Tu sais, pour rien au monde je n'aurais voulu changer de parrain ou de marraine. Pour rien au monde ! Tu m'entends?

Mais ça fait un an que tu m'as perdue.

Je pense avoir toujours voulu fermer les yeux. Je n'ai jamais voulu admettre que tu ne connaissais pas ton rôle de parrain, que tu ne t'es jamais comporté comme tel.

Si on y réfléchit, ce sont de bêtes mathématiques. Disons que l'on s'est connu les six premières années de ma vie. C'est con, c'est pas assez pour que je m'en souvienne !

Tu vivais encore chez Michelle (pourquoi l'appeler Mamie?). Ta chambre était l'ancienne chambre de marraine, celle en face de l'escalier du deuxième étage. Tu mettais de la musique, mettais une guitare entre mes mains et me demandais de jouer le rythme. Je ne sais pas si j'y arrivais vraiment bien ou si tu disais ça comme ça, mais j'étais fière de voir que j'y arrivais.

C'est le seul souvenir que j'ai de toi.

Par la suite, tu as rencontré Céline. Au début je ne l'aimais pas, c'était un peu le complexe d'Oedipe version parrain. Elle était une ennemie pour moi, elle ne pouvait pas me prendre mon parrain !

Je n'ai pas de souvenir jusqu'à l'arrivée d'Elise. C'est Céline qui m'avait demandée de choisir les vêtements qu'Elise porterait à la maternité. Je me suis toujours dit que grâce à parrain j'ai connu Harry Potter. Mais Céline avait déjà sûrement tout organisé elle-même. C'est Céline qui m'invitait aux anniversaires des filles, Céline qui me demandait ce que je voulais pour les cloches, Céline qui était la première au téléphone pour me souhaiter un joyeux anniversaire. Céline a endossé ton rôle pendant 14 ans.

Tu as commencé à déconner fin 2012. Je ne sais pas pourquoi ça ne me surprenait pas venant de toi. Tu n'es pas venu pour mes 20 ans et cela ne m'a pas surprise non plus. Je pense que je m'y attendais, que je m'y étais préparée. Et encore une fois, c'est Céline qui t'a demandé de m'emmener au cinéma, de passer un peu de temps avec moi pour te faire pardonner.

Tu as reçu une gifle en pleine gueule lorsqu'elle a demandé le divorce et tu t'es soudainement souvenu que tu avais une famille. Ta chambre était prête, tu pouvais venir quand tu voulais, et d'autres te l'ont dit aussi. Mais tu as préféré répéter ailleurs que personne ne voulait de toi. Tu as également eu peur d'endosser ton rôle de père et donc j'ai dû te coacher lors de ta première semaine avec tes filles.

C'est là que j'ai compris qu'en fait tu as toujours été un inconnu pour moi. Je ne connaissais pas cet homme qui ne savait pas se gérer lui-même et qui, du coup, ne savait pas gérer ses enfants. Je ne connaissais pas cet homme dont on me racontait la violence. Je ne connaissais pas cet homme perdu qui faisait n'importe quoi. Autant dire que je ne t'ai jamais connu.

On a essayé de remonter la pente avec toi, de te conseiller, d'être là pour toi. Mais tu n'en fais toujours qu'à ta tête. J'avoue que si on ne me l'avait pas dit, je n'aurais jamais remarqué que tu nous avais tous supprimés. Mon sentiment d'abandon me vient peut-être de là. Mais je te rappelle qu'on était là pour toi, qu'on a tout essayé, que tes filles ont besoin d'un père ! Supprime nous de ta vie si tu le souhaites tant. Je vais essayer de m'en foutre. Reste sur la planète Damien. Mais ne redescends pas. Reste là et ne reviens jamais. J'en peux plus.

Je m'attribuerai un autre parrain. Un vrai. Et ne reviens pas. Ne demande plus de cinéma ! J'ai toujours été soulagée de voir que ces projets ne se réalisaient jamais. Mais ne reviens pas sur un coup de tête, ne sonne plus à la porte sans prévenir pour m'emmener quelque part. Reste où tu es. On s'en portera peut-être tous mieux. Beaucoup mieux...