Vertikal[7][4] { I : The weapon }

6 minutes de lecture

<CL4> La vague s’est retirée. La marée d’émotions a laissé ma conscience à vif, elle brûle au contact de chacun de mes sentiments qui soudainement font surface. D’habitude, la douleur c’est une amie un peu brutale qui vient poser ses bientôt-cicatrices sur la peau, dans les os, parfois jusqu’au crâne. Mais là, ça allait au-delà. Les déchirures, c’est à des endroits que je ne peux pas frotter, que je ne peux pas bander, les brûlures c’est tout contre mon âme qu’elles s’invitent. Pas de cicatrices, pas de guérisons, juste un trou béant.

Les marches défilent en craquant sous mes pas, je rate une marche, n’y prête pas attention continue à lancer mes jambes douloureuses. J'apprécierais que le couloir arrête de tanguer un moment et que mon estomac veuille bien arrêter de me mettre par terre. Un frisson me parcourt l’échine, jusqu'à venir me vriller le cerveau. Séli est juste derrière moi, elle a arrêté de me bombarder de questions, pourtant sa présence même me semble trop bruyante, ce n’est pas seulement le son, mais le moindre de ses mouvements qui semblent se répercuter contre ma peau. Le mouvement de ses vêtements alors qu’elle remonte l’escalier à ma suite, celui de sa respiration qui s’échappe de ses poumons, du sang qui coule dans ses veines.

Je m'arrête encore, le son des échardes me frotte la peau, non, pas le son, la sensation. Merde, j’ai les sens à l’envers, mes yeux entendent, mes oreilles voient, l'inquiétude de Seli vient se poser sur ma langue, avec son goût étrange et un peu amer, le mouvement de ses yeux glisse sur la peau de ma nuque.

À travers la douleur et le fouillis que sont mes sens, je comprends qu’elle me demande si je sais ce que je fais, où je vais. Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas, je ne fais que suivre. Quoi ? Je ne sais pas non plus.

Encore un crochet, cette fois, mes jambes ne tiennent pas. Le sol heurte sans pitié mes genoux, pourtant, cette douleur bien physique me semble une caresse par rapport à l’assaut d'inquiétude qui vient brutalement effleurer mes sens encore fragiles.

Je dois m’éloigner, avant qu’elle ne pose la main sur moi, qu’elle ne veuille m’aider à me relever, me soutenir, me consoler.

Cela me tuerait.

Mais plutôt que s’approcher de moi, elle a brandi son arme. Je relève la tête.

Elle est là.

Derrière la moitié de porte qui grince sur ses gonds, baignée dans un rayon de lumière bleuté qui perce à travers le toit éventré, la sorcière trône au milieu de la pièce. Aussitôt que mes yeux se posent sur elle, un soupir de soulagement s’échappe de mes poumons en feux, elle est vivante. Puis j’entends son souffle s’échapper en sifflant d’entre ses lèvres, je vois une couleur rouge humide teindre son corps.

— Hassanne ?

Il faut que Seli me le pointe du doigt pour que je le remarque. Hassane est étendu en dehors du cercle de lumière, pas très loin de la sorcière. Il a l’air immense en comparaison. Ses larges épaules tournées vers nous, il doit facilement faire le double de la taille de la fillette. Pourtant…

— Il respire encore. Putain il pisse le sang ! Claire, aide-moi, il faut qu’on l'empêche de se vider !

Mes pas m'ont amené près de la sorcière. Je m’agenouille à geste lent tout prêt d’elle. Le vacarme qui secoue mes sens s’est calmé. La fillette est comme un phare qui guider l’épave de mes perceptions. Délicatement, je tends ma main vers son visage, la prudence voudrait que je sois sur mes gardes, que je m’attende à ce qu’elle me saute dessus sans crier gare, qu’elle m’égorge sans cérémonie avec le morceau de métal effilé à ses côtés, encore gouttant d’un liquide rougeâtre.

Elle a tué tellement des nôtres.

Mais, à ce moment, alors que je repousse tendrement ses cheveux souillés de sang, je n’arrive pas à penser à tout cela. Elle est si jeune ! Je lui donnerais quatorze, peut-être quinze ans, à peine moins âgées que moi. Sa chemise souillée de rouge, laisse entrevoir sa peau mate et couturée de cicatrices à travers la multitude de déchirures qui la parcourt.

Derrière moi, j’entends vaguement la voix désespérée de Seli.

— Claire ! Amène des bandages, on peut encore le sauver !

Des bandages, c’est vrai, Émilie m’en avait fourré dans les poches. Pour que je me rende utile, qu’elle m’avait dit. Ce n'était que des morceaux de tissus plus ou moins blancs, plus ou moins propres, taillés à la va-vite, mais c’était mieux que rien.

Machinalement, je commence à essuyer le sang qui macule le visage de la jeune fille avec le linge, bientôt le blanc devient rose, puis rouge. Sans défense sous mes doigts, elle me paraît si fragile.

Elle a massacré mon escouade.

— Non ! Non, non, non, non ! Reviens Hassane, reviens ! Claire, s’il te plaît, j’ai besoin de toi.

Je me retourne à peine, suffisamment pour voir Seli penchée sur le corps de l’homme, appuyant de toutes ses forces sur son torse. Son cœur ne repartira pas.

Il est déjà mort.

Ça n’a pas d’importance, pas tant que ça. Ça devrait. Je les vois à l'intérieur de moi, tout un tas de sentiments flotte et danse : tristesse, horreur, colère, compassion. Mais aucun d’eux n’a de sens. Disséqués, distillés, ils ne sont à mes yeux qu’un ensemble de mouvements de couleurs, de taille, de goûts qui semblent et s’assemblent.

Un sens ?

Ils n’en ont pas besoin.

Comme un rêveur réveillé, le monde me paraît soudainement plus clair. Mes sens s’apprivoisent, se font au nouveau désordre qui mélange mes perceptions. Sous ma main rendue humide par le sang, je sens la peau glacée de la sorcière brûler de vie sous mes mains. Tout en elle crie au chaos mouvementé, à l’abandon total de la forme en un nœud complexe et simple d’intention : bouger.

Comme un dormeur enrêver, le monde me paraît soudainement plus clair. Sous mon corps tendu par le mouvement, je sens mes veines devenir fumées. Je glisse, coule vers elle, me déverse dans son intention.

<N1L> Non.

<CL4> Un simple mot, glissé au-devant de ma conscience. Posé là sans douceur ni brutalité, il fait barrière de sa sonorité rudimentaire. Cela suffit à me ramener dans mon corps.

Elle vient de me sauver, j’ai reconnu son toucher pas entièrement humain, cette facilité à naviguer entre les fils de mouvements. Comme une gentille tape sur la joue, sa voix me réveille, elle me ramène dans mon monde agréablement terne et morne.

Maintenant, le bruit du vent entre les murs à cesser de hurler à mes oreilles tout comme le crissement des graviers ne résonne plus sourdement contre mes os. Mes sens sont revenus à leur place.

Et avec eux, les...

Une douleur éclate dans ma joue droite, le choc envoie des étincelles dans mes yeux et mon corps dans la poussière.

— Tu l’as laissé crevé. Si t'étais venu m’aider, on aurait pu le sauver !

Les mots claquent fort, ils viennent écraser de leur réalité l’incertitude, les “et si”, les restes d’espoir.

Seli s’avance vers moi, sa démarche est lente et boiteuse. Son visage hors du cercle de lumière est masqué par la pénombre, je ne peux qu’imaginer son expression.

Colère, dégoûts.

— Je suis désolé.

Les mots sonnent affreusement faux. Je devrais lui dire que je ne me contrôlais pas, que ce n’est pas ma faute, que c’est la sorcière qui m’a ensorcelé.

Que je n’ai pas été suffisamment forte pour résister.

Que je n’en peux plus de la douleur, de cet endroit.

Que...

Perdu dans mon silence, je suis surpris par une main qui s’agrippe à mon col et me tire vers le visage de Seli. Elle s’apprête à me dévorer. La fureur a déchiré son visage humain pour ne laisser qu’une figure de rage pure. Encadré par ses cheveux que la sueur a collés à sa peau et peint par du sang, elle est terrifiante. Presque pendu au bout de ses bras, mes pieds cherchent leurs appuis au sol, ma poumons un peu d’air, et ma bouche des mots à dirent.

N’importe quoi.

Mais que dire ? Est-ce qu’il y a quelque chose à dire ?

— Je suis désolé.

Encore. Ce passage ne fait pas vraiment honneur à mes capacités d’écrivaines, pourtant, je n’aurais jamais pu trouver d’autres mots.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nvaet . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0