Chapitre 4

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   Les parents de ma mère occupaient une minuscule maison. Je dormais dans un petit lit d'appoint dans leur chambre d'un sommeil généralement paisible. En dépit des ronflements et des quintes de toux clastiques du grand-père, des ordres impérieux qu'il donnait à son épouse : « Mais tu vas te lever, bordel ! Le chien veut sortir. » Bambi, son infâme ratier, noir comme la nuit, à peine aussi gros qu'un lapin de garenne, fier, arrogant et hargneux, diablement intelligent, constituait le seul être vivant au monde que cet homme aimait. Manifestement plus que sa fille, dont il ne s'est jamais occupé, et bien plus que ses petits-enfants. Il éprouvait un malin plaisir à ce que nous lui fassions la bise pour lui dire bonjour et au revoir, alors que son affreux cabot retroussait les babines, poussait des couinements de poule qu'on attrape, et tentait de nous planter dans la chair les aiguilles acérées qui lui servaient de crocs.

Mon grand-père était allemand, originaire de Bavière. Dans sa jeunesse, il s'était pris de sympathie pour la cause de Rosa Luxembourg et pour le communisme. Il nous a raconté qu'un jour, avant d'être conscrit, dans une gargote de Munich, il avait mis une claque à Hitler, déjà animé par ses idées racistes et fascistes. Tout le monde avait pensé qu'il se vantait, sauf moi évidemment. Plus tard, il m'a semblé que cette histoire pouvait être vraisemblable, au vu des éléments historiques concernant les origines du nazisme. En outre, j'ai découvert que mon aïeul était né moins d'un mois avant le Führer. Quoi qu'il en soit, il n'a pas traîné pour signer un contrat de cinq ans avec la Légion Etrangère, juste avant la guerre de 14-18. Ensuite, il s'est réfugié en France dans une ferme d'élevage proche du Charolais, puis a épousé la fille du maître des lieux après lui avoir fait un enfant. Leur vie est un sacré roman, que j'écrirai peut-être.


Ceci dit, j'étais le seul à accepter de passer mes vacances chez eux. Ni mes sœurs ni mon frère ne voulaient y mettre les pieds sans la présence des parents. Le vieux terrorisait presque tout le monde, et dans la famille on le craignait et on le haïssait, mis à part mon autre grand-père avec qui il s'entendait bien. Ensemble, ils ont fait passer gratuitement, en zone libre, bon nombre de communistes et de juifs, au cours de la seconde guerre mondiale. Moi, il m'avait plutôt à la bonne, je l'aidais efficacement à cultiver son jardin, et celui d'un commerçant qui lui en avait confié l'entretien. Je ramenais sa brouette chargée d'herbe pour ses lapins, rentrais son charbon, bricolais avec lui sa cabane d'outils qui menaçait régulièrement de s'effondrer.


Enfin... je les accompagnais, lui et son chien, en fin d'après-midi, au bistrot de la coopé où se réunissaient des sympathisants de la municipalité communiste, pour y taper le tarot, en jouant des sous, et ça se prolongeait parfois bien au-delà de l'heure du dîner. J'observais les parties avec curiosité et incompréhension quant au jeu. Je tremblais un peu quand le ton montait jusqu'à la limite de l'empoignade. Le plus souvent le calme régnait et je lisais le journal, le distributeur de cacahuètes à ma disposition. Il arrivait que l'ancêtre eût un petit coup dans l'aile, ce qui l'empêchait de surveiller la pendule. Et obligeait ma grand-mère à se pointer dans le troquet, l'air passablement ennuyé, d'y déployer son imposante stature, dont le poids égalait deux fois et demie celui de son mari. Les cinq cents mètres du parcours jusqu'à la maison ne manquaient pas de piment. La femme tenant sous l'épaule son légionnaire squelettique qui titubait et râlait. Le chien hurlant, ne supportant pas que quiconque touchât son maître. Et moi, remerciant le ciel qu'à cette heure tardive il n'y eut pas de badauds dans la rue.

Toutefois en grandissant, j'eus de plus en plus de liberté d'action et d'indépendance. Je passai mes après-midis à jouer au foot avec les copains, ou à la boule lyonnaise sur le terrain du café de la coopé, avec les boules que le patron me prêtait volontiers. L'année de mes onze ans, j'ai par ailleurs consacré pas mal de temps à « la Nanette. »

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