siffla l’homme.

    Raiden l’observa un instant. Ses longs cheveux noirs lui recouvraient le visage, sa peau était translucide. Cet aspect livide était d’autant plus perturbant que c’était un homme asiatique et qu’on devinait que sa peau avait sûrement été d’un splendide doré autrefois.

    — Bien sûr.

    — Vous m’avez fait venir car vous vouliez m’aider je crois.

    — Exact. Je sais… ce que vous êtes.

    — Et moi, je sais à qui vous appartenez, petite fille. Expliquez-moi pourquoi une ancienne dirigeante du Domaine Occulte voudrait aider les Descendants d’Eren ?

    — Vous avez dit le mot juste. Je suis une ancienne dirigeante. » Ils s’observèrent un instant, se jaugeant l’un l’autre.

    — Je vois, lâcha-t-il d’une voix trainante. Ses inflexions écorchaient les oreilles et son timbre faisait naître, dans l’esprit de Raiden, une image parfaite de la personnification de la perfidie. L’homme plissa les yeux. On aurait dit un hybride, entre l’humain et le serpent.

    — Si je vous ai demandé, vous particulièrement, c’est parce que seuls vos talents sont capables de venir à bout de la protectrice du Domaine Occulte. Je vais vous expliquer comment procéder.

 

***

 

18 Mai, 2 ans avant l’Avènement, Russie.

 

    Un secret n’est pas toujours facile à porter. Mais lorsque celui-ci s’avère être une trahison envers ses proches, il devient à la fois fardeau et bombe à retardement.

    C’est avec cette idée en tête que Syrine donna congés à Tiass. Ils venaient d’accomplir un rituel qu’elle avait souvent expérimenté autrefois, en compagnie de Kami. C’était, d’une certaine façon, un exercice formidable pour mieux appréhender sa propre énergie, mais également celle d’autrui.

    L’élève quitta la chambre de la sorcière. Il excellait déjà dans la plupart des domaines. Qu’il s’agisse de maîtrise de la langue française, de culture au sens large, ou de pratiques ésotériques, le jeune homme avait sans cesse montré à quel point il était disposé à s’ouvrir à la connaissance. Il ne lui était plus vraiment nécessaire d’être éduqué de façon formelle. Mais Syrine devait bien avouer que ces leçons lui permettaient d’oublier quelques heures ce qu’elle taisait depuis un moment.

           

    Aussitôt la porte refermée, elle s’abandonna à l’angoisse du secret. La présence qui la visitait n’était déjà pas une mince affaire. Au fil des mois, sans vraiment savoir pourquoi, elle avait pourtant décidé de ne pas en parler. Chaque instant était une lutte. Elle devait s’en tenir au silence qu’elle avait choisi, mais également surveiller en permanence son esprit et se fermer aux pouvoirs de Kami.

    Et puis, plus récemment, elle avait découvert que ce qu’elle avait pris, pendant un temps, pour un fantôme était en fait Gi, l’un des Descendants d’Eren. Elle y avait bien pensé, et il était évident que l’homme jouait un double-jeu. Mais avec qui ?

    Se faisait-il passer pour un ami aux yeux de Syrine, simplement dans le but de glaner des informations pour le compte de Sovana ? Ou, au contraire, préparait-il une quelconque bataille interne au sein de la secte ?

    Ce qui était certain, c’est qu’il l’avait mise en garde à maintes reprises contre les attaques ennemies. Par ailleurs, la passion avec laquelle il la possédait dès qu’ils se retrouvaient ne pouvait mentir. Mais quelle garantie apportaient ces quelques éléments, alors qu’il était un membre à part entière de l’autre camp ?

    Elle se leva de son siège, prise un instant par l’envie, le besoin, d’aller trouver Kami et de tout lui raconter. Puis elle se laissa retomber. Elle l’imagina devant sa fenêtre, contemplant les prémices de la libération dans la fonte des glaces qui les emprisonnaient depuis des mois.

    Finalement, que pourrait-il bien faire de ses aveux ? Ce secret était-il vraiment une trahison ? Gi n’était pas vraiment une menace directe pour qui que ce soit. Il le lui avait prouvé par le passé, lors de leur affrontement en Bretagne, ou il n’avait pas vraiment combattu contre elle.

    A l’évocation de ce souvenir, l’air vibra sourdement. La lumière se répandit dans la chambre, chatoyante et électrique à la fois, faisant place à l’homme.

    Syrine écarquilla les yeux, comme à chaque fois qu’il prenait forme. Était-il un ectoplasme ou fait de chair ? Elle posa la main sur son visage. Impossible de vraiment trancher. Mais si sa présence n’était que magie, alors l’illusion physique était parfaite.

    — Quel bon souvenir, ma douce, évoques-tu pour me convoquer ! Tu es si torturée. Viens, là, blottis-toi contre moi. Laisse-moi sentir tes cheveux magnifiques. Tu sembles si fragile.

    — Je n’ai pas confiance en toi, chuchota-t-elle.

    — Bien sûr que tu n’as pas confiance. C’est bien légitime. Mais que puis-je donc t’offrir pour que tu oublies ta méfiance ?

    Il enfouit son visage dans les cheveux de la femme.

    — Pourquoi nous poursuivre ? Quand les glaces auront fondu, nous reprendrons notre route, avec vous à notre suite. Mais quand en finira-t-on ?

    — Ha, ma tendre sorcière. Tu sais déjà la haine que nourrit Sovana contre Kami et toi.

    — Est-ce bien la seule raison ? 

    Gi serra la chevelure dont il ne pouvait apparemment se détacher puis reprit plus bas :

    — Tu sais bien que non, mon Amour. Tu ressens ces choses là. Raconte-moi tes rêves, n’aie pas peur.

    — Ils sont troubles. Je rêve de montagnes en feu, d’étoiles qui tombent sur nous, et de mer de sang. Je rêve de chevaux qui hurlent, et de trompettes célestes. Et d’un serpent menaçant, et d’autres démons encore plus affreux. Et il y a le malheur et la mort. Je déteste ce don !

    — Tu ne comprends pas tes rêves… Pourtant, ton pouvoir se déchaine pour t’apprendre ce qu’il se prépare.

    — Alors éclaire-moi ! Tu es le seul à connaître la violence de mes nuits. Tu es le seul à posséder la clé.

    — Me feras-tu confiance si je te réponds ? » Syrine réfléchit un instant à la question, puis secoua la tête.

    — Je crains que non.

    — Ça ne coûtait rien de demander, s’amusa Gi. Alors écoute-moi bien. Jean, dans son Apocalypse, annonce « Femme de qui naît un fils enlevé vers Dieu. » Blabla…  « il parut encore un grand prodige dans le ciel, c’était une femme revêtue du soleil, qui avait la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête. » Etc., etc., etc., puis enfin : « Elle donna le jour à un enfant mâle » bien que nous ne soyons pas certain de la justesse du caractère masculin de l’enfant « qui devait gouverner toutes les nations ». Je ne vais pas te réciter toute sa prophétie, parce qu’il s’y perd. Il était un peu fou et les traductions sont mauvaises. Mais cette femme, qui ne fait qu’un bref passage dans les rêves de l’auteur, est pourtant l’essentiel de la prophétie. Car au milieu de ses erreurs, et de ses interprétations, Jean a bel et bien vu ce qu’il adviendrait lors de la Levée du Voile.

    — La Levée du Voile ?

    — Eh bien ! Calypso, le voile… Apocalypse, la Levée du Voile. C’est très étonnant que tu n’aies pas fait le lien entre tes rêves, tes connaissances de la langue grecque, et la Levée du Voile. Enfin, ce n’est pas le sujet. Il semble, d’après nos prophètes, que cette femme jouera un rôle déterminant. Et il nous appartient de mettre la main sur elle.

    La sorcière avait des vertiges. Elle comprenait soudainement ses rêves, son malaise lorsqu’elle songeait au futur, et ce qu’impliquait la Levée du Voile. Elle se reprit tant bien que mal, et bégaya avec difficulté :

    — Mais quel est le rapport avec nous ?

    — Eh bien, le rapport, Syrine, c’est qu’il est probable que cette femme soit Antha !

 

***

 

29 Mai, 2 ans avant l’Avènement, Lyon, France.

 

    Son don, il ne l’utilisait pas autant qu’il l’aurait pensé lorsqu’on le lui avait confié. Étrangement, il avait rêvé sa vie tout au long de son existence. A présent, le pouvoir qu’Ayhan possédait, la capacité de se projeter dans les rêves des autres, de créer un univers selon sa volonté, lui faisait peur. Il se méfiait de la portée du cadeau d’Ulome.

    Il éprouvait un sentiment mêlé de gratitude et de suspicion quant à tout ce qu’il ne connaissait pas du Domaine Occulte. Par ailleurs, il n’oubliait pas l’histoire de Kami et ses conflits avec Ulome.

    Une nuit, sans qu’il ne sache comment c’était arrivé, il avait entendu un appel au milieu de ses songes. Raiden lui adressait une supplique onirique, une convocation secrète, en dehors de la surveillance d’Ulome. Et dans un tourbillon de brumes, il s’était senti happé par l’inconscient de la jeune femme.

    Au centre d’une pièce vide, dans la pénombre, Raiden patientait, consciente que ce rêve n’était pas vraiment le sien. Elle lui avait confié le message, celui qu’il attendait sans le savoir. Et il avait alors compris pourquoi chacun de ses pas l’avait mené à Lyon. Il était là pour réaliser les plans de son amie, et lui donner la vengeance qu’elle méritait amplement.

    C’est comme ça que ses doutes envers le mentor du Domaine Occulte et son propre pouvoir se rencontrèrent. Il avait la date. Il savait plus ou moins pourquoi. Mais il n’était pas certain du comment. Comment aider Raiden ? Comment faire pour que cette folle entreprise ne se solde pas par un massacre ?

 

    Il descendit les marches du Domaine. Là-haut, tout était calme. Ce soir là, aucun client extérieur. Seuls les initiés étaient présents. C’était l’une des nombreuses soirées que Diane avait dédié à l’entraînement. Elle avait décrété, plus ou moins officiellement, que le niveau général n’était pas assez élevé. Alors, sacrifiant le chiffre d’affaires du complexe ésotérique, elle fermait régulièrement l’accès au public pour inculquer aux membres le savoir et la maîtrise qui leur faisaient cruellement défaut.

    On comprenait facilement, d’après ses sautes d’humeurs et ses lubies surprotectrices, qu’elle remettait en cause tout l’enseignement de ces prédécesseurs : Raiden et Raven.

    Certains mages, formés depuis plus longtemps que Diane, avaient cessé de se rendre au Domaine Occulte. D’autres n’avaient pas manifesté franchement leur opposition, mais se défilaient une fois sur deux lorsqu’il s’agissait de se réunir pour ces « leçons ».

    Ayhan comprenait qu’on puisse haïr la jeune femme. Lui-même la détestait pour ce qu’elle avait fait au jardin de Raiden. Pourtant, il se souvenait des quelques fois où il l’avait entendu parler hors de sa fonction de protectrice et où elle lui avait semblé d’une grande intelligence et d’une simplicité rafraîchissante. Il aurait aimé la connaître à ce moment là, au lieu de se contenter de l’écouter discrètement sans qu’elle ne le sache.

    Depuis, elle avait changé du tout au tout. Il lui semblait qu’elle ne voyait plus sa famille et qu’elle avait totalement laissé tomber les études. Son attitude aussi avait changé. Elle était devenue plus guindée et plus hautaine, abordant les autres avec mépris et condescendance. Pour Ayhan, toute cette histoire n’était que du gâchis.

    Diane était debout, entourée par le groupe, parlant de techniques de combat et de stratégie d’attaque lorsqu’un craquement sourd retentit à l’étage. Un silence épais recouvrit l’Antre des Maudits. La jeune femme tendit l’oreille, un large sourire aux lèvres.

    — Et bien, rien ne vaut une bonne mise en pratique. Je crois que nos amis, les Descendants d’Eren, se sont décidés à nous rendre visite à nouveau.

    Ayhan se plaça derrière le bar, s’offrant une vue sur la quasi-totalité de la pièce. Il savait ce qui allait se passer. Raiden lui avait expliqué les grandes lignes, sans lui dire quel serait son rôle à lui. Il savait juste qu’elle ne viendrait pas. Pas encore en tout cas.

    Les autres initiés reculèrent jusqu’à l’entrée du labyrinthe d’Ulome, formant un mur devant l’ouverture, tandis que Diane se postait à deux ou trois mètres de l’escalier dont descendraient ses ennemis.

    L’attaque se déroula à une vitesse étrangement lente. Rien de fulgurant, ni d’un côté, ni de l’autre. Un homme descendit. Il était d’origine asiatique, le teint livide, les yeux cernés derrière des cheveux d’une noirceur fatiguée. Ses gants en cuir, sertis d’un cercle en argent sur le dessus, et ses habits noirs, accentuaient son allure macabre par l’opposition à la couleur de sa peau.

    Ayhan reconnu Shin, dont Raiden lui avait parlé dans son rêve. Il était seul. Le Descendant d’Eren envoyé secrètement par son ancienne formatrice. La traîtresse à la fois bienveillante et assoiffée de vengeance.

    L’homme sourit à la protectrice du Domaine, inébranlable, et promena son regard sur l’Antre des Maudits. Diane avait le visage tendu. L’étrangeté de l’attaque ne lui échappait pas. Elle guettait l’arrivée des autres fanatiques, tout en étant consciente que personne d’autre ne viendrait et que, si techniquement elle avait l’avantage grâce au nombre, en pratique l’assurance de son adversaire était de très mauvais augure.

    — Eh bien, eh bien, eh bien. Il était temps que je vienne, jeune fille ! J’ai entendu dire que tes pouvoirs donnaient du fil à retordre à mes troupes. Tu m’excuseras de ne pas être venu avant, j’étais très occupé ces derniers mois. Enfin, j’imagine que tout cela n’a plus d’importance. Nous y sommes. Je vais pouvoir me débarrasser de toi, et de tes amis. Sache simplement que ta mort ne sera que la conséquence des manigances d’Ulome.

    — Tu parles beaucoup trop pour quelqu’un sur le point de se faire humilier. Tu me feras signe quand tu auras terminé, hein ?

    Shin n’eut pas le temps de répondre. La jeune femme se jeta sur lui, lui collant son poing dans la figure, et enchaînant un saut périlleux par-dessus lui. Dos à l’ennemi, elle donna un coup de pied derrière elle, le mettant à genoux. Elle pivota et le saisit à la gorge, le dominant de sa petite taille.

    Elle adressa un sourire ravi à ses élèves.

    — Voilà donc l’illustration de mes propos. Surprise, vitesse, et précision. Ensuite, vous improvisez avec ce que vous avez sous la main pour l’achever.

    L’énergie de la jeune femme vibra sous son impulsion. Son dos s’arqua légèrement, et sa magie commença à tourbillonner autour d’elle. Des crépitements éclatèrent tout autour, comme de petites explosions, et tout s’arrêta net. Elle poussa un petit cri, les yeux écarquillés, mais n’esquissa pas le moindre mouvement.

    Sa main était comme collée à la gorge de Shin. Celui-ci souriait en coin. Au bout de quelques secondes, l’homme posa sa main sur le bras de Diane, tout en se relevant, et l’embrassa avec passion. Une bourrasque glacée balaya la pièce. Des éclairs frappèrent ça et là les murs et le sol, puis un hurlement retentit. Le visage de Diane s’était figé dans son cri strident, des veines bleues déformaient sa peau blanchie comme si elle était exsangue.

    La scène semblait irréelle. Personne ne bougea lorsque Shin lâcha le corps de la femme. Les initiés n’osèrent pas respirer, alors qu’il tournait ses yeux fous vers eux collés les uns contre les autres. Il fit un pas dans leur direction.

    — Si je le voulais, je vous dévorerais tous de là où je suis ! siffla-t-il doucement. Mais je m’abime moins s’il y a un contact avec ma nourriture.

    Il avança encore d’un pas, jaugeant l’énergie de chacun tout en ricanant sans bruit.

    Sans réfléchir, Ayhan bascula par-dessus le bar en marbre et sauta sur Shin. Il le plaqua au sol, alors que le vent se levait à nouveau. Ses mains entourèrent le visage du Descendant d’Eren pendant que les éclairs ravageaient la pièce et blessaient quelques sorciers. Son cœur battait à une vitesse inouïe. Il sentait son énergie se mêler à la magie de Shin.

    Ayhan avait la sensation de se confondre avec l’autre homme. Leurs identités se mêlaient, leurs pouvoirs également.

    Tout devint froid et brûlant autour d’eux, sa vision se troubla et sa bouche se dessécha instantanément. Les doigts de Shin se crispèrent dans ses cheveux, le forçant à baisser la tête et à coller ses lèvres aux siennes. La douleur était insupportable, il criait dans ce baiser. Shin aussi hurlait. Tout n’était que vibration frénétique.

    Il avait soif. Une soif horrible, mentale, plus intense que toutes les sensations physiques qu’il avait connu jusqu’à ce jour. Il mordit dans la lèvre inférieure de l’asiatique.

    Soudain, le pouvoir de Diane ressurgit autour d’eux, les enveloppant dans la bulle destructrice qu’elle avait déjà utilisée pour tuer. Il comprenait. Il ressentait tout l’être de son ennemi. Shin avait vidé la femme de son énergie, il l’avait tuée en la vampirisant et se servait à présent des pouvoirs qu’elle avait autrefois possédés.

    Il tenta de raisonner, de trouver un moyen de s’en sortir. Mais la soif l’emportait. Plus rien d’autre ne comptait. Elle le recouvrait entièrement. Sans véritablement le décider, il céda à la folie et à la souffrance. Le néant s’engouffra en lui et le monde se figea.

 

***

 

29 Mai, 2 ans avant l’Avènement, Russie.    

 

    La main collée contre la vitre, Kami s’extasiait devant la fonte de la glace. Il n’était pas encore question de partir du village, mais leur départ n’était plus très loin. La température remontait doucement et la neige et les congères diminuaient, disparaissant dans de jolies petites rivières.

    Ils auraient déjà pu quitter l’hôtel et reprendre la route, dans l’absolu, mais tous les habitants semblaient dire qu’il valait mieux encore patienter.

    Le français s’étira gracieusement et huma l’air. Même à l’intérieur, l’atmosphère de la Sibérie lui paraissait savoureuse. Le ciel gris n’était pas le même qu’en France, et le froid, bien que de loin plus incisif, revêtait une espèce de souveraineté grandiose. Implacable, déterminé, et imprévisible. N’était-ce pas ce froid qui les avait bloqués des mois durant ici, dans ce village perdu ?

    Kami aperçut Stefan sortir de l’hôtel, emmitouflé dans une fourrure grise de facture médiocre. Médiocre. De toute façon, il était tout bonnement impossible de trouver une meilleure qualité dans ce village déconnecté du reste de l’humanité. L’ami polonais disparut, quelques secondes plus tard, dans un enchevêtrement de ruelles.

    Le sorcier resta figé, debout, devant sa fenêtre, observant le village qui leur avait servi de refuge. Quelque chose ici ne lui plaisait pas. Bien qu’il n’ait pas tenté l’expérience trop souvent, son don n’avait aucune prise sur les souvenirs des habitants. Comment était-il possible qu’un village entier soit protégé de son pouvoir ? Un détail lui échappait, mais l’esprit de chaque villageois était soigneusement verrouillé, comme s’ils étaient au courant de ses capacités.

    Anna sortit à son tour du bâtiment, avança de quelques pas, regardant autour d’elle, puis se précipita dans les même mystérieuses ruelles empruntées quelques instants auparavant par son beau-frère. Ces deux là n’étaient pas clairs non plus, mais Kami ne s’en mêlerait pas. Ça ne le regardait en rien.

    Il se détourna, décidé à faire un effort et à reprendre pied dans le monde des vivants. Comme chaque jour, il ouvrit la porte et descendit les marches qui menaient au rez-de-chaussée. Comme chaque jour, il commanda un chocolat chaud, une vodka, même s’il avait conscience qu’il ne daignerait boire que le deuxième breuvage. Comme chaque jour, il s’installa devant la fenêtre donnant sur la rue, dans la salle commune, une cigarette à la main, sa tasse et son verre devant lui.

    Mais Syrine était là, elle aussi. Elle avait pris soin de laisser libre la place de son ami et avait rapproché une chaise sur laquelle elle l’attendait.

    Il s’installa, curieux d’entendre ce qu’elle avait à lui dire.

    — Tiass et Antha ont préparé le camion. Tout sera prêt lorsque nous déciderons de reprendre la route. Je t’avoue que j’ai hâte.

    — Oui, je suppose que ça nous fera du bien de repartir. Nous avons longtemps rêvé de la Russie, de la Sibérie, et nous savions que nous pourrions devenir otage du froid à tout moment. Mais, tout est si lent à mes yeux.

    — Tu ne sembles plus en phase avec rien.

    — C’est comme si mon énergie s’était transformée. J’ai l’impression que ma magie est plus pure qu’autrefois et, en même temps, plus elle s’affine, plus je me sens étranger à tout ce qui m’entoure.

    Une employée amena un autre verre à l’homme. En déposant la potion, sa manche se releva un peu et les yeux des deux français se fixèrent sur le tatouage qu’elle portait au poignet.

    Un serpent qui en faisait le tour et se mordait la queue.     Reconnaissable parmi des centaines. Le tatouage des Descendants d’Eren.

    Kami s’agrippa au bras de la femme, la fit basculer et lui couvrit la bouche de sa main.

    — Syrine, demande à Tiass et Antha de descendre ! On s’en va. Tout de suite.

    Une lueur noire jaillit de la main du sorcier. Sa victime s’écroula instantanément.

    Syrine cria au bas de l’escalier et ses deux protégés dévalèrent les marches immédiatement.

    La patronne de l’hôtel se précipita sur eux, mais n’eut pas le temps de les attraper. Tiass avait projeté des salves d’énergies et elle s’était effondrée au milieu du passage.

    Alors qu’ils sortaient de la maison, protégés par une bulle d’énergie que Kami venait de créer, Anna hurla de l’autre côté de la rue. 

    Ils se lancèrent dans la direction du cri, et tout en se rapprochant crièrent à la polonaise qu’ils se trouvaient dans un piège des Descendants d’Eren. Aux pieds d’Anna, un corps gisait dans une marre de sang.

    Antha se jeta par terre. Stefan ne bougeait plus. Il était mort, et la sœur de la jeune endeuillée hurlait frénétiquement, incapable de retrouver la raison.

    Des Descendants d’Eren sortirent de tous les bâtiments. Chaque habitant n’était qu’un adepte de la secte. Des personnages fictifs et malintentionnés embusqués depuis le début.

    Syrine agrippa Antha, la releva, et le petit groupe recula, abandonnant le corps de Stefan à ses assassins.

    Le camion ne se trouvait qu’à une vingtaine de mètres, mais le nombre de Descendants d’Eren ne faisait que s’accroître. Tiass mis les clés du véhicule dans la main du français et attrapa l’épaule d’Antha.

    Une vague d’énergie explosa autour du groupe. L’adolescent cria à ses amis de courir alors qu’une lueur blanche les recouvrait lui et la polonaise en pleurs. La terre trembla et le vent se déchaina dans la rue.

    Les habitants factices étaient balayés du sol et tentaient de s’accrocher à n’importe quoi. Puis la lumière s’échappa d’Antha, encore plus aveuglante que les premières fois, le village disparaissait dans le feu blanc de la sorcière.

    Tiass tomba à genoux, libérant sa propre énergie et la mêlant à celle de son amie. Le vrombissement du camion le fit sursauter. Des mains le trainèrent par les épaules, écorchant sa peau fragile à travers son t-shirt. L’effort l’avait vidé de ses forces.

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