17.    Obsession

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Au fil des mois, la vengeance d’Armand tourna peu à peu à l’obsession. Il délaissa tous ses temps libres afin de se préparer au mieux à la chasse qu’il allait mener. Tuer ce couple de vampires était devenu sa raison de vivre. Il le devait à Frantz, à tout l’amour qu’il lui avait caché. Il s’entraina à manier son fusil encore plus habilement, multiplia les entrainements avec les hauts pontes de l’Ordre et en appris plus sur les êtres de la nuit en quelques semaines. Klaus lui présenta Léon, un très vieux déviant habitant les Havres Gris. L’homme n’était pas avare d’anecdotes et décrivait les techniques de chasse avec bien plus de détails que dans les livres. L’albinos ne comprenait pas pourquoi ce vampire l’aidait ainsi à traquer deux des siens. On aurait dit que Léon avait une conscience, qu’il différenciait parfaitement le bien du mal. Il réprouvait le meurtre, ce qui était vraiment étrange pour quelqu’un qui devait également se nourrir, mais, trop obnubilé par sa traque, il oublia cette interrogation pour se concentrer sur sa future chasse. Il n’était pas Helset et ce combat se promettait d’être le plus difficile de toute sa vie.

Les mois passèrent, rythmés par sa soif de connaissances techniques et théoriques ; il étudia longuement la carte de la région que lui avait prêtée Klaus avant de se rendre sur le terrain pour analyser les lieux. Il parvint à délimiter le territoire des vampires grâce aux indices qu’il capta lors de ses longues sorties. Il ne négligeait pas son travail pour autant, mais son employeur en très bon ami lui offrait bien plus de jours libres qu’à l’accoutumée.

Entièrement focalisé sur sa chasse, il fantasmait sa future rencontre avec ses proies. Il savait qu’il ne devait pas se précipiter ce jour-là et se laisser le temps de les analyser, les épier, trouver leur point faible. La partie la plus dangereuse de la traque commencerait alors, jusqu’au climax qui serait la confrontation finale.

Ce moment arriva une nuit d’automne, la lune éclairait le ciel d’un mince sourire. Armand était en planque dans le village abandonné au beau milieu de la forêt. Il savait que c’était le terrain de chasse favori de ses proies. La femme apparut soudain. Toute vêtue de noir, elle arborait une longue chevelure sombre qui lui descendait jusqu’au bas du dos. L’albinos s’approcha pour mieux détailler son visage félin souligné par des yeux saphir. Sa voix était douce, mais cassante, elle rabaissait son compagnon toujours plongé dans les ombres. La première chose qu’Armand remarqua lorsque la lumière chiche de la lune illumina ses traits fut sa beauté à couper le souffle. Sa mâchoire carrée contrastait avec ses lèvres fines encadrées par une barbichette taillée avec soin. Son nez aquilin n’avait rien à envier aux représentations parfaites de saints qui ornaient les murs de l’orphelinat. Son regard, d’un vert profond, ne quittait pas sa compagne et ses longs cheveux sombres parachevaient un tableau admirable. L’albinos sentit son cœur s’accélérer, ses mains devinrent moites et une étrange chaleur envahit son abdomen. Il repoussa avec violence les idées qui lui traversaient l’esprit pour se focaliser sur le moment présent : aussi beau fût-il, le vampire devait mourir. Il laissa le couple à leur dispute et s’effaça dans la nuit. Il en avait assez vu pour aujourd’hui. Il espérait juste que le sentiment qu’il venait d’éprouver ne retienne pas sa main lorsqu’il devrait purger le déviant.

***

Armand multiplia les planques afin de passer au-dessus de la première impression qu’il avait eue en voyant sa proie. Au fil du temps quelque chose attira son attention. À chaque fois qu’il surprenait le couple, ce dernier se disputait. La vampire ne cessait de réprimer son compagnon qui réagissait en baissant pathétiquement la tête et en s’excusant. Elle ne faisait que le rabrouer, le diminuer, le castrer. Était-il impuissant face au joug de sa maîtresse ? L’albinos en avait discuté avec Léon qui lui avait révélé qu’une hiérarchie s’imposait souvent chez ce type de déviants. Les couples vampiriques unis et égaux étaient rares, le maître préférant toujours asservir son partenaire pour s’assurer plus de loyauté. La culpabilité d’Orion dans le meurtre de Frantz apparut alors moins flagrante. L’exécution de sa compagne coulait de source, mais s’il capturait le vampire et le livrait à l’Ordre, il recevrait une prime à faire pâlir n’importe qui. Le couple figurait sur la liste des déviants à éviter, de ceux qui sont bien trop dangereux pour être traqués.

Armand chevauchait doucement dans la forêt cette nuit-là lorsqu’il fit une étrange rencontre. Deux jeunes femmes complètement paniquées surgirent sur sa route et manquèrent de se faire piétiner par sa monture. La rouquine était téméraire et paraissait avoir la tête sur les épaules. Elle lui raconta que deux brigands venaient de les agresser dans un village à l’abandon à quelques pas d’ici. Sa sœur ne put confirmer ; tremblotante et larmoyante, elle paniquait et poussait des cris de détresse au moindre son qui lui semblait suspect. L’albinos se dit qu’elles avaient eu une chance inespérée lorsqu’en les accompagnant sur les lieux de l’agression afin qu’elles puissent reprendre leur chariot, il découvrit les corps exsangues des deux bandits. Si elles n’avaient pas eu la présence d’esprit de fuir, elles auraient servi de dessert au couple vampirique. La blondinette blêmit et manqua de défaillir quand Armand leur révéla ce détail. Il trouva amusante la façon dont l’autre sœur voulait protéger la plus émotive. Il la taquinait lorsque ses sens de chasseurs captèrent un mouvement sur sa droite. Ils étaient encore là. D’un geste fluide, il dégaina son fusil et le pointa dans les broussailles. Il s’apprêtait à tirer, ne se fiant uniquement qu’à son instinct, mais la rouquine mit, subitement, un coup dans son canon. Rompant la concentration de l’albinos et déclenchant sa colère :

  • Mais qu’est-ce qui vous a pris ? maugréa-t-il prêt à exploser.

La jeune femme expliqua qu’Anaël, sa sœur, avait eu bien assez d’émotions pour cette nuit. L’explication tenait la route, mais l’instinct d’Armand lui souffla qu’elle lui mentait. Il consentit cependant à ranger son arme. Il aurait été inconscient de se lancer sur les traces de ses proies avec deux civils l’accompagnant. Il jugula sa rage et offrit aux demoiselles sa protection, le temps qu’elles atteignent les terres de l’Ordre.

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