12.    Le Nécromancien

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Lorsqu’Armand reprit conscience, la première information que capta son cerveau fut un sentiment nostalgique de bien-être. Allongé sur une couche moelleuse et enveloppé d’une douce chaleur, il refusa d’ouvrir les yeux, préférant laisser ses sens continuer à lui faire croire qu’il se trouvait dans un lieu chargé de souvenirs. Le combat contre la goule lui revint en tête, était-il mort ? Impossible ! Son corps ne serait pas autant perclus de douleurs si ça avait été le cas. Quelqu’un l’avait aidé, sauvé, soigné. À en juger par le parfum d’éther qui régnait ici, il devait être dans une infirmerie. Contrairement aux autres, répugnés par cette odeur puissante, Armand l’avait toujours adorée. Elle lui rappelait l’orphelinat et Agathe. Une franche surprise s’empara de lui lorsqu’il entendit la voix de la sœur déclarer doucement :

  • Il revient à lui. Ne fais pas de geste brusque, Armand, tu as pris un très vilain coup.

L’albinos ouvrit brutalement les yeux. Une lumière crue et violente l’agressa, mais il lutta afin de s’assurer que son cerveau ne lui avait pas joué des tours. Agathe se tenait bien là à quelques pas de lui. Le temps avait parcheminé un peu plus sa peau, creusant des fossettes plus profondes de part et d’autre de son étincelant sourire et quelques rides de plus au coin de ses yeux transpirant la bonté. Armand murmura son prénom espérant ne pas dissiper le mirage.

  • Eliott t’a découvert gisant dans le cimetière à côté du cadavre d’une horrible créature. S’il n’avait pas enfreint les règles et quitté l’orphelinat pour une promenade nocturne, Dieu seul sait ce qui te serait arrivé.

Une alarme monta au fond du cœur d’Armand. Wilhem ne lui avait donné que deux jours pour achever sa mission.

  • Je suis ici depuis combien de temps ? s’inquiéta-t-il.
  • Nous t’avons amené en début de matinée. Tu es resté inconscient une bonne partie de la journée.

L’albinos lâcha un juron entre ses dents. Il avait perdu de précieuses heures. La goule était morte, il pourrait peut-être négocier auprès de son mentor pour obtenir quelques jours de plus afin de traquer le nécromancien, mais il ne devait plus s’égarer dans ses émotions et se tourner vers le passé. Malgré les protestations d’Agathe, il sortit de son lit et se dirigea vers la paillasse où étaient entassées ses affaires. Sa tête tournait et ses jambes peinaient à porter son poids et au premier pas, il s’écroula au sol. L’infirmière s’empressa de venir à son secours et le reconduisit à sa couche.

  • Tu n’es pas en état de faire quoi que ce soit, mon garçon, le gronda-t-elle. Il faut que tu te reposes.

Une panique sourde s’empara d’Armand. Wilhem n’était pas connu pour sa patience et il n’hésiterait pas à le punir s’il échouait. Il était tellement focalisé sur sa mission qu’il ne remarqua l’orpheline qui se tenait près de son lit que lorsqu’elle demanda :

  • Tu es un chasseur ? Tu tues les démons ?

L’albinos considéra alors cette petite fille. Elle avait l’air sérieuse avec ses fines lunettes encerclant ses yeux de biche et ses cheveux bruns retenus par une longue natte. De jolies taches de rousseur parsemaient son visage souriant. Perturbé par cette question soudaine, il bredouilla un oui peu convaincant. L’enfant renchérit :

  • Tu vas donc tuer celui qui fait peur au village ?

Armand décela un éclat d’émerveillement dans les yeux de la fillette lorsqu’il répondit :

  • Bien entendu, c’est mon travail.

Mais sa dernière question le déstabilisa complètement :

  • Mais s’il n’est pas vraiment méchant ?

Le jeune apprenti y avait déjà songé, mais ne cessait d’enfouir cette idée au plus profond de son cœur. En tant que chasseur, il ne devait pas se laisser aller à de telles pensées. Il fallait faire son travail, en faisant fi de toute émotion. Agathe intervint soudain en sauveuse, elle repoussa l’enfant en lui déclarant qu’Armand devait se reposer. Ce dernier en profita pour émettre sa requête.

  • Je dois prévenir mon mentor, lâcha-t-il en essayant de masquer le trouble qui le dévorait.

La petite voix chantante de la fillette s’éleva de nouveau dans l’infirmerie.

  • Je peux lui porter une lettre, proposa-t-elle.

Armand vit soudain en elle une aide inespérée qui amusa beaucoup Agathe. L’albinos s’empressa de rédiger une missive et la confia à la fille qui disparut rapidement.

  • Mélisande est tellement adorable, lâcha Agathe une fois l’enfant loin de l’infirmerie. Elle fera une merveilleuse infirmière. Est-ce que tu sais que c’est toi qui l’as guidée vers cette vocation ?

Devant le regard hébété de l’albinos, la sœur expliqua : l’exploit d’Armand face au loup-garou était encore aujourd’hui reconnu par tous et son courage avait fait un exemple auprès de beaucoup d’orphelins qui souhaitaient devenir chasseur comme lui. Mélisande était partie sur une autre approche : elle n’était pas forte ni rusée comme les garçons, mais elle avait des doigts de fée et ne craignait pas la vue du sang. Elle s’avéra être une assistante assidue, entièrement dévouée à sa tâche.

Armand fut abasourdi par cette histoire. Il ne s’était jamais imaginé qu’il pouvait servir de modèle à quelqu’un. Ses pensées s’égarèrent longuement jusqu’à ce qu’Agathe déclare :

  • Regarde-toi ! Tu es devenu un fier et beau chasseur. Les orphelins vont être fous lorsque tu te présenteras à eux.
  • Je ne suis qu’apprenti, corrigea le jeune homme. Et je ne resterai pas. J’ai un nécromancien à purger.

Armand ne comprit pas pourquoi le visage d’Agathe s’assombrit soudainement. Peut-être parce qu’il venait de lui avouer qu’il partirait bientôt.

***

Mélisande avait été convaincante et malgré son premier refus, Wilhem accorda une journée de plus à Armand pour achever son travail. L’albinos décida de quitter rapidement l’orphelinat, mais voulut, avant son départ, remercier cet Eliott sans qui il serait peut-être encore allongé au cimetière à se vider de son sang. Il surprit le garçon seul au milieu du dortoir. Il devait probablement fomenter une quelconque bêtise, car il parut hésitant et peu à l’aise face à l’apprenti chasseur. Il garda son regard vert posé sur ses chaussures tandis qu’il entortillait ses doigts avec frénésie. Sa tignasse rousse formait de grosses boucles qui partaient dans tous les sens, lui offrant un air encore plus adorable. Armand le remercia chaleureusement pour son aide. Il se revoyait dans cet enfant. Peut-être tout simplement parce que tous deux étaient déracinés, sans passé ; obligés à survivre dans cet univers hostile en s’accrochant à ses idéaux. Il ne resta que quelques instants avec lui avant de quitter l’orphelinat.

La nuit était bien installée sur le village ; la lune peinait à traverser les épais nuages, indiquant qu’une nouvelle averse de neige était imminente. Armand s’était immédiatement mis en chasse du nécromancien. Son âme lui soufflait que la menace venait des gitans, aussi, se camoufla-t-il à sage distance des roulottes pour observer. Son instinct avait vu juste ; il montait la garde depuis quelques heures lorsqu’une silhouette se découpa dans les ténèbres. Entièrement encapuchonnée, elle quitta le camp d’un pas rapide, indifférente à la neige qui tombait à présent sur le village. Tapi dans les ombres, Armand la suivit jusqu’au cimetière. Le doute n’était plus permis, il venait de dénicher le nécromancien. Il suffisait, dès lors, de le prendre la main dans le sac et c’en serait fini de lui. L’albinos plongea à couvert entre deux pierres tombales lorsque sa proie s’arrêta soudain pour rudoyer une autre silhouette, beaucoup plus petite. De là où il était, Armand ne distinguait ni leur visage ni leur voix même si le verbe était haut. L’ombre la plus menue partit alors sans demander son reste. Le chasseur sentit son cœur s’accélérer tandis que le nécromancien sortait d’un repli de sa cape un livre. Il l’ouvrit et commença à psalmodier.

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