14.    Un vain combat

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Ce fut le cœur d’Armand qui parla avant sa raison, guidant inexorablement sa lame vers son mentor. Wilhem fut surpris par cette attaque gratuite et fit un bond en arrière pour éviter le premier coup d'estoc. D’un geste vif, il fit glisser son épée hors du fourreau en lui promettant les pires malheurs pour cet acte odieux. Le combat qui s’en suivit fut brutal et complètement déséquilibré. L’albinos regretta rapidement d’avoir voulu frapper son mentor. Le chasseur étant clairement un bretteur bien plus confirmé que lui. Lorsque son arme entailla de nouveau la blessure qu’il avait au flanc, Armand mit un genou au sol pour faire stopper l’affrontement. Redressant la tête, il se trouva nez à nez avec la gueule béante d’un fusil. Sa fin était imminente, on retrouverait son cadavre gisant dans ce cimetière aux côtés de l’enfant qui venait d’être assassiné. Wilhem tremblait de rage d’avoir osé être ainsi défié. Il brûlait clairement d’appuyer sur la détente et dut se faire violence pour ne pas le faire. La punition qui lui réservait s'avéra bien plus douloureuse que la mort.

  • Tu n’es qu’un vulgaire insecte, cracha-t-il. Un cancrelat que je me retiens d’anéantir. Je ne te ferai pas ce cadeau. Au lieu de ça, tu vivras avec ton erreur sur la conscience. Je te renie. Je cesse dès aujourd’hui ta formation et tu ne deviendras jamais chasseur.

Son message délivré, il frappa violemment l’albinos avec la crosse de son fusil, faisant sombrer le jeune homme dans l’inconscience.

***

Lorsqu’Armand reprit conscience, la première information que son corps lui envoya fut une incommensurable douleur ; comme si des milliers de lames transperçaient sa chair. Il tenta de se redresser, mais ne parvint qu’à rouler dans la neige. Il resta un long moment allongé sur le dos, hypnotisé par la respiration saccadée qui s’échappait de sa bouche en nuages de vapeur. Son cerveau refusait d’analyser la situation et malgré son envie de ne pas penser à ce qui allait advenir de lui, il ne put s’empêcher de s’interroger. Il serait novice toute sa vie… non, pire que ça, l’Ordre venait de le rejeter. Peut-être que s’il retournait voir les Érudits pour prêcher pour sa cause, il réintègrerait les rangs avec un nouveau mentor. Il chassa cette pensée, c’était peu probable. Ses mains se mirent soudainement à trembler lorsqu’il prit conscience de l’horrible réalité. Qu’allait-il faire ? Vivre à la Cour des Miracles et accepter sa défaite. Tenter de convaincre l’Ordre. Rester ici et finir sa vie dans l’orphelinat qui l’a vu grandir. Quel que soit son choix, il devrait se battre pour se faire une place dans ce monde. Il opta donc pour la solution la plus ardue : prêcher pour son salut auprès du Conseil. Il se redressa brutalement, peut être même un peu trop. Sa tête tournait horriblement et son estomac menaçait de rejeter son contenu. Il batailla un moment contre la nausée puis s’intéressa à sa blessure. Le pansement que lui avait fait Agathe était encore bien maintenu à son flanc, mais le sang qui l’imbibait laissait envisager que la plaie s’était à nouveau ouverte. Le désir de retourner voir la sœur s’empara de lui, mais il le chassa avec vigueur : il fallait se concentrer sur son avenir. Malgré son corps perclus de douleurs, il se releva, offrit une sépulture décente au pauvre Eliott puis partit vers le Sud, ressassant silencieusement les mots qu’il pourrait dire pour plaider sa cause.

***

Armand mit plusieurs dizaines de semaines à rallier les terres de l’Ordre. La blessure qu’il avait au flanc pompait toute son énergie et il dut faire quelques longues haltes pour panser convenablement sa plaie. La cicatrisation ne s’effectuait pas de façon optimale et dès qu’il bougeait un peu trop, les chairs à vif se rouvraient, laissant s’écouler du sang. Au bout de quelques jours de calvaire, il décida de se recoudre lui-même. L’expérience fut des plus douloureuses et l’alcool frelaté qu’il avait acheté dans le village tout proche ne l’empêcha pas de tourner de l’œil lorsque la souffrance devenait insupportable. Cependant grâce à cette suture de fortune, il sut se remettre rapidement en route et put parcourir plus de lieues avant de devoir s’arrêter. Marcher lui permettait de ne pas penser à l’avenir, de se concentrer sur le moment présent et les pièges que les champs ou la forêt pouvaient cacher. Il ne voulait pas envisager quelle pourrait être sa vie si le Conseil refusait de le réintégrer. Une boule d’angoisse se forma à mesure qu’il ralliait le Sud et lorsque son regard se posa sur les grandes murailles grises entourant la cité dominée par l’immense tour de l’Ordre, il dut se rendre à l’évidence : il redoutait ce qui allait se passer.

***

Le Conseil attendit deux journées entières avant de daigner le recevoir. Armand profita de ce temps pour passer à l’infirmerie et se faire décemment recoudre. La pauvre assistante eut d’ailleurs des haut-le-cœur en découvrant la plaie purulente et la suture de fortune et sa supérieure dut l’obliger à quitter la salle de peur qu’elle tourne de l’œil. Elle vilipenda l’albinos pour avoir laissé la blessure sans soins appropriés et œuvra des heures pour le rafistoler. Le jeune homme s’en moquait, la douleur lui permettait de faire taire toute autre pensée et dans l’état actuel des choses, il valait mieux. La boule d’angoisse qui lui serrait la gorge ne cessait de croitre à mesure que sa confrontation avec les Érudits approchait. Le jour venu, il se présenta une heure à l’avance dans le corridor et y fit les cent pas en détaillant l’argumentaire qu’il souhaitait avancer. Son pouls s’accéléra lorsque la porte s’ouvrit et il pénétra dans la pièce plongée dans l’obscurité. Un seul membre du Conseil était attablé devant un immense chandelier qui éclairait son visage, à demi dissimulé sous une capuche, d’une lueur chiche. Armand s’avança jusqu’au milieu de la salle puis salua son juge avec une infinie déférence. La réponse de ce dernier fut glaciale :

  • Inutile d’user de boniments avec moi. Ce que tu as fait est grave et immoral et nous sommes parfaitement alignés avec la sentence de Wilhem. Ta formation s’arrête ici.

Armand sentit les larmes lui monter aux yeux et ne parvint pas à les refouler.

  • Que vais-je devenir ? se lamenta-t-il.
  • Il fallait y songer avant de faire preuve d’insubordination. À présent, pars. À moins que quelqu’un n’ait la bonté de te trouver du travail, tu n’as plus rien à faire ici.

La bougie s’éteignit brusquement mettant fin à toute discussion.

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