Noël sans paillettes

Image de couverture de Noël sans paillettes

Je dévale les escaliers quatre à quatre, me tenant à la rambarde pour éviter de me rompre le cou. Ça ne serait vraiment pas le soir. Quelle cruche quand même. J’avais tout prévu. La dinde, les marrons, la purée de panais, les feuilletés pour l’apéritif, le café pour les mignardises, la buche glacée et même la déco. Tout, vraiment tout, sauf… la boisson pour le repas. Je ne vais pas leur servir le solde du jus de tomates entamé la veille. Il me faut du vin. Rouge, rosé ou blanc, m’en fiche, mais il me faut une boisson d’adulte, comme dirait mon paternel.

C’est mon premier noël chez moi, la première fois que j’invite mes parents, ma sœur et son époux. La barre est haute, tout est toujours parfait chez eux. J’ai beau être la petite dernière, j’ai envie de les impressionner.

Je quitte l’immeuble, le vent me fouette le visage. Les flocons ont cessé de tomber, mais le trottoir est glissant. Je jette un rapide coup d’œil à ma montre puis à la rue. Il me reste vingt minutes avant d’accueillir mes proches. Le quartier est désert. Forcément ! Soit, les gens réveillonnent, soit ils se planquent au chaud, mais personne ne se balade sous une météo pareille. Sauf les cruches qui ont une mémoire de poisson rouge. Heureusement, une épicerie au coin de la rue est ouverte tous les jours de l’année et je suis certaine de trouver ce qui me manque. C’est mon adresse de secours. Je ne suis pas du genre bien organisée, il me manque toujours un ingrédient. En quelques mois je suis devenue une habituée des lieux avec même mes petites habitudes. Je ne tutoie ni le patron ni l’employé, mais j’ai remarqué que ce dernier détourne rarement le regard lorsque j’entre.

Et aujourd’hui ne fait pas exception.

Je pousse la porte, le carillon annonce mon arrivée et le jeune vendeur tourne la tête. Il me salue d’un sourire. Je lui réponds à peine, cours dans le rayon des vins et me stoppe net devant le choix époustouflant pour une novice dans mon genre.

Soupir.

— Oubli de dernière minute ?

Je sursaute.

Le vendeur se tient près de moi, alors que la seconde précédente, il était encore en caisse. J’ai dû rester plus longtemps que je ne le pensais à admirer les différents cépages.

— Vous aimeriez un conseil ? insiste-t-il.

— Volontiers. Quel vin pour accompagner une dinde aux marrons ?

— Joli programme, quoiqu’un peu traditionnel. Rouge ou blanc ?

Traditionnel ? Oui, comme Noël, d’ailleurs. Je hausse les épaules. Rouge pour mon père, blanc pour ma sœur, rosé peut-être ?

— Une de chaque ? me propose-t-il.

Parfait, pas de jaloux ainsi. Un vin pour l’entrée et un autre pour le repas.

Il me présente plusieurs bouteilles, me les détaille : arômes fruités, vifs, nerveux, robe veloutée… Parle-t-on vraiment encore de vin ? Je lui demande de choisir pour moi et sans me quitter du regard, il souligne que c’est une belle marque de confiance.

J’ai un peu le sentiment de le connaître, à force de le voir ranger les étals et de m’aider à choisir mes achats. Un jour, il m’a même donné une recette de marinade.

Après l’avoir remercié, je le suis, nous dirigeons tous les deux vers la caisse.

— Il vous fallait encore autre chose ? me demande-t-il.

Dring… Dring…

Mon téléphone ! Oui, j’ai gardé une sonnerie traditionnelle, je préfère. Ainsi je ne confonds pas avec ma musique préférée. Le nom et le visage de ma mère apparaissent. Je fronce les sourcils, les imaginant à moitié congelé en bas de chez moi, trépignant que je n’ouvre pas la porte. Je m’apprête à la rassurer lorsqu’elle débite rapidement :

— Ma chérie, je… navrée… ton père… batterie… panne…

— Maman ? Je t’entends mal. Qu’est-ce qui se passe ?

— Voiture… panne… pas venir.

— Quoi ? Non, non, non ! C’est pas possible, maman ! La dinde est au four, les marrons vont cramer…

Pourquoi j’ai dit ça, moi ? Je n’en sais rien, mais je panique là. Ils ne peuvent pas ne pas venir, m’abandonner, pas aujourd’hui, pas ce soir, pas à Noël !

Le jeune vendeur me fait comprendre qu’il n’y a pas beaucoup de réseau dans le magasin et me propose de garder les bouteilles le temps que je termine ma conversation sur le trottoir. Ce que je fais.

— Tu m’entends ? Lana ? Y quelqu’un ? s’impatiente ma mère.

— Oui, Maman. Qu’est-ce qui se passe ?

— La voiture est en panne. On a appelé la dépanneuse mais elle va mettre des heures à arriver. Avec la neige, c’est un peu la panique partout.

— Et Marie ?

— Je te la passe.

Ma sœur prend la parole et m’explique que leur voiture n’est pas équipée pour l’hiver, que son téléphone a rendu l’âme et que je ne dois pas monopoliser la ligne, si le dépanneur essaie d’appeler pour les localiser.

Je vais faire quoi moi ?

Ma pensée quitte mes lèvres malgré moi et forcément, ma sœur me rabroue. Egoïste ! Je ne pense qu’à moi et mon petit confort. Au moins, je suis au chaud, chez moi et j’ai même à manger pour la semaine alors qu’eux sont au bord de la route et… que je ne peux même pas aller les chercher, puisque je n’ai pas le permis et encore moins de voiture.

Je sais mais quand même. Je mange comme un moineau au régime, ne bois quasi jamais d’alcool et l’idée de passer cette soirée de fête toute seule me fiche le bourdon.

Je n’entends pas la porte du magasin s’ouvrir, pas plus que je ne devine la présence du vendeur près de moi. Pour la seconde fois de la soirée, sa voix emballe mon cœur sans que ce soit romantique. Au contraire. Je plaque une paume sur ma bouche pour retenir un cri alors qu’il frôle mon épaule de sa main.

— Désolé. Décidément je ne fais que vous effrayer.

— J’étais dans mes pensées.

— Vous n’avez pas encore payé vos achats, mademoiselle et je dois fermer la boutique.

Je cligne des yeux, secoue la tête, alors qu’il demande :

— Changement de programme ? Vous ne voulez plus le vin ?

Je relève le visage et plonge dans son regard. Il semble triste. Il a pris son temps pour me conseiller et maintenant je le retarde. Sans doute que lui aussi à une fête qui l’attend quelque part.

Je le suis à l’intérieur, le vin servira lors d’une prochaine soirée. Mais la dinde ? Et la glace ? Et les feuilletés ? Pff quel gâchis !

— Votre menu semblait délicieux, commente-t-il, comme s’il lisait dans mes pensées.

— Votre soirée sera sans doute plus agréable et plus festive que la mienne.

— Pas sûr ! Ma famille vit à l’étranger et mes amis… sont tous en famille.

Inviter un inconnu le soir de Noël ? Non, c’est n’importe quoi ! Et si…

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