Vertikal[6][3] { In awe of }

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— Il faut... l’aider.

 

<R3T> J’entends à peine la voix de Sara, du bout de son corps tout faiblard, qu’est ce qu’elle croit pouvoir faire ? Je crache par terre, essaye de ravaler la haine injustifiée que j’allais lui balancer dessus. C’est juste, que, crois pas une seconde que t’es la seule à te soucier d’elle, Sara. Sauf que moi, j’ai pas les boules, je sais que Nihl elle va les démonter. Pas de bras ? Pas de problèmes. Elle en a vu des pires. On parle de Nihl là ! Y a zéro chance qu’elle perde, zéro. Si on se carapate comme ça, c’est parce qu’on risque de lui marcher dans les pattes, c’est tout. Je veux rester avec elle, pour la voir dégommer du gobelin, puis lui dire “Bien joué”, à la fin quand elle sortira de son sarcophage, un grand sourire dans le regard.

 

— Foutue pluie ! Elle me rentre dans les yeux cette salope !

 

Elle peut pas perdre, je le sais, je le renifle de mes tripes. En attendant, je bouge les pattes, pour mettre la petite blonde à l’abri, souffler un peu alors que Nihl fait le ménage. Après ça, je laisserais la petite vagabonder comme elle veut aussi longtemps qu’elle veut. Juré.

 

<S4R> Les mains de Retori se serrent un peu plus sur mon bras, les larmes coulent sur ses joues, glissent le long de ses lèvres tremblantes qui esquissent un début de sourire. Elle ne s’en est pas rendu compte. La gare Lazare n’est qu'à quelques pas, je ne dis plus rien et je me laisse croire.

 

<S3L> Il y a d’abord un bruit de moteur et de chaînes. Puis un monstre d’acier et de fumée sort de la grande allée. Cube d’acier surmonté par un canon, le char d’assaut avance lentement vers la place. Ses chenilles griffent le sol à grand renfort de crampons, arrachent des morceaux du bitume. Il ne prend même pas la peine d’éviter les débris sur son chemin, la monstrueuse machine écrase impitoyablement les restes des voitures sous le poids de sa carcasse. Son moteur, tousse, grogne et crache une épaisse fumée noire derrière lui.

 

Avec un grincement, la tourelle se pointe lentement vers le géant en acier. Celui-ci fait un premier en avant. Sa jambe boiteuse lui donne une démarche irrégulière et maladroite. Sur son passage, son sang mécanique laisse au sol une longue traînée noire qui se mêle lentement à la boue. Poursuivi lentement par le canon, il semble hésiter à passer à l’attaque. En face de lui, le bloc d’acier sans visage tremble, secoué par la violence de ces rouages. Sa forme simple est pur pragmatisme guerrier, il n’a pas la grâce humanoïde de son adversaire. Mais, en temps de bataille, la bestialité prend le pas sur l’élégance.

 

Les deux monstres se font face, ils se jaugent.

 

Puis le tank fait feu.

 

Il y a d’abord un éclair de lumière, très bref, et aussitôt suivi par une explosion terrible. Soufflé par l’onde de choc, un nuage de poussière s’envole et se mêle à la fumée épaisse et grise qui s’échappe du canon. L’obus fend l’air avec un sifflement, avant de venir ricocher contre l’épaule du colosse et finir sa course dans le bâtiment à côté. Ça a fait un bruit horrible de tôle qui se plie. L’épaule de la créature est brutalement jetée en arrière, suivit par le corps qui s’élève dans les airs en tournoyant. Puis, comme si un marionnettiste invisible avait coupé les fils de sa marionnette, le géant retombe lourdement au sol, le dos s’enfonçant profondément dans les dalles de la grande place.

 

Partout des cris de joie retentissent. Je joins ma voix enrouée à cette multitude soulagée.

 

On a gagné.

 

<N1L> Je ne sens plus rien.

 

—  C’est fini.

 

Mon cœur a cessé de battre.

 

—  Regarde.

 

Non.

 

—  Regarde !

 

J’ai froid. Les yeux du géant sont morts.

 

—  Tu le sais déjà, n’est-ce pas ?

 

L’obus a ricoché contre l’armure. Enfoncée sur plusieurs centimètres, l’épaisse plaque de métal ne tiendra pas un autre choc. La prochaine fois…

 

—  Ce n’est pas à propos de toi.

 

La prochaine fois c’est l’épaule entière qui partira. S’il y a une prochaine fois, je…

 

—  Arrête. Tu ne peux pas nous ignorer. Pas cette fois.

 

Lentement, le cockpit perd de sa lumière, les sons perdent de leur intensité, le froid remplit tout, petite lame mordante, qui s’accroche à mes membres et s’enfoncent tout au fond de ma peau. Le sang chaud qui s’écoule de mes plaies laisse une fine traînée de chaleur qui s’évapore instantanément.

 

Je sens mes paupières s’abaisser, lentement. Comme pour savourer encore un peu la noirceur autour de moi.

 

—  Regarde-toi.

 

Il y a un corps. Une femme, sur son visage l’un de ses yeux est blanc laiteux, mort sans doute. L’autre, le violet, est tourné vers moi. Sur sa peau nue, il n’y a que de la douleur. Des cicatrices la recouvrent, anciennes et en devenir. Baignant dans le sang, le brun mat de sa peau est à peine visible. Perçant bravement la surface, un long éclat blanc s’échappe de son bras, à sa base, un liquide rouge sombre s’en échappe et vient couler le long de la peau meurtrit.

 

—  Alors ?

 

Son cœur bat.

 

Un large se sourire se peint sur le visage de la femme. À travers sa poitrine, l’organe se débat, irrégulier, mais vif. Il répand dans les veines asséchées le liquide rouge si alléchant. Les plaies se referment, le corps recommence à vivre. Comme avant. Comme avant la souffrance. Du bout de ses doigts rougit de sang, elle effleure mon front, puis descend tout doucement sur mes joues et caresse avec tendresse mes lèvres dans un geste langoureux. De la langue, je goûte le bout un peu salé de son doigt. Elle est si proche de moi, je peux compter chacun de ces longs cils, admirer le violet si particulier de son œil. Je veux la toucher. Passé ma main sur ce corps si vivant, poser ma peau contre la sienne, pourtant mes bras restent désespérément morts.

 

Les siens sont bien vivants, alors ils s’approchent de moi. Ils volent doucement sur mon corps, m’enlacent et m’accrochent doucement. Son corps se colle contre le mien. À travers sa poitrine je sens son cœur battre joyeusement. Ses longs cheveux noirs viennent me caresser la peau, jetant sur moi un délicieux frisson. Je me gorge de cette chaleur vivante, j’oublie.

 

—  Non, ça tu n’as pas le droit.

 

Elle s’est immobilisée. Son étreinte affectueuse s’est changée en une prison de chairs. La chaleur est devenue un brasier inconfortable. Son cœur brise à chaque coup la volonté qui me reste. Sa peau soyeuse me râpe violemment les sens.

 

—  REGARDE !

 

Le bâtiment s’est effondré. Vieux et abîmé, il n’a pas tenu le choc quand l’obus s’est écrasé contre ses murs. Les débris sont tombés trop vite.

 

Non.

 

Des pans entiers de l’étage se sont détachés. Comme une cascade solide et poussiéreuse. Les énormes morceaux de bétons ont avalé la distance qui les séparait avec le sol en quelques instants. Ils sont passés devant les lettres encore dorées qui ornaient la grande façade : « Lazare »

 

Tout était redevenu silencieux. Le bâtiment gisait, là, mort. Et sous son corps de pierre, deux cœurs s’éteignent lentement. L’éther qui les recouvre vacille, brûle, puis disparaît.

 

—  Elles sont mortes.

 

<S3L> Les cris se sont arrêtés d’un coup. Tous les regards se sont tournés vers le monstre de fer abattu. Un grondement sourd sort de la gorge métallique de la créature. Lent et grave. L’air se bloque dans mes poumons. Un frisson me remonte le long de l’échine. Je chasse la pluie qui me coule devant les yeux, je n’arrive pas à détacher mon regard du cratère dans lequel repose le colosse. Quelques secondes passent, mais je n’arrive pas à espérer. Espérer que rien ne sortira jamais de ce trou, que c’est réellement finit. Je déglutis avec difficulté, toute chaleur a quitté mon corps, je n’ose pas bouger. De peur. Puis mes jambes lâchent sous moi. Le colosse s’est redressé de toute sa hauteur, malgré ses jambes brisées.

 

Une chaleur intense se dégage de son corps d’acier, tordant l’air autour de lui. Les gouttes d’eau s’évaporent aussitôt qu’elles touchent sa peau brûlante. À ses pieds, les flaques d’eau commencent à bouillir dans un amas de bulles rouge sang. De ses blessures rougeoyantes s’élèvent lentement des volutes de fumée noire. Épaves d’acier et de douleur, spectre sorti de la fureur de la bataille, de ses entrailles brillent les métaux chauffés aux rouges. Au bord de la mort, le géant d’acier n’a jamais été aussi vivant. Ses mouvements ont perdu leur rigueur mécanique, derrière l’acier un cœur inorganique se débat, fait vibrer de vie la machine. Soudain, sa tête se jette en arrière et un hurlement horrible jaillit hors de la créature. Sortirent du plus profond de son corps d’acier, ce sont les câbles qui se tendent, les chaînes qui s’entrechoquent, les pistons qui s’enclenchent, les roues crantées qui se tordent. Ce sont aussi des émotions vives et brûlantes emmêlées dans une indiscernable bouillie de vie.

 

C’est Livingstone qui a tiré le premier. À la radio, le capitaine balance ses ordres :

 

—  Quand tu veux Jones ! Bousille-moi ce truc une bonne fois pour toutes !

 

Silence, puis :

—  Avec plaisir, lieutenant.

 

Le tonnerre s’abat de nouveau. Cette fois, c’est pour une exécution, pure et simple. Pourtant, le géant d’acier a levé son bras pour l’interposer sur la trajectoire de l’obus. Les plaques de blindage épais qui tapissent l’avant-bras mécanique se plient au passage du projectile dans un vacarme épouvantable, avant que l’explosion ne finisse par rompre brutalement le membre dans une pluie d’étincelles, de fumée et de ferrailles brisées. Cela fait comme un rugissement terrible, qui est aussitôt couvert par les fracas de la bataille. Les tirs n’ont pas arrêté, au contraire, ils reprennent de plus belle. Mais la bête ne s’arrête pas, malgré le sang mécanique qui gicle depuis les ouvertures béantes qui couvre son corps, malgré, les morceaux de son corps traînant derrière lui, encore retenu par une épaisse chaîne en fer. Alors le canon vomit un flot de feu, le massif projectile de métal traverse le torse de créature de part en part.

 

—  En plein dedans, m’sieur Jones !

—  Bien joué, petit, très bien joué. Avec ça, j’ose espérer que l’affaire est bouclée. Alors, lieutenant ? Qu’est...

 

Boum.

 

—  ...ce que c’est ce merdier.

 

Le bruit de l’acier contre le bitume ne s’est pas arrêté. Surgissant du nuage de poussière, le colosse avance toujours. « Boum », font ses sabots métalliques, lents et réguliers. Il s’avance inexorablement. « Boum », il touche presque le canon du char. À la radio, le lieutenant ordonne de tirer. On lui répond que ça ne marche pas. On lui répond que ça fait depuis le début qu’on fait que ça. On lui répond qu’on est à court. Mais elle ne veut rien entendre. En temps normal, elle  nous aurait arrêtés, pour économiser les munitions.

 

Mais aujourd’hui, ça ne sera pas suffisant.

 

<N1L> Elle s’amuse, son rire me perce les tympans. Ses ongles grattent ma peau meurtrie, puis brutalement entrent dans mon corps. Elle m’ouvre comme une enfant devant un papier cadeau récalcitrant. Puis elle plante ses dents dans mes entrailles. Elle me dévore vivante. N’en laisse pas une miette, elle me veut tout entière.

 

—  Je prendrais tout de toi. Même ce que tu n’as pas voulu avoir.

 

Ces doigts me fouillent de l’intérieur, me découvrent avec minutie. Chaque morceau de moi qu’elle ramasse, chaque pièce qui me fait disparaissent au fond de sa gorge. Elle avale goulûment mon existence. Les lèvres dégoulinantes de mes souvenirs, le corps habillé des éclats de ma vie. Elle goûte l’instant, le premier instant où elle existe vraiment.

 

<n1l> Maintenant, c’est mon tour.

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