Chapitre IV

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17 Novembre, 4 ans avant l’Avènement, Lyon, France.

 

    Comment s’était-il retrouvé dans cette bibliothèque, au juste ? Le lieu ne lui était pas familier. Cela faisait pourtant plusieurs mois qu’il avait intégré le Domaine Occulte pour entamer cette étrange initiation accélérée. Étrange, parce qu’il n’était pas spécialement pressé, lui, et que beaucoup s’y étaient opposés.

    En fait, il avait entendu dire que cette nouvelle avait suscité quelques tensions au sein des dirigeants du Domaine. Raiden, bien qu’adorable avec lui, n’avait pas, d’après les rumeurs, soutenu le projet. Et puis il y avait eu le mystérieux Raven qui, racontait-on, s’était farouchement fait entendre quant à une nouvelle initiation rapide. Mais rien n’avait fait. Ulome décidait seul, visiblement.

    Il était donc là, penaud. D’incalculables semaines avaient passé, et il attendait toujours la suite de la formation. Voilà comment il était arrivé ici, au milieu des travées de livres et des moutons de poussière. Raiden lui avait transmis son savoir, celui relatif aux énergies, à la nature, et à la planète. Et puis, il n’y avait plus rien eu.

    Il avait profité de ce répit pour voir Mahé, se promener avec lui dans les rues de Lyon, ou dans les campagnes environnantes, et tenter toujours plus de se rapprocher de lui. Mais sa soif d’apprendre, d’appartenir tout entier au Domaine Occulte, avait repris le dessus. Il avait tenté de garder son impatience secrète et avait enduré la torture de l’attente, alors que d’autres continuaient à être initiés, et à recevoir les dons d’Ulome.

    La dernière était une certaine Diane. Il l’avait vue partir dans le labyrinthe, pendant la dernière célébration commune. Il l’avait vue entrer dans les dédales mystérieux d’Ulome, et les avait surveillés tout le reste de la soirée. Mais elle n’était pas ressortie ce soir là. Personne ne l’avait revue depuis. Et personne ne la cherchait.

    Elle s’était sûrement enfuie, lui avait dit Ogora, moqueuse. Peut-être qu’Ulome l’avait envoyée dans un autre Domaine Occulte, avait déclaré Mahé. Peu importait, en vérité. Une chose était certaine : elle avait été initiée, elle avait reçu le don.

 

    C’était dans cet état d’envie et de jalousie qu’il avait appris la nouvelle. Un peu plus tôt, dans la matinée, Raiden lui avait téléphoné. La voix douce et sucrée de la jeune fille l’avait bercé un moment avant qu’il ne comprenne ce qu’elle tentait de lui dire. En début d’après-midi, il devrait se rendre dans « Le Coin des Érudits », la bibliothèque du Domaine, pour commencer la deuxième partie de son initiation. Le moment était enfin venu.

    En entrant dans la salle, il avait sursauté bêtement à cause des bougies. Il avait oublié que Raiden les avait ensorcelées afin qu’elles s’allument automatiquement à la venue de quelqu’un. Il n’avait pas remis les pieds dans cet endroit, qu’il trouvait sordide, depuis qu’il avait lutté aux côtés de Kami et Raiden contre les Descendants d’Eren. La pièce avait beau être somptueuse, les meubles en bois fabuleux, et l’atmosphère chaleureuse, Ayhan n’était pas du tout à l’aise.

    Il avait fait un tour rapide, serpentant entre les tables, les chaises, et les étages de livres, puis, après avoir constaté qu’il était seul, s’était installé dans un coin. Sa chaise craquait régulièrement alors qu’il feuilletait un gigantesque recueil de poésie. Baudelaire, Verlaine, Rimbaud… Des auteurs qui, paraissait-il, étaient merveilleux et qui lui étaient pourtant presque inconnus.

    Il aurait tellement voulu avoir le temps de se consacrer à toutes sortes de lecture, poésie, théâtre, roman. Mais il n’avait pu jusque là. Ses véritables passions étaient plus contemporaines. L’informatique, la mécanique, l’électricité. Rien de ce que l’on appelait pompeusement la « culture ». Combien de fois s’était-il senti stupide ici, alors que tout le monde semblait tout connaître et tout comprendre. Même lors de ses conversations avec Mahé, Ogora ou Raiden, il avait bien compris qu’il n’avait pas leur niveau.

    Il continuait à tourner les pages, plus absorbé par ses pensées et ses lamentations que par les vers alcoolisés d’Apollinaire, quand sa main se figea. Sa tête bascula soudain sur le côté, et sa bouche s’entrouvrit légèrement alors que le recueil tombait au sol.

    Une douleur aigüe lui lacéra le crâne. Il ne pouvait rien faire, ni se tenir la tête, ni même crier. Il était totalement paralysé, comme un pantin débile et inarticulé qui aurait vainement tenté de se libérer de son sort.

    La souffrance était toujours plus intense, toujours plus lancinante et il sentait son sang s’échapper de son nez pour couler sur son visage. Étaient-ce des larmes qui passaient dans le col de sa chemise ? Il voulait hurler, appeler à l’aide, mais rien ne fonctionnait en lui. Il ne pouvait pas bouger.

    Ses souvenirs se mêlèrent dans une épaisse confusion mentale, un brouillard l’envahit, et le temps sembla se suspendre. Il avait la sensation de flotter, la douleur fuyait lentement, ainsi que sa conscience. Une lumière intense brillait au loin, une lumière chaleureuse et puissante. L’on aurait cru qu’elle désirait le rassurer.

    Il ne se posait pas vraiment de question, il voulait simplement atteindre cette lueur, s’y lover et ne plus rien connaître d’autre. Il avança la main, comme dans un rêve. Cela lui sembla si simple, si indolore. Oui, il n’y avait désormais plus aucune souffrance dans son corps. Et puis, il se leva. Il tenait sur ses jambes, à moins qu’il ne lévite, et s’approcha de la lumière.

    Il la transcenda, comme on transcende les ombres nocturnes. Elle avait une source, une espèce d’éclat concentré qui diffusait tout autour une opalescence déroutante et asservissante.

    Mais l’idée qu’il était mort le saisit alors. Où se trouvait-il ? Kami ne lui avait-il pas déjà parlé d’un endroit semblable qu’il avait aperçu dans une vision ? Plus ou moins un paradis d’après ce qu’il se souvenait ?

    Ses idées se firent à nouveau claires et précises. Il ne percevait plus vraiment son corps, il n’avait plus de limite physique, en tout cas c’est ce qu’il ressentait, mais sa conscience lui sembla soudain immensément aiguisée. Oui, c’était bien ça, le paradis. Il était désincarné, il en avait terminé de sa vie humaine et, maintenant, il pouvait enfin admirer l’éternité.

    L’éclat intense sembla vaciller, rappelant l’attention du jeune homme. Il semblait se parer de sa plus belle lueur, comme pour attirer Ayhan. Le garçon tendit les doigts vers cette source iridescente, doucement, pour la caresser et la flatter. La brûlure fut immédiate et douloureuse.

    Il ferma les yeux une seconde, puis les rouvrit. La flamme de la bougie dansait encore, comme pour se moquer de la cloque qui se formait déjà au bout de ses doigts. Il se souvenait. La bibliothèque. Les bougies ensorcelées. Il n’était pas mort, évidemment. Il était bien vivant. Il passa sa main sur son visage. Son corps était terriblement froid et quelques gouttes de sang avaient perlé sur sa lèvre supérieure. Que s’était-il passé au juste ? Il secoua la tête. Sa vision revenait petit à petit, lui dévoilant à chaque seconde un nouveau détail, lorsqu’un craquement timide retentit.

    — Tu es Ayhan.

    La voix qui avait prononcé son nom paraissait sortir de nulle part. Elle était à la fois basse et métallique, chaude mais terrifiante. Il chercha des yeux, un instant, et perçut une présence au fond de la salle. L’homme s’avança, se détachant des ténèbres. C’était un très bel homme, sûrement plus vieux que lui de quelques années. Il avait la peau dorée, presque brune en fait, et des yeux profonds, aussi sombres que sa magnifique crinière. Il posa sa main osseuse, magnifiquement sensuelle, sur l’épaule d’Ayhan.

    — Tu es venu pour me rencontrer, pour continuer l’initiation.

    — Tu es Raven ?

    La question n’en était pas vraiment une. Bien sûr qu’il était Raven. Combien de fois avait-il demandé à Mahé de le lui décrire ? Il reconnaissait tout de ce que son ami lui avait dit. La voix suave et masculine, l’aura mystérieuse et ce sourire en coin indétrônable. Même sa musculature fine et nerveuse, qu’il ne pouvait qu’imaginer sous le sombre pull à col roulé, lui semblait familière. Il dégageait une odeur musquée qui rappelait à Ayhan un épice dont il n’arrivait plus à retrouver le nom. L’hébétude dans laquelle il nageait était-elle provoquée par sa récente expérience ou par le fameux Raven ? Comme il était beau !

    — Te sens-tu vraiment prêt, très cher, pour entamer notre épopée ? Notre cheminement sera pénible, crois-moi.  Il ne suffit pas de tailler une âme, comme on taille un diamant, pour rendre un être précieux. Il faut aussi travailler son esprit et son corps, et c’est un labeur bien difficile lorsque l’on a peu de temps comme toi. 

    Ayhan voulu répondre, mais il ne savait pas quoi dire. Il aurait aimé avoir assez d’éloquence, ou ne serait-ce qu’un semblant de rhétorique, pour suivre les belles phrases de son nouveau mentor. Mais ce n’était pas le cas. Il n’avait qu’un esprit moyen. « Je vois le doute en toi. C’est normal. Mais ce n’est pas plus acceptable que la médiocrité. Nous sommes tous passés par ces moments de remise en question. Mais pour toi, ce n’est plus l’heure. Sache simplement qu’aucun d’entre nous n’est entré au Domaine Occulte plus vif, plus beau, plus puissant qu’un autre. Tu n’es pas moins bon, et Ulome t’a choisi. Tu devrais t’en satisfaire. Ayhan hocha la tête, en signe d’assentiment.

    « Bien. A présent ne pense plus à ce genre de futilités. Ce n’est plus l’heure. Tu dois te consacrer totalement, sans retenue aucune, à notre apprentissage. Mais, avant, dis-moi. Depuis quand es-tu malade ?

    Le garçon resta bouche bée. Il faisait tout pour ne pas penser à ses problèmes. Il n’avait plus jamais eu de symptôme, et il n’en avait pas parlé aux personnes du Domaine Occulte. Alors, comment savait-il ?

    — Comment…

    — Comment suis-je au courant que tu as été victime d’un AVC ? Voilà quelques temps que je te regarde, et ton œil droit, ne serait-ce que lorsque tu as cligné du gauche, ne s’est pas fermé à un seul moment.

 

***

 

7 Décembre, 4 ans avant l’Avènement, Poznan, Pologne.

 

    La Pologne était un pays surprenant à d’infinis égards. Ce qui frappait toujours les voyageurs, c’était avant tout la splendeur du territoire. Mais pas seulement. Il y avait tant d’idées reçues sur la Pologne que l’on était sans cesse étonné. Par la population, les panoramas, le climat, le niveau d’instruction, ou la vie générale dans le pays.

    Kami et Syrine n’échappaient pas à la règle. Ils s’extasiaient derrière leur vitre, écarquillant les yeux devant les deux parcs nationaux qu’ils avaient longés des jours durant. Les paysages étaient splendides, et les journées terriblement agréables, malgré le froid qui commençait à se faire insistant, présageant un prochain hiver sûrement rude.

    Ils avaient d’abord traversé la région de Drawienski, ses lacs fabuleux, presque féeriques, et sa verdure étonnante regorgeant de vies animales. Puis, au début du mois de décembre, ils avaient atteint la cité de Pozna?, splendide capitale de la région de Wielkopolska.

    En arrivant, après avoir traversé la campagne polonaise, les deux amis furent soulagés de retrouver, enfin, l’agitation urbaine. Comment allaient-ils vivre leur premier hiver à l’Est de l’Europe ? Déjà, par endroits, ils avaient pu s’étonner des couches de givre recouvrant les plantes et les routes. Il y avait eu quelques chutes de neige. Neige qui, heureusement, n’avait jamais tenu. Mais Kami avait d’ores et déjà installé les pneus cloutés sur le camion. Malgré ce froid, le soleil restait fort présent dans le ciel, et illuminait la progression des deux sorciers.

    Le garçon était heureux de profiter, enfin, de la douceur des climats plus tempérés, et de la fraîcheur des soirées. Il portait constamment une longue veste de fine laine noire, qui lui suffisait amplement pour résister à l’arrivée timide de l’hiver, alors que Syrine s’emmitouflait depuis plusieurs semaines dans d’épais cardigans hivernaux et de chauds pull-overs.

    Elle portait un tricot immaculé le jour de leur arrivée, en angora à col roulé sur lequel elle superposa une petite veste de toile bleue en descendant du camion. Ils garèrent le véhicule à l’entrée de la ville et firent appeler un taxi pour leurs premiers pas dans Pozna?.

    Ils firent d’abord un premier grand tour, pour avoir une vue d’ensemble, puis très vite ils demandèrent à leur chauffeur de les immerger dans les ruelles de la cité. Ils étaient complètement dépaysés. Chaque détail les frappait avec force, chaque chose infime marquait plus franchement la distance avec la France, leurs amis, leurs familles. Ici, contrairement à l’Allemagne, les repères vacillaient.

    Les mêmes sentiments contradictoires les animaient. Etaient-ils mélancoliques, regrettaient-ils tout ce qu’ils avaient laissé derrière eux ? Chaque découverte était à la fois une nouvelle illumination et une terrible torture, presque insoutenable pour leurs esprits fatigués et leurs âmes toujours meurtries.

    Mais les récentes résolutions de Kami lui donnaient une force, une résignation toute puissante que Syrine n’avait pas. Elle avait fait son deuil depuis longtemps, elle, et était donc bien plus démunie face aux nouvelles attaques que menaient ses regrets et ses doutes. Kami n’était pas dupe et voyait bien dans les yeux de son amie, ses grands yeux noisette embués de larmes, que l’extase procurée par la cité polonaise la bouleversait profondément.

    Il fit signe au conducteur de s’arrêter et entraîna son amie dehors. Ils venaient de descendre sur la grande place de Poznan, dont les petits pavés étaient étonnamment réguliers. Sur cette place, il y avait une statue en bronze – peut-être était-ce une fontaine, mais alors elle ne fonctionnait pas – que Kami ne put s’empêcher de caresser délicatement du bout des doigts. Et puis, un peu plus loin, toute une rangée de maisons aux peintures dépareillées.

    Leurs couleurs criardes juraient les unes avec les autres, le rouge passé, le jaune poussin, le marron pastel, le bleu liquide et le vert olivâtre… Il n’y avait pas un ton en accord avec son voisin, pas une seule couleur qui méritait d’être remarquée, et pourtant cet étalement de mauvais goût avait un charme incomparable, une aura immense et une beauté déroutante.

    Syrine fixait les architectures d’un œil expert. Là aussi, le mélange des styles et des matériaux était à la fois choquant et fabuleux. La jeune femme ne savait plus si elle avait horreur de ce qu’elle voyait, ou s’il s’agissait là d’une divine révélation. Les habitants de Pozna? étaient-il des imbéciles dépourvus du sens de la beauté ou des dieux géniaux et inégalables ?

    Ils restèrent tous les deux, prostrés là, durant une bonne demi-heure. Cette place, qui devait être tellement commune pour les habitants de la ville, apparaissait aux deux amis comme une merveille ancestrale. Aimaient-ils ce qu’ils voyaient ? Ils étaient toujours incapables de le dire, toujours incapables de ressentir quoi que ce fût de cohérent ou d’intelligible.

    Finalement, ils se remirent en route, dans un silence éloquent. Leurs yeux étaient mouillés de larmes, et leurs visages totalement perdus. Toute leur volonté semblait s’être évanouie. Ils remontèrent dans la voiture qui les attendait non loin de là. La nuit était tout juste en train de tomber, drapant doucement Poznan d’un voile ténébreux et légèrement glacé.

    Ils roulèrent quelques minutes puis, au coin d’une rue, des éclairages multicolores attirèrent le regard des deux sorciers. Des projecteurs rouges, verts, et bleus balayaient la façade d’un vieil immeuble. Le monument était impressionnant, d’un cachet à en couper le souffle.

    La pierre, parfaitement blanche, était délicatement polie et sculptée sur toute la hauteur, formant des volutes et des tournoiements enivrants que l’imagination se pressait de modeler en visages. Les deux balcons, au troisième étage, étaient ornés de barrières en fer forgé aussi savoureusement ouvragées que le reste du bâtiment. Les rayons lumineux traversaient follement la route où des voitures se pressaient, nullement gênées par ce balai aveuglant. Le spectacle était des plus délicieux.

    Syrine hurla au chauffeur de s’arrêter, et se tourna vers Kami.

    — As-tu vu l’enseigne ? Le garçon plissa les yeux, cherchant à transcender les explosions fluorescentes qui l’empêchaient de lire correctement les lettres noires, tracées délicatement au-dessus de la fabuleuse entrée.

    — La Maison de France… Ha oui, c’est vrai que ce n’est pas commun pour un aussi grand bâtiment. Ils auraient dû l’appeler le Palais polonais ou…

    — Tais-toi donc ! Tu vois bien qu’ils ont écrit directement en français ! Le chauffeur se retourna vers Syrine et, lui adressant un sourire, prit la parole dans un anglais plus qu’approximatif.

    — Vous ne devriez pas vous arrêter ici. Cette maison est assez… spéciale. La clientèle est plutôt aisée et… avertie. Piquée au vif, la jeune femme jeta à l’homme une liasse de billets et descendit sur le trottoir, Kami à sa poursuite.

    — Je n'y crois pas ! Il nous a pris pour de vulgaires touristes ! Tu l’as entendu, avec son air condescendant et son anglais ridicule ? Le jeune homme regardait son amie vociférer et agiter les bras, un sourire narquois sur les lèvres. Il s’arrêta et détailla longuement la rue où ils se trouvaient. De chaque côté, les trottoirs étaient légèrement abimés. Il n’y avait presque aucun piéton, mais la circulation automobile était dense, une espèce de cafouillage technologique qui ajoutait un peu plus de précipitation et de ridicule aux paroles insensées de Syrine.

    — Mais, qu’est-ce que ça peut bien nous faire ? demanda-t-il au bout de plusieurs minutes. La jeune femme ouvrit grand les yeux et resta bouche bée. « Je le trouvais plutôt agréable ce chauffeur. Et puis, nous sommes de vulgaires touristes. Enfin, si tu as décidé de te la jouer précieuse… Sans problème. On a qu’à descendre ici puisqu’on y est, et puis le bâtiment semble plutôt intéressant.

    La jeune femme suivit Kami lorsqu’il traversa l’avenue, mais ne décrocha plus un mot. Comme trop souvent lorsqu’elle était vexée, elle se referma sur elle-même, se plongeant sans retenue dans ses pensées, ruminant ses rancœurs et se plaignant secrètement.

    Kami passa le seuil en premier. C’était deux grandes portes en bois clair, travaillé et ornementé par ce qu’il imaginait être des artistes réputés d’autrefois. Dans l’entrée, tout était simple. Il y avait des sofas de parts et d’autres, contre les murs, et, au bout, une réception où deux jeunes hommes se tenaient droit et observaient l’arrivée de Kami et Syrine. Celui de gauche, un grand et robuste blond, afficha un sourire poli et esquissa un mouvement.

    — Madame, Monsieur, bonsoir. Bienvenue dans la Maison de France. Désirez-vous séjourner ici, ou simplement passer dans la salle de spectacle ?

    Première surprise. L’homme parlait un français impeccable. Les mots étaient clairs et sortaient naturellement de sa bouche. Syrine ne bougea pas d’un iota. Elle était à la fois médusée et heureuse. Après avoir été brutalement dépaysée par la ville, voilà qu’ils se retrouvaient dans un hôtel splendide, ni trop faste, ni trop épuré, dans lequel tout le monde semblait parfaitement connaître la langue de Molière. Kami s’appuya légèrement sur le bureau qui semblait fait de porcelaine tant il était lisse et délicat.

    — Nous allons prendre deux chambres, pour une période indéterminée. Nous passerons sûrement l’hiver à Pozna?, alors nous ne sommes pas le moins du monde pressés. Il sortit sa carte bancaire et la déposa devant l’homme qui leur avait adressé le premier la parole.

    Le deuxième, blond lui aussi mais un peu plus frêle, saisit deux cartes magnétiques, contourna la réception puis, se courbant légèrement : 

    — Si vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer vos chambres.

    Ils prirent les escaliers. Il ne semblait pas avoir d’ascenseur. Ils grimpèrent les étages en passant les marches épaisses, recouvertes de moquette. Arrivés au deuxième, ils avancèrent une minute ou deux puis débouchèrent enfin sur une multitude de portes beiges.

    Syrine observait tout avec la plus grande attention : la moquette délicate sur le sol, aussi immaculée que les murs, et les fleurs séchées posées, ça et là, dans de jolis vases jaune pâle. Elle n’avait toujours pas parlé, mais ses yeux étaient brillants d’excitation. Quelle vie de rêves ils allaient passer ici ! La fortune de Kami était une aubaine, elle n’osait pas imaginer comment ils s’en seraient sortis sans elle. On leur montra leur chambre respective, et leur confia les passes magnétiques, ce qui valut au garçon un coquet pourboire.

 

    La jeune femme s’installa sur son lit. Elle venait d’ouvrir les robinets de la baignoire et d’y verser quelques huiles essentielles. Elle avait une petite sacoche dans laquelle elle avait regroupé des vêtements, deux ou trois bougies, ses plus beaux bijoux, bien entendu, et son parfum favori. La chaleur était étouffante dans l’hôtel, elle enleva sa veste, puis son pull, et alluma les bougies, les gardant comme unique source de lumière. L’épaisse couverture, couleur havane, sentait le frais et la nature. Elle y plongea un instant le visage puis, se relevant, ferma les rideaux bruns.

    Quelque chose semblait vouloir attirer son attention dans un coin de son esprit. La Levée du Voile. Elle revit, l’espace d’un instant, Sovana qui pleurait au bord de l’océan de sang. Le rêve qu’elle avait fait où, pour la première fois, elle avait vu la petite fille brune, celle sur laquelle elle avait promis de veiller. Qu’était-il arrivé à Sovana? Avait-elle, finalement, abandonné ses espoirs de vengeance ?

    Syrine retourna dans la salle de bain. Cette pièce aussi était splendide, décorée de façon sobre et élégante, dans les mêmes tons caramels que la chambre. Elle se dévêtit et plongea dans le bain chaud et parfumé. Ses muscles se détendirent petit à petit, son esprit lui rappela certaines choses qu’elle avait pu observer ici, en Pologne, et qui lui faisaient monter les larmes aux yeux. Et puis ses pensées s’embrumèrent, jusqu’à se brouiller totalement. Elle s’endormit lentement, bercée par les volutes savoureuses qui s’élevaient autour d’elle.

    Au bout d’un moment, dans une confusion totale, elle sentit des mains qui la caressaient. Elles la baignaient, affectueusement, lui passant délicatement l’eau brûlante sur la peau. « Adam », murmura-t-elle. Il n’y eut pas de réponse, mais ça lui était égal. Ses paupières étaient si lourdes qu’elle ne pouvait pas les ouvrir assez pour voir distinctement. Il y avait une vague silhouette, au bord du bac, mais dépourvue de détails. La main lui rinça les cheveux, et des lèvres se posèrent sur les siennes.

    — Chut, mon amour. Tu sais, je pense qu’il ne te retrouvera pas. Il sera bien trop occupé à ne pas mourir, comme tous les autres.

    Syrine sentit la panique poindre au fond d’elle. C’était Lui, la présence, le fantôme. Mais, alors que la terreur aurait dû la submerger, elle se rendit compte que l’excitation l’emportait largement. Elle tenta d’ouvrir les yeux, mais ne put s’y résoudre. Les savoureuses attentions de cette présence la forçaient à se contorsionner et à garder les yeux clos.

    — Non, il reviendra, réussit-elle à souffler. Il a promis.

    — Ne nous disputons pas, ce n’est pas la peine. Je suis là pour te prévenir d’un danger. Les Descendants d’Eren savent que vous êtes ici. Ils ne tarderont plus à partir après vous. Il faut vous méfier de tout le monde.

    — Je me méfie de tout le monde.

    La main vaporeuse passait maintenant sur la poitrine de la femme, lui agaçant légèrement un sein, puis l’autre, et descendant voluptueusement sur son ventre. Des frissons traversaient Syrine, de puissantes ondes qui la soulevaient presque. Sa tête bascula sur le côté.

    — Mais, à moi, tu peux faire confiance aveuglément.

    — J’ai confiance.

    L’idée ne lui avait jamais traversé l’esprit, et pourtant, cet aveu, cette foi inconditionnelle en son tourmenteur lui était venue du fond du cœur. Elle ne réussissait toujours pas à raisonner. Que devait-elle faire ? Crier ? Appeler au secours ? En avait-elle seulement envie ?

    Non, elle voulait que le moment perdure, que cet instant soit suspendu indéfiniment et que tout s’arrête là, avec lui, avec cette chose qu’elle redoutait et qu’elle aimait tout à la fois.

    La main se retira, son souffle frais disparut petit à petit et son passage put enfin se confondre au rêve que la jeune femme fit et dont elle ne se souvint pas.

 

    Quelques heures plus tard, Kami quittait l’hôtel sans prévenir. Lorsque Syrine frappa à sa porte, personne ne répondit et, à l’accueil, on ne savait rien de plus qu’elle. Elle se souvint alors que le réceptionniste avait parlé d’une salle de spectacle.

    Elle s’était élégamment vêtue, profitant de la chaleur de l’endroit pour passer une fine robe brune. Elle portait de longues boucles d’oreilles en verre, et son talisman de prédilection : Amulline, cette splendide roche de cristal, taillée tel un joyau, et dont la force protectrice était inégalable.

    Elle passa une porte, juste à côté de la réception, d’où s’échappait une douce musique de violon. Un long couloir la mena dans une immense pièce où la lumière était tamisée. Il faisait presque totalement noir. D’imposantes colonnes, d’un bleu très foncé, soutenait le plafond et rendait la salle encore plus époustouflante. Des tables arrondies étaient placées un peu partout, petites, en bois noir, drapées de voiles transparents tirant sur des tons prune, et des bougies étaient disséminées au hasard pour éclairer faiblement la pièce.

    Syrine s’avança, le plafond était très haut, plus qu’à la réception. Elle découvrit une scène, plutôt petite, sur laquelle une jeune femme jouait sur un violon splendide. Elle s’installa et observa autour d’elle. Presque toutes les tables étaient occupées, par des hommes en majorité, qui ne regardait aucunement la violoniste.

    Ils n’avaient d’yeux que pour les serveuses, certaines étaient d’ailleurs un peu dénudées. Les mots du chauffeur de taxi lui revinrent à l’esprit « La clientèle est plutôt… avertie ». Elle observa l’une des charmantes serveuses, qui apportait un verre à un gros homme hirsute. Il lui glissa des billets dans le soutien-gorge et l’installa sur ses genoux. Le client lui susurra quelques mots à l’oreille, elle gloussa et se frotta tout contre lui.

    Elle comprenait, petit à petit, que ce n’était pas un simple hôtel mais une véritable maison de passes. Autour d’elle, des dizaines d’hommes payaient pour voir l’une des serveuses se contorsionner juste devant eux, s’asseoir sur leurs cuisses, ou bien encore leur délivrer quelques baisers. Certaines d’entre elles tiraient un peu sur le bras de leur client pour les entraîner, imaginait-elle, dans les chambres au-dessus.

    Syrine avait les joues en feu. Elle ne s’était pas préparée à voir ce genre de « spectacle ». Il y avait également quelques serveurs, qui gentiment se prêtaient à des clientes, mais ils étaient à la marge. Les serveuses allaient également vers les femmes qui les réclamaient, et les serveurs ne refusaient rien non plus. C’était un balai sans fin, car les clients semblaient bien vite se lasser.

    La sorcière tentait de ne fixer personne, de ne pas juger, quand la musique changea soudainement. Elle tourna les yeux vers la scène. La jeune femme jouait maintenant compulsivement, matraquant les cordes de son instrument pour en tirer un son mélodieux et bouleversant. C’était une splendide créature, ses cheveux étaient roux, très clair, pas comme les siens qui étaient plus sanguins. Elle avait un visage extrêmement fin, fragile et délicat, avec des pommettes franches et rougies par l’effort qu’elle fournissait. Elle fermait les yeux et se balançait, comme possédée. L’émeraude qu’elle portait autour du cou ne cessait de se cogner entre ses seins. Sa robe blanche tombait sur ses hanches exquises, aussi délicates que le reste de son corps. Les vibrations étaient poignantes, Syrine avait le cœur serré. C’était une musique triste, qui racontait une fuite, loin, très loin de tout.

    Voilà que des larmes roulaient sur les joues de la sorcière.

    Une autre femme était apparue sur la scène. Elle était moins élégante, moi apprêtée. Ses jambes étaient entourées de bandes noires. Elle portait un simple short sombre et sa poitrine était retenue par un bandeau. Elle se coucha devant la violoniste qui faisait mine de l’ignorer totalement, ou peut-être l’ignorait-elle vraiment tant sa musique l’avait transportée loin de cette salle.

    Mais non, elle ouvrit brutalement les yeux sur la nouvelle venue et les cris du violon se firent plus amples, moins rapides. La deuxième femme, une brune, se mit à se mouvoir, à onduler sur le sol, gracieusement, puis tout son corps se souleva. Elle semblait être traversée par des soubresauts, des chocs internes qui la rendaient chaque fois plus envoûtante.

    Il y avait une espèce de lien entre la violoniste et la danseuse, une sorte de position de force pour la musicienne, et une soumission pour l’autre. Elles étaient aussi belles l’une que l’autre, différemment, mais aussi belles. Les hommes dans la salle semblaient s’être apaisés. Ils observaient, pour la plupart, l’étrange spectacle que les deux femmes offraient.

    Le violon emplissait chaque recoin de l’endroit, et tous les spectateurs se trouvaient dans une transe subtile. La danseuse suivait le rythme de sa maîtresse, elle paressait se durcir quand les coups d’archet devenaient violents, paniquer lorsque la cadence enflait, et ses yeux, ses grands yeux bleus étaient écarquillés, vrillés de stupeur et d’agitation. Pourtant, le reste de son visage n’exprimait que grâce et volupté.

    Elle s’avança au bord de la scène. Le violon émit un cri désespéré et elle se jeta au sol, non loin des pieds de Syrine. Elle tournoya un moment autour de la sorcière, comme si elle tentait de communiquer, et puis elle partit plus loin, vers une autre table. Elle dansa quelques instants devant l’un des clients et, une fois de plus, s’en alla vers un autre.

    Impossible de savoir combien de temps cela dura. Syrine avait repris la contemplation de la virtuose, dont les mains délicates martelaient, sans interruption, le bel instrument. C’était une artiste, une de ces rares prodiges capables de vous assommer par leurs mélodies, une de ces personnes si spéciales qui paraissent tout à la fois inaccessibles et à qui vous vous identifiez pourtant trop facilement.

    Comme elle l’aimait sa violoniste ! Quelques soient les mœurs de l’endroit, Syrine ne voulait plus jamais quitter cette musique. Elle voulait y vivre, elle voulait y mourir. Ne plus rien se rappeler, et ne plus rien connaître d’autre. Et la danseuse, la si jolie danseuse, qui avait une grâce et une agilité inimitables… elle l’aimait tellement elle aussi ! Cette esclave du violon, esclave de la mélodie au même titre que tous les auditeurs présents.

    Syrine avait de nouveau les larmes qui coulaient. Elle tentait de réfléchir mais tout lui semblait si difficile, elle avait l’impression de n’être capable de rien d’autre qu’écouter l’histoire que l’instrument semblait conter. Puis l’idée confuse lui vint à l’esprit. Avait-elle trouvé sa nouvelle maison ? Était-ce la fin de son voyage avec Kami ? Et si sa vie devait s’arrêter là, à Pozna?, avec ces deux fabuleuses nymphes, ces rencontres bouleversantes. Son cœur se serra plus fort. Aurait-elle, le moment venu, la force de choisir entre le voyage et la volupté. Repartir ou rester là ?

 

***

 

22 Décembre, 4 ans avant l’Avènement, Lyon, France.

 

    Ayhan allait, pour la première fois de sa vie, passer un Noël loin de sa mère. Il pensait parfois à elle, au manque qu’elle devait sûrement éprouver depuis qu’il était parti et aux cadeaux qu’il n’aurait pas.

    C’était le 22 décembre, il était allongé dans un sofa au Domaine Occulte, et s’interrogeait sérieusement : devait-il ou pas acheter un cadeau à Ulome ? Bien entendu, il en avait déjà trouvé pour Mahé et Ogora dont il se sentait proche, ainsi que pour Raiden et Raven, qu’il aimait beaucoup également. Mais Ulome ? Ne serait-ce pas déplacé ? Il ne l’avait pas revu depuis des mois. Il ne le connaissait pas du tout finalement, et personne n’osait en parler vraiment.

    Raven fit son apparition alors que le dilemme enflait encore dans l’esprit d’Ayhan. Une fois de plus, il put admirer la beauté ténébreuse de son nouveau formateur. Son médaillon oscillait à son cou. Le rubis dont il était serti projetait une drôle de lueur à laquelle il ne s’habituait pas. Cela faisait presque six semaines qu’il était entré dans sa vie, et ils n’avaient presque jamais parlé ensemble.

    Raven était quelqu’un de plus que discret, mystérieux, tout semblait opaque lorsqu’il parlait. Il n’était pas bavard non plus et n’ouvrait jamais la bouche pour rien. Ils avaient passé tout leur temps à étudier, rien d’autre. En fait, Ayhan s’était attendu à une initiation plus magique. Mais ça n’avait pas été le cas, et il avait déçu, au début en tout cas.

    Raven l’avait forcé à lire des dizaines de livres, chose dont il n’avait aucunement l’habitude, sur la philosophie, la politique, les sciences, l’Histoire… Ensemble ils s’étaient plongés dans l’étude des grandes civilisations et des premières sociétés, l’Égypte, les Sumériens, la Chine, les Aztèques, mais aussi la Grèce ou Rome.

    Bref, Ayhan avait passé des journées entières dans des bouquins poussiéreux. Durant des heures, il avait lu sans répit, ingurgitant tout le savoir dont il était capable. Très souvent, il avait pris des maux de tête ingérables, le forçant à reposer ses yeux et à aérer son esprit. Enfin, il avait compris. Jusque là, il s’était toujours senti plus bête que les autres initiés. Mais, eux avaient déjà eu cette intense période d’étude.

    — Bonsoir Ayhan. Tu te reposes encore ? La question sonnait presque comme un reproche, les joues du garçon rougirent aussitôt.

    — C’est que… J’ai passé toute la journée à étudier. Mes yeux brûlent, c’est une horreur, se justifia-t-il.

    — Peut-être pourrais-tu arrêter quelques jours. Nous allons fêter Noël ici, si tu veux te joindre à nous. Il y aura Raiden, Mahé, Ogora et quelques nouveaux initiés aussi.

    — Ho ! Merci, j’en serais ravi. Ma famille est loin à présent, et je n’avais pas envie d’être seul ce soir là.

    — Je comprends. Nous sommes une famille, au Domaine Occulte, et tu en fais partie tu sais. Ayhan sentit des larmes lui brûler les yeux. Il n’aurait osé imaginer une telle invitation ! C’était inespéré.

    Raiden entra à son tour dans l’Antre des Maudits, manifestement très joyeuse. En approchant, elle fredonnait une mélodie guillerette.

    — Hey les garçons ! Elle avait détaché ses beaux cheveux, ils brillaient naturellement, indépendamment des lumières, et cascadaient tout autour d’elle. Elle avait un sourire rêveur sur les lèvres. Ses joues creusées lui donnaient un air plus vieux, mais aussi plus séduisant.

    Raven caressa furtivement le bras de la jeune femme, laissant leurs mains s’effleurer, puis reporta son attention sur Ayhan.

    — Eh bien, profite de ces quelques jours. Après les fêtes, nous entamerons une autre phase de ton initiation.

    Le jeune homme hocha vivement la tête, avide et impatient de savoir ce qui l’attendait. Mais son mentor s’éloignait déjà pour disparaître rapidement dans le labyrinthe d’Ulome. Il regarda le lourd rideau se refermer sur les dédales, songeur sans trop savoir pourquoi, et puis observa Raiden, plus lumineuse que jamais.

    — Ce sont les fêtes qui te rendent si euphorique ? La jeune femme éclata de rire en agitant son visage.

    — Non, non. Elle reprit son sérieux, toujours avec le même sourire mystérieux. « Seulement, tu sais, dans la vie on rencontre souvent de nouvelles personnes, on vit sans cesse de nouvelles choses. Mais on ne pense jamais qu’une rencontre peut surgir de notre passé. » Elle regarda à son tour le rideau qui masquait l’entrée des dédales. « En fait, on devrait inventer un mot pour les re-rencontres. Tu comprends ? On peut avoir estimé qu’une rencontre était mauvaise, autrefois, puis avoir un avis totalement différent, quelques années plus tard. Tu ne crois pas ?

    — Si, sûrement. Honnêtement, je ne sais pas. Ça ne m’est jamais arrivé…

    — Les gens sont bornés. Ils ne croient pas en l’être humain. Mais, moi, j’ai la conviction que l’on peut changer, que l’on peut être meilleur en le voulant vraiment.

    — Oui, je crois que tu as raison. Faut-il seulement que l’on nous donne notre chance…

    — Exactement !

    La jeune femme sautilla jusqu’au bar. Il n’y avait encore personne. Elle alluma la stéréo et prépara deux cocktails. Elle chantait, tout en agitant le shaker et en se dandinant à contre-rythme. Ayhan ne l’avait jamais vue comme ça. Oui, c’était une fille fraîche, pleine de vie, mais elle n’avait jamais été aussi extravertie devant lui.

    Elle s’installa à ses côtés, lui tendit un verre multicolore, et posa sa main sur la cuisse du garçon.

    — Et toi, Ayhan ? Comment vas-tu ? J’ai cru comprendre que ça allait plutôt bien avec Mahé ? Il rougit une fois de plus, bredouillant quelques mots incompréhensibles.

    — Oui, heu… ça va. Disons que nous nous voyons moins souvent depuis que Raven s’occupe de moi. On travaille tellement. Mais ça se passe bien. Mahé est adorable, il est infiniment compréhensif.

    — Oui, c’est quelqu’un de bien. Elle tourna la tête, visiblement à l’affût. « Baisse la musique s’il te plaît.

    Ayhan se précipita sur la chaîne et arrêta le CD qui passait.

    Une fraction de seconde plus tard, une explosion retentit en haut des escaliers et Ogora dévala les marches, accompagnée de trois jeunes apprentis.

    — Ayhan, Raiden ! Ce sont les Descendants d’Eren ! » Ayhan regarda les deux femmes, il était terrifié.

    — Je n’ai pas mes chaînes avec moi. Y a-t-il des armes ici ?

    — Non, il n’y a rien, répondit Raiden. On ne peut compter que sur le don d’Ogora et le mien. Les autres, cachez-vous derrière le bar ! Ayhan se ressaisit.

    — Raiden, je n’ai pas eu besoin du Domaine Occulte pour avoir le don de télékinésie. Vous aurez besoin de moi ! La jeune femme ne réfléchit pas et hocha la tête. Elle se souvenait du garçon, lorsqu’ils avaient combattu pour la première fois la secte. Il avait été impressionnant, pour un non initié.

    Déjà, des hommes et femmes envahissaient l’Antre des Maudits. Tous avaient un serpent tatoué autour du poignet. Ils dévalèrent les escaliers, faisant flotter leurs capes derrière eux et se figèrent, l’air menaçant, face aux trois jeunes gens. Une véritable petite armée. Ils étaient une bonne vingtaine, mais il ne semblait pas avoir de meneur. Tous fixaient l’entrée du labyrinthe, manifestement avides de s’y précipiter et de tenter à nouveau de supprimer Ulome.

    Ogora frappa dans ses mains. Un mur de flammes s’éleva instantanément entre les trois sorciers et leurs assaillants. Raiden se tourna vers les jeunes qui s’étaient accroupis derrière le bar et les enveloppa dans une épaisse bulle de protection « Ne bougez pas ! ». Aussitôt, un homme rondelet leva les mains, projetant une bourrasque qui éteignit rapidement le feu d’Ogora et s’élança vers elle. Ayhan le projeta violemment en arrière, l’immobilisant sur le sol par la force de l’impact. Il était conscient que le nombre des Descendants d’Eren finirait par avoir raison d’eux.

    Une main se posa sur son épaule. C’était la jeune femme qu’il avait aperçue pendant la célébration commune, celle qu’il n’avait pas revue depuis. Elle portait un simple pantalon de cuir et un chemisier rouge. L’énergie qu’elle dégageait était déconcertante.

    — Diane ! s’écria Raiden.

    — Reculez tous les trois. Je me charge d’eux.

    Elle écarta les jambes, respira profondément. Sans prévenir, les Descendants d’Eren se jetèrent sur elle. Une aveuglante barrière d’énergie entoura la jeune femme. Elle ressemblait à une bulle de protection par sa forme, mais il était clair que c’était autre chose. Les premiers assaillants qui touchèrent la muraille se consumèrent aussitôt, puis se fut le tour de quelques uns en périphérie.

    Il y eut un battement parmi ceux qui étaient restés à l’écart, puis une femme poussa un hurlement terrifiant. Elle tenta de s’enfuir, mais Diane fit quelques pas et sa muraille entra en contact avec la fugitive, lui réservant le même sort qu’à ses comparses. Elle s’avança encore, le mur qui l’entourait semblait enfler à chaque seconde. Le reste des fanatiques, trop surpris, ou trop horrifié pour pouvoir bouger, disparut de la même manière.

    Diane se retourna vers les autres membres du Domaine Occulte. Ses beaux cheveux, faits d’ambre et de soleil, semblaient flotter autour d’elle. Une lueur étrange et inquiétante brûlait au fond de ses pupilles.

    — Ne vous inquiétez pas. S’ils reviennent, je serai là.

    Elle traversa la salle, passant devant Raiden qui tremblait vivement, puis s’engouffra dans le labyrinthe d’Ulome. Elle n’avait laissé derrière elle que de petits tas de cendres, des restes humains encore fumants. Et une peur nouvelle chez les siens.

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