Introduction: Ce que l'on sème

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Shaun avait toujours pensé que chacunes de nos actions avaient des répercussions, bien que cette phrase lui revenait souvent en tête, il la chassait d’un revers de main. Ces considérations philosophiques n’ont que peu de place dans le quotidien compliqué des basses castes, qui donc pourrait avoir le temps de méditer face à un estomac qui crie famine, cela nous fait souvent oublier nos plus beaux principes.

“Tu fous quoi Shaun? t’es encore perdu dans tes pensées j’suis sûr!

- Hein ? euh non… Excuse moi Vins, c’est que j’ai pas beaucoup dormis

-Comme tout’l’monde, mais là on peut pas s’foirer, alors tu peux glander, mais qu’après notre coup, sinon on va encore s’prendre des sacrés coups de triques, et ça l’en est pas question”

Shaun savait bien qu’ils ne pouvaient se permettre de revenir les mains vides, pas deux jours d’affilés, le curé allait commencer à douter de leurs utilités, et quand il en doute trop, c’est jamais bon signe, il trouverait un autre usage aux deux garçons, et ça il ne voulait surtout pas y songer.

“Oui t’a raison excuse, Vins

-T’excuse pas, assure et ça ira, vu que t’es dans le coltard moi je me charge du spectacle

-De la diversion

-Hein?

-On dit une diversion

-T’appelles ça comme tu veux, Shaun, tout ce que je sais c’est que t’a intérêt à gérer”

Sur ces mots Vins quitta la ruelle pour rejoindre la place du Grand Marché, il se glissa dans la foule suivi de Shaun à bonne distance. Il ne prit même pas la peine d’éviter les fientes, et autres liquides suspicieux agglutinés dans le simulacre de bouche d’égout, Shaun lui, enjamba la rivière d’immondice s’écoulant avec difficulté, il préférait préserver ses chausses. Il était agile et se glissait aisément, au travers des individus arpentant les étals. Contournant les marchands et leurs chariots chargés de victuailles, effleurant les Dames et autres domestiques, trop occupées à négocier pour lui accorder la moindre attention.

Shaun était discret et particulièrement efficace quand il s’agissait d’éviter les casseroles, comme il aimait les appeler, les gardes armées de la principauté, qui préfèrent user de leurs armes et après discuter.

Shaun s’arrêta à quelques pas d'un boutiquier, et détailla son présentoir. Quelques saucissons et gros jambons que l’homme peinait à préserver des mouches. L’homme rougeaud alpaguait les passants, en vantant les mérites de sa viande faisandée et de son vin de frêsne de première qualitée. Vin qu’il conservait dans des caisses, juste en dessous de son étal, ne laissant que quelques bouteilles en évidence afin de les faire goûter aux clients les plus prometteurs. Son nez rougis et son visage creusé, ne laissait pas de doute quand à l’usage personnel de ses propres produits. Mais la masse d’arme pendant à sa ceinture, crasseuse, mais bien entretenue adressait un message fort aux larrons qui voudrait se risquer à le détrousser.

Vins s’arrêta net devant l’une des pièce de viande assailli par les mouches

“C’combien la bidoche? demanda-t-il

-Dégage gamin, tu empestes et tu fais fuir les clients

-C’est pas parce que je pue que je peux pas me faire plaisir !

-Mais bien sûr, si son altesse des égouts veut bien se donner la peine, c’est trois pièces de cuivres, tu paies ou tu dégages

-J’paierai pas autant pour de la viande de cette qualité, elle est rongée par les mouches vot’ barbac

-Et toi tu es rongé par la connerie, le mioche !, dégage avant que je t’en colle une

-On dit une pièce de cuivre et j’vous la prends

-On dit rien du tout petit, t’a pas l’air d’avoir le moindre argent, et tu m’gaves !”

L’esclandre commençait à faire rire les badauds autour, s’amusant de l’insolence du gamin, il ne fallait pas être un génie pour douter de la fraîcheur des produits, mais la plupart de ses clients s’intéressait plus à ses liquides qu’aux viandes douteuses. Shaun se rapprocha doucement et contourna le petit public agglutiné il s’accroupit derrière un homme imposant guettant le bon moment.

“L’est dégueulasse votre Barbac ! Vins donna un coup du plat de sa main dans l’un des jambons ce qui réveilla les argneuses mouches.

-Retouche encore à ma marchandise et je te coupe la main, petite merde !

-Mesdames et Messieurs n’achetez pas la moindre chose à ce poivrot, vous auriez la chiasse aussi sûr que l’ciel est bleu ! c’est des nuées de mouches qui s’écouleraient direct de votre cul !”

Le public restait mitigé face à la scène, certains riaient tandis que d’autres s’offusquaient du langage.

“-ça suffit !” L’ivrogne hors de lui avait tenté d’agripper le gamin, le manquant, il s’avança à la rencontre du petit en pleine rue tout en faisant tournoyer sa masse d’arme.

“Je vais t’apprendre la politesse, petite chiure”

Tandis que tous les regards étaient braqués sur l’altercation Shaun entra en action, il se glissa derrière l’étal et saisit délicatement l’une des bouteilles qu’il dissimula immédiatement dans sa veste en lambeau, il s’apprêtait à en prendre une deuxième quand un bruit sourd le coupa net dans son élan.

Le marchand venait de manquer de peu l’insolent, et de racler violemment le pavé, Vins esquivait du mieux qu’il pouvait mais la colère rendait les coups de l’ivrogne plus rapide et imprévisible.

“Reste Tranquille, sale petite merde… tu va retourner dans l’égout qui t’a vu naître”

Vins esquiva efficacement les deux coups suivants, se faufilant du mieux qu’il pouvait, cependant le revers de la main de l’homme le cueillit à la fin de sa troisième esquive et le laissa légèrement sonné.

L’homme agrippa le garçonnet par le col avec un regard mauvais. Il éleva sa masse lentement, savourant la détresse dans les yeux de sa victime, mais soudain une énorme bouse éclata avec vigueur sur le sommet de son crâne, déversant une partie de la sombre matière dans ses yeux. Il porta par réflexe les mains à son visage afin d’en chasser l’immondice, tout en hurlant de colère. Vins en profita pour retomber sur ses pieds, et chercha un échappatoire, mais la foule compacte et silencieuse ne lui laissait pas de porte de sortie. Certains cherchaient qui était le lanceur du projectile alternant des mouvements de tête, de gauche à droite, certaines domestiques assistaient à la scène horrifiée mais passive, tandis que d’autres assouvissaient leur curiosité morbide, pariant et riant sur le temps de survie de l’enfant . Un crac sourd de bois brisé résonna tandis qu’une dizaine de bouteilles roulèrent en vitesse dans la rue, cahotant et rebondissant dangereusement sur les pavées. La foule regarda le précieux liquide se répandre tandis que l’une finissait éventrée par un mauvais rebond dans un tintement sonore. Une personne tenta d’arrêter la course d’une autre bouteille, tandis que le marchand hurla de plus belle en saisissant une bouteille à la volée.

“Le premier qui m’en prends finira percé comme une outre !”

On s’écartait tandis que certains regardaient envieusement les bouteilles encores intactes, ce qui est sûr, cependant, c’est que Vins ne demanda pas son reste et détala aussi vite qu’il pût, l’attention n’étant plus portée exclusivement sur lui. Il s’engouffra entre les jambes des badauds, et disparu dans la foule.

Shaun avait lui aussi détalé après avoir renversé la caisse de picrate, mais il avait observé inquiet la fuite de son comparse, il entendait le tintement caractéristique des casseroles attirés par l’altercation et s’enfonça lui aussi plus profondément dans la foule, sa bouteille bien au chaud contre son torse.

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