"L'année suivante, en première année de primaire, j'ai colorié en vert un fantôme au lieu de le faire en blanc cassé."
Dans mes souvenirs, aucun crayon de couleur sur la table n'était de cette couleur. Blanc cassé, quelle drôle de couleur pour une personne... ou pour une non-personne. De toute façon, les fantômes, ça n'existait pas. Ils n'étaient présents que dans les romans d'épouvante. Personne n'avait jamais vu de fantôme de sa vie. Alors pourquoi ne serait-il pas vert ? Je me souvenais encore de la réaction de mon enseignante quand je lui avais montré mon dessin. Elle avait écarquillé les yeux, la bouche grande ouverte, et elle avait pris une grande inspiration, peut-être pour se calmer avant de me dire avec une certaine tension dans la voix :
"Sarah, un fantôme est blanc, pourquoi le tien est vert ?"
Elle avait pointé du doigt, la faute que j'avais commise. Sur le papier blanc, on pouvait croire que la tâche que j'avais griffonnée pour représenter le fantôme formait un tas d'herbe. D'un côté, cela n'était pas tout à fait faux, mon dessin ne ressemblait en rien à un fantôme. Mais je tenais à défendre mon oeuvre coûte que coûte. J'avais tenté de me justifier en disant que j'aimais la couleur verte, que je n'avais jamais vu de fantôme et que par conséquent, je ne pouvais pas en dessiner un. Madame Denis ne voulait rien entendre. Aucune de mes remarques, de mes justifications ne trouvait grâce à ses yeux. Soudain, il se passa quelque chose d'étrange.
Mon petit fantôme vert se détacha du papier, doucement, s'écoulant jusqu'au sol comme une petite cascade d'eau, ondulant jusqu'aux pieds de la maîtresse. Une bouche et des yeux se formèrent sur le visage vert du dessin qui devenait vivant sous nos yeux.
Le petit fantôme bariolé de vert prit la parole et raconta à la maîtresse ainsi qu'à la classe que les fantômes n'étaient pas tous blanc cassé et qu'ils formaient par temps nuancé de pluie et de soleil, les arcs-en-ciel colorés.