13.    Un choix cornélien

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Le moment était venu, Armand avait la preuve qu’il attendait. Il bondit hors de sa cachette et fondit sur le nécromancien. D’un geste habile, il lui fit lâcher le livre qu’il tenait à la main et pointa son fusil devant son visage.

  • Par la volonté de l’Ordre, vous êtes en état d’arrestation, annonça-t-il.

La fierté de l’albinos fut sans limites lorsqu’il prononça pour la première fois cette phrase, mais quand il vit les traits de sa proie, son sourire s’évanouit. George le foudroyait d’un regard noir.

  • Espèce d’imbécile, murmura-t-il entre ses dents.

Armand arma le chien de son arme et menaça le gitan de répéter. Ce dernier dut se mordre la lèvre pour garder le silence. Il était, cependant, clair qu’il brûlait de déverser toute sa morgue sur l’albinos tandis que ce dernier lui passait les fers. Il lui demanda ensuite d’ouvrir la marche vers le village. Lorsqu’il passa à hauteur du livre gisant au sol, l’apprenti chasseur le ramassa pour l’étudier un instant : un grimoire de magie noire. Toutes les preuves étaient là.

***

Armand et son prisonnier entrèrent théâtralement dans l’auberge tandis que l’aube pointait doucement. Même s’il avait arrêté celui qui fut le compagnon de sa mère, il ne pouvait masquer sa fierté d’avoir accompli sa mission, qui plus est, dans les temps. Il convergea vers la table où Wilhem déjeunait et lui jetant nonchalamment le livre en s’écriant :

  • J’amène le nécromancien.

Son mentor s’empara de l’ouvrage et le feuilleta, puis, il leva les yeux vers son apprenti et déclara :

  • Tu es vraiment un abruti !

Armand fut immédiatement refroidi par l’accueil de son formateur. Wilhem se redressa nonchalamment et, d’un geste vif, le frappa avec le livre qu’il tenait dans la main.

  • Incapable de différencier grimoire de magie noire et blanche, souffla-t-il. Et ça se prétend apprenti chasseur ! Imbécile !

L’albinos baissa les yeux avec honte. Ce n’était pas la première fois qu’il se faisait vilipender de la sorte par son mentor, mais jamais il ne l’avait fait avec tant de hargne et en public qui plus est. Armand se félicita d’être dissimulé sous un masque, car à cet instant, il sentit ses joues s’empourprer. Il ferma les yeux pour refouler ses larmes lorsqu’une question s’imposa à son esprit : si George voulait protéger le village, dans ce cas, qui était le Nécromancien ? Une idée saugrenue fit alors son apparition, il la repoussa avec violence, mais à chaque fois qu’il poursuivait la liste des hypothétiques coupables, cette théorie ressurgissait inlassablement. Armand redressa doucement la tête tandis que son mentor continuait à déverser sa morgue sur le jeune homme.

  • Je me suis laissé aveuglé, murmura-t-il. Je sais qui c’est.
  • Alors, purge-le, explosa Wilhem ! Comme ça, si tu t’es encore trompé, tu auras une mort sur la conscience. Ça te servira de leçon.

L’albinos acquiesça silencieusement et sur l’injonction de son mentor, retira les fers au gitan. George regardait la scène avec un sourire goguenard, bien heureux de voir le jeune apprenti se faire ainsi malmener.

***

Ça faisait quelques heures que la neige tombait à nouveau à gros flocons, recouvrant le paysage d’une épaisse couche immaculée. Le cœur d’Armand s’emplissait d’une singulière inquiétude tandis qu’il approchait de l’imposant édifice gris. Arrivé devant la grande porte, il prit une minute pour faire le vide dans son esprit et chasser cette angoisse qui le saisissait. Ce n’était pas un petit garçon qu’il allait assassiner, mais bien un dangereux déviant qu’il fallait purger. Il frappa avec vigueur et afficha un air impressionnant et impassible lorsqu’une sœur ouvrit. La joie se dessina sur le visage de la femme et elle souffla son prénom comme si elle était heureuse de le revoir. Armand se tendit et déclara froidement :

  • Je viens chercher Eliott.

Le sourire de la nonne s’évanouit soudainement. Elle savait déjà ce qui allait se passer. Elle s’effaça pour laisser entrer le chasseur, mais l’albinos refusa. Il ordonna qu’on lui amène l’enfant ici. Il ne souhaitait pas lui offrir une horrible humiliation avant sa mort. Armand patienta quelques instants sous la neige avant que la Mère Supérieure fasse son apparition, accompagnée du garçon. Ce dernier, les joues rouges de honte, semblait fasciné par ses pieds. Comme l’albinos s’y attendait, l’ecclésiastique prêcha en faveur de son orphelin, argumentant qu’il était jeune, mais le chasseur coupa court à tout plaidoyer en déclarant froidement :

  • Ce n’est pas à vous de juger ses crimes.

La nonne acquiesça tristement et poussa le garçon vers son bourreau. Elle ajouta cependant une dernière phrase insidieuse :

  • Le Seigneur est capable de pardon pour ses brebis égarées. J’espère que tu seras aussi magnanime que lui.

Armand serra les dents pour masquer son trouble puis partit silencieusement avec l’orphelin comme un aigle emporte sa proie.

***

Armand marcha jusqu’au cimetière, indifférent aux sanglots du garçon qu’il tenait fermemant par le poignet. En réalité, il hésitait entre suivre les ordres de son mentor et lui mentir en épargnant l’enfant. Il s’arrêta devant la sépulture qui servait de refuge à la goule et demanda froidement :

  • Tu sais où nous sommes ?

La réponse de l’orphelin brisa ses certitudes.

  • Oui, Monsieur, déclara-t-il la voix enrouée de larmes. Devant la tombe de ma maman.

L’albinos comprit à cet instant la raison humaine derrière l’acte déviant : ce gamin voulait retrouver sa mère ; que sa vie redevienne comme avant qu’elle ne trépasse. Ayant été abandonné à sa naissance, le jeune homme n’avait jamais ressenti ce besoin, mais pour avoir côtoyé d’autres orphelins, il savait ce que l’enfant pouvait éprouver. Il posa un genou au sol pour être à la hauteur de la petite frimousse et après un soupir mélancolique, lui fit gentiment la morale :

  • La Nécromancie n’est pas un jeu. Ce n’est pas ta maman que tu as fait revenir, mais un monstre sanguinaire qui a terrorisé la ville et tué des bébés innocents.

Les yeux de l’enfant se chargèrent à nouveau de grosses larmes qu’il ne put retenir lorsqu’il annonça :

  • Non, Monsieur. C’était bien elle. J’ai retrouvé tout ce que j’avais perdu lorsqu’elle m’a pris dans ses bras pour me faire un câlin.

Armand ne put s’empêcher d’étreindre Eliott pour le consoler après cette révélation. Eliott se trompait, la goule lui obéissait parce qu’un lien magique entre elle et son invocateur s’était créé. Cela n’avait rien à voir avec de l’amour, mais il se garda bien de lui briser ce souvenir. Il laissa, un long moment, le garçon sangloter sur son épaule puis le repoussa afin de plonger son regard dans le sien pour lui demander :

  • Ce que tu as fait était mal, mais j’accepte de fermer les yeux si tu me jures que plus jamais tu ne recommences une chose pareille.

L’enfant acquiesçait doucement lorsque soudain, une déflagration retentit. Tout se déroula alors au ralenti. Armand vit le visage à demi larmoyant et à demi souriant exploser comme un fruit trop mûr ; projetant des morceaux d’os et de chair aux alentours. Le chasseur mit une minute à comprendre ce qu’il venait de se passer et tandis que le corps sans vie de l’orphelin s’effondrait au sol, il tourna les yeux vers celui qui avait tiré, indifférent au sang qui maculait son masque. Wilhem le toisait d’un air supérieur et rangeant son fusil, il déclara :

  • Je t’avais dit de le purger ; pas de faire ami-ami avec lui.

Quelque chose se brisa dans le mental de l’albinos et hurlant soudainement de rage, il fondit sur son mentor l’épée au clair, bien déterminé à le combattre.

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