Chapitre 33

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   La grande majorité des patients sortaient guéris de leur séjour en milieu hospitalier. Certes, on pourra me rétorquer que c'est bien normal. Cependant, certains d'entre eux, soignés pour des pathologies mineures, attrapaient toutes sortes de virus et microbes, se retrouvaient atteints de maladies surajoutées, le cas échéant plus sévères que celle qui les avait amenés là. Des maladies qui ne portaient pas encore le qualificatif de « nosocomiales ». Ce qui fit dire à notre copain Bacchus : « ils entrent pas trop mal en point et se chopent des gastros, du staphylo, du strepto, le pyocyanique... ben !... il faut avoir la santé pour être malade à l'hôpital ! » Les chambres à six lits, le nombre de personnes circulant dans les couloirs, les mesures d'asepsie appliquées sans trop de rigueur, expliquaient ce genre de complications, peu nombreuses finalement.


Grâce à ma fréquentation assidue des services avant l'externat, je pratiquais des examens cliniques complets et détaillés, je rédigeais mes observations de manière claire, précise et minutieuse, ce qui suscitait des commentaires élogieux des internes et de mes maîtres. Il serait exagéré de prétendre que je négligeais ces gratifications, ces encouragements, étant plus habitué à assumer les reproches que les compliments, mais je faisais ce travail animé par le plaisir de me rendre utile aux malades, non dans le but d'être congratulé par ma hiérarchie, qui m'inspirait trop souvent plus de méfiance que de confiance.


La tradition voulait qu'à la fin des stages, le patron invitât le corps médical, étudiants inclus, à un repas de service. Elle perdurait chez ceux qui considéraient que la confraternité n'était pas un vain mot. Il ne s'agissait pas d'un tonus organisé par les internes, mais bien d'un cérémonial ritualisé, offert dans ses locaux personnels, par le chef de service. Il fallait s'y rendre en tenue de soirée ; costume, chemise blanche et nœud papillon ou cravate, quasi obligatoires. Je me pliais, bon gré mal gré à la règle, hormis pour la cravate ou le nœud papillon.


Mon premier dîner se déroula dans la cave luxueusement aménagée d'un prof divorcé et remarié avec une jeune et jolie péronnelle. Son train de vie suscitait des ragots auxquels je ne prêtais pas le flanc. Il appartenait à la haute bourgeoisie de la ville, possédait des biens immobiliers et des compétences reconnues en gastronomie et en œnologie. Je dois avouer que je le trouvais néanmoins sympathique. Une dizaine de couverts étaient disposés sur une grande table en chêne massif, recouverte d'une nappe blanche brodée. Le luxe et le raffinement des objets et de la décoration me laissèrent pantois. Je découvrais un monde inconnu. En même temps je ressentis de la fierté puisqu'on me jugeait digne d'être reçu comme un prince.


Le maître des lieux et Madame nous accueillirent aimablement, sans pour autant nous mettre tout-à-fait à l'aise. On nous indiqua notre place. Tous, debout, figés comme des statues de cire derrière notre siège. Je décidai de m'asseoir, mon voisin me saisit brusquement par le bras, me releva illico presto. Première gaffe et première leçon, on ne s'assied pas tant que Madame n'a pas posé ses fesses sur sa chaise. Pour la coupe de champagne, je fis attention et attendis que Madame eut mis la sienne à ses lèvres, avant de goûter le délicieux breuvage. Mais pour les hors d’œuvre, la faim justifiant les moyens, je commençai à lever ma fourchette bien garnie quand je reçus, du même voisin, l'injonction à voix basse de la reposer vite fait dans mon assiette. Deuxième gaffe et deuxième leçon, on ne mange pas tant que Madame n'a pas avalé sa première bouchée. Avec le recul, j'ai pensé ironiquement que ce protocole permettait aux invités de vérifier, en faisant jouer à la maîtresse de maison le rôle du goûteur, que les boissons et les aliments n'étaient pas empoisonnés. Toujours est-il que les vins exquis et les mets succulents n'ont pu me faire oublier le calice de la honte bu jusqu'à la lie. Quel soulagement pénétrant m'envahit en quittant cette réception guindée, où seuls les chefs s'étaient écouté parler ! Une telle entrée dans le monde des riches ne m'incitait guère à souhaiter vivre en bonne confraternité avec eux.


Heureusement, les autres repas de service furent nettement plus ludiques. Nous pouvions y boire et manger sans façon, chanter, danser, charrier le patron et même draguer sa femme. D'ailleurs, pour les animer, pour mettre plus d'ambiance dans nos fêtes et nos manifestations diverses, nous décidâmes, avec un groupe de copains, de créer « la fanfare de Médecine. »

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