Vertikal[7][5] { I : The weapon }

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<S3L> Ce n’est pas de sa faute. Il était foutu, rien n’aurait pu le sauver, probablement. Pourtant, l’envie de la tuer me griffe violemment esprit. Ce serait si facile, je n’ai qu’à refermer mes mains sur son cou tout pâle, serrer jusqu’à entendre craquer ses vertèbres. Puis, derrière le voile de rage qui couvre mes yeux, j’aperçois le visage de Claire, ses yeux injectés de sang, les joues rouges, des larmes coulant abondamment sur les mains qui s'apprête à briser ses os. Elle happe de l’air à petite dose, des petits cris pitoyables s’échappent faiblement de sa bouche. Je ne me suis même pas rendu compte qu’elle avait commencé à creuser de ses ongles mon poignet, y laissant quelques sillons rouges. C’est ça, surtout, qui me fait revenir à la raison, elle aussi se bat pour survivre. Mes muscles tendus à l’extrême commencent à se relâcher, tout comme les battements de mon cœur se calment eux aussi.

Elle s’écroule de tout son long contre le sol, sa chute jette des volutes de poussière dans la pièce. Les deux mains autour de son cou rougit, elle aspire de longues goulées d’air, les larmes aux yeux, elle crache et tousse en tentant de récupérer sa respiration. Dès qu’elle peut, elle commence à ramper hors de ma portée. Le regard qu’elle me jette est dur à supporter. Terrifiée, perdue, trahi,

— Ce n’est pas ta faute.

Comme fatigués par l’accès soudain de rage, les mots mettent un moment à sortir. Ma voix tremble encore, trébuche sur ces simples mots. Est-ce que c’est parce que je n’y crois pas encore ?

— Ce n’est pas ta faute.

Le deuxième essai passe mieux. Pendant un moment, nous restons toutes les deux immobiles au milieu du son de nos respirations haletantes et le silence dérangeant du cadavre de Hassanne.

— Elle l’a tué, c’est sa faute à elle. À la sorcière.

Le froid du canon est posé contre mon bras, sous mon doigt, une gâchette. Je laisse Claire derrière moi, à mes pieds, la sorcière gît immobile, sans défense. Le chien bien huilé du fusil se rabat en arrière avec à peine un clic.

Ignorant la douleur qui me perce encore la cuisse, je plante mes jambes de part et d’autre de la sorcière et cale le bout du canon sur le front de la fillette. Dans deux secondes, tout ça c’est terminé, un petit coup de doigt et voilà. Fini.

J’assure ma prise sur l’arme, maudit mes paumes rendues moites par l’anticipation. Je vais la tuer, de moi-même. L’autre jour, dans les ruines, je n'avais pas réussi à tirer. C'était pourtant des pillards, des criminels, ils avaient massacré une famille entière, violé la mère et la fille. Ils pensaient qu’ils allaient s’en sortir, mais on les avait choppés sur notre chemin. Un vrai coup de bol.

L’un d’eux avait failli s’échapper, mais on l’avait rattrapé Zach et moi, une balle dans la patte pour l’immobiliser. Il ne manquait plus qu’à finir le boulot. Je lui ai dit que c’était à moi de m’en charger. J’avais la rage. Cette fille, ça aurait pu être moi. Ça avait été moi. Sauf qu’on ne m’avait pas donné de vengeance, juste un bout de vie cassée. Mais là, c’est différent, une différence de soixante-quinze centimètres et trois kilos d’acier près a craché des balles de cinq cinquante-six.

J’avais épaulé l’arme en même temps qu’un sourire.

Je n’ai pas réussi à tirer.

Alors Zack avait terminé le boulot à ma place.

Il me disait que ça le rassurait, que ça voulait dire que j'étais quelqu’un de bien. Vraiment ?

Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, j’arrête d’être quelqu’un de bien, je suis désolée, Zack, je vais te décevoir. Je vais te venger. Pourtant, pourquoi mon cœur bat si vite, pourquoi est-ce que mon doigt tremble ? Je veux la tuer, pour tout ce qu’elle a fait contre nous. Pour Zack.

Je prends une grande inspiration, fixe ma cible… je reste bloquée par le violet intense de l’œil de la fillette.

<N1L> Deux bouches d’acier me fixent de leur regard vide, au bout je distingue la silhouette d’une personne. Mon esprit encore embrumé a du mal à saisir la situation, puis, au fur et à mesure que je réalise ce qu’il va se passer, mon cœur accélère, mes muscles se tendent. Je peux encore survivre. D’un coup latéral j’attrape le canon de l’arme et le tire violemment sur le côté, le canon pointé sur le plancher. Dans un même mouvement, je place un coup de pied sur le genou du tueur, pas très fort, juste ce qu’il faut pour le déséquilibrer. Je tire encore plus sur son arme, et fais tomber son propriétaire. Ensuite, je roule sur le côté, et le bloque sous moi, d’un coup de coude je lui brise le nez, un deuxième pour le mettre hors d’état de nuire.

Puis je retourne à la réalité de mon corps meurtri, bien incapable de faire quoi que ce soit. La créature s’est endormie.

— Un fusil. Tu vas mourir.

La voix est encore là, mais elle est faible, épuisée. Je l’entends à peine, couvert par les cris de douleur de mon corps brisé. Elle aussi a abandonné.

Peu importe.

— Vraiment ?

Ça va me faire du bien, de me reposer un peu. Rester là n’est pas si mal après tout. Je me demande s’il y a bien une lumière blanche. Ça me fait un peu peur, ce qu’il y a après. Sunny m’a dit que ce qu’il y avait après c’était comme tu l’imaginais toi. Et que chacun avait son après. Moi, je veux que mon après il soit avec Retori et Lily, et aussi qu’il y est un ciel tout bleu. Comme dans les magazines. Ça doit être étrange de voir autre chose que de la roche à l’horizon. On pourra continuer à chanter, peut être que Lily voudra bien nous rejoindre. Je suis sûr qu’elle chante bien. J’ai hâte.

— Ça va être bien.

Ça va être bien.

Il y a un clic, juste au-dessus de ma tête. Je l’entends clairement, même à travers le brouillard. Soudainement, je sens mon cœur battre furieusement dans la poitrine, je sens quelque chose naître au fond de mon estomac. Furieux, brutal. Tout un coup, c’est comme si le mur d’illusion bâtit à coup d’espoir heureux et d’envies onirique s’écroulait violemment et exposait les mots que je redoutais vouloir crier : Je ne veux pas mourir. Coincé dans une enveloppe de chair, je veux hurler et frapper à tout va. Je ne veux pas mourir ! Je ne pense même pas à ceux qui sont encore dehors, en vie. Je ne pense pas aux choses que je n’ai pas encore finies, je ne pense pas à tout ce que je n’ai pas encore vécu. Je veux juste vivre encore un peu. Pur réflexe animal et égoïste, je veux survivre pour moi, pour ne pas mourir. Pourtant, malgré la violence de ce sentiment, mon corps refuse de m’écouter, du haut de mon crâne au bout de mes orteils, je ne sens rien qu’un bloc de glace, déjà mort. À l’intérieur, les mots « Je veux vivre » se cognent contre les parois de ma gorge, ils rebondissent et s’endurcissent, mais en fin de compte, le corps est détruit. Je vais mourir.

<CL4> Il y a ces moments où le temps semble couler au ralenti. La poussière glisse paresseusement sur le carrelage, les morceaux d'étoffes accrochées aux fenêtres se prélassent dans la brise, les sons s'atténuent et se prête au silence. Puis il y a les corps, celui cassé de la sorcière et celui de Séli, tendu à l'extrême, éructant de rage. La haine me semble presque visible, elle dégouline de son regard meurtrier en même temps que la sueur goûte le long de son menton, les deux tombent sur le canon d’acier, jusqu’à se jeter sur la fillette. Elle, la sorcière, se contente de gémir faiblement. Une mèche de cheveux glisse doucement sur son visage, poussé par la même brise qui lui jette une poignée de poussière.

Pire encore, il y a mon propre corps. Immobile, derrière mes lèvres, un cri, un mot. Le même qu’elle a utilisé pour me sauver : “non”. Pourtant, il n’arrive pas à sortir de ma gorge nouée par tout un tas de trucs, la peur en premier. La peur de voir le fusil se retourner vers moi, mais plus encore, la peur de voir le reproche dans les yeux de Seli, encore une fois.

Baignées dans une faible lueur bleue qui perce à travers les vitres brisées, ses mains tremblent de plus en plus. Dans sa bouche, les mots “Je vais te buter !” se répètent. À chaque itération, sa voix baisse d’un cran, une larme s’échappe sur ses joues. Je ne peux pas m’empêcher de fixer cette perle humide, elle brille à la lumière, tremble sous le mélange de colère, de peur et d’hésitation.

Puis Seli prend respire un grand coup, puis bloque sa respiration et enfonce plus profondément le canon dans le front de sa victime. Ça ne suffit pas, elle s’écarte, fais trois pas en crachant souffles et injures, recommence. Deux traces circulaires rouges se sont dessinées à l’endroit où le fusil a appuyé trop fort sur la peau de la sorcière.

Elle se met à hurler, son regard croise le mien, j’y vois un bouillon de colère et de tristesse, de peur aussi. Finalement, je la vois fermer les yeux, et tout d’un coup son corps entier se détend. À ce moment-là, je sens l’espoir me gagner. Elle ne va pas tirer, elle ne peut pas tirer.

Seli n’est pas une meurtrière. Je sens mon corps se relâcher, toute la tension se libérer, cela fait depuis combien de temps que je retiens ma respiration ? On va s’en sortir, toutes les trois, trouvez des réponses, des...

Le chien vient percuter l’amorce.

Son doigt a enfoncé la gâchette.

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