Chapitre 2

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Les semaines passèrent. Je trouvais ce professeur de plus en plus charmant, sans pour autant tomber dans ses bras. Sans compter qu'à cause de mon emploi du temps chargé, j'oubliais souvent de venir en cours. Je profitais de mes oublis pour m'informer sur les points obscures de l'identité de ce jeune homme, avec le peu d'information que sa biographie sur le site du conservatoire daignait me donner.

Mais un soir, avant les vacances de Noël, il se passa quelque chose qui ressemblait à un cadeau de Noël pour la jeune fille solitaire que j'étais. En effet, depuis ma plus tendre enfance, ma définition du mot "sociabilité" se résumait à des personnes qui semblaient prendre grand plaisir à me torturer l'esprit avec des moqueries en tout genre et autres formes de ce que l'on pouvait appeller le harcèlement scolaire. Bien sûr, il y avait maintenant trois ans - dès ma rentrée au lycée pour être plus précise - que cette peste m'avait quittée, ce qui m'avait permis de m'affirmer. Mais les souvenirs douleureux du passé me rongaient et me rongent encore maintenant, malgré les efforts faits tout au long de ces dernières années. Ces ténébreuses pensées se manifestent par de subites pertes de confiance en soi, une sensation de mal être constant et surtout par des crises de paniques causées par une impression de déjà-vu. J'ai donc appris à me contenter du peu que l'on m'accordait.

J'étais encore en retard, cette fois-ci à cause des transports, et je me précipitai à petit pas dans la salle où se déroulait ce que le conservatoire appellait le concert de Noël. Une petite voix m'interpella dans ma course : "Bonsoir" j'entendis derrière moi. Sur le coup, je ne le reconnus pas. Son tee-shirt jean avait fait place à une chemise rouge et une veste de costard légèrement trop grande, sa coupe de cheveux était plus courte, dû très probablement à un saut chez le coiffeur dans la semaine et son teint, déjà pâle d'ordinaire, l'était encore plus (à cause d'un manque de sommeil important j'appris plus tard) ; je ne sais si c'est la fatigue qui me jouait des tours, mais il semblait être un nouveau Léopold et non celui que je connus ces derniers mois. Sous le coup de la surprise, je pris un air exécrable et lui répondis comme s'il n'était qu'un vaurien, avec un sourcil relevé et un ton faussement sympathique. Je regrettais cette attitude dans la minute qui suivi tellement mon comportement était minable. J'eus à peine le temps de m'installer sur un siège et d'enlever mon manteau, que Léopold vint me demander si je pouvais chanter avec les enfants pour la chanson de Noël. Le chant choisi cette année n'était autre qu'une vieille comptine russe intitulée Petites Clochettes. Je l'avais apprise durant les cours de solfège avec mon groupe composé en grande majorité d'enfants de moins de douze ans. Ils appréciaient le rythme crescendo que prenait cette chanson à partir du deuxième couplet, et je ne me lassais pas de m'abandonner à cet enthousiasme grandissant semaines après semaines. Cependant, ma timidité prit le dessus, et je refusai sur le ton de l'humour sa proposition, en lui sortant un nombre incalculable d'excuses aussi pathétiques les unes que les autres. Il paraissait déçu. Pourtant, il revint plusieurs fois, ne se laissant pas abattre, pour essayer de me faire changer d'avis, sans succès. Il faut dire que, lorsque je décide de ne pas faire quelque chose qui ne me plait pas - comme chanter en public - je peux me montrer très têtue, presque autant qu'un âne ne voulant pas travailler ou qu'une mule refusant d'avancer. Lorsqu'il compris que je ne reviendrai pas sur ma décision, il s'approcha doucement de mon siège et me demanda si la place à mes côtés était prise. J'examinai son visage quelques secondes encore. Ses petits yeux brillaient, et je pouvais voir une forme de gentillesse dans son regard qui me fit oublier le monde dans lequel nous vivions l'espace d'instant. Je lui répondis négativement et l'invita à s'intaller avec un sourire chaleureux ; le premier que je réussi à lui montrer en trois mois, en dépit de l'affection amicale que je lui portais.

Mais cette demande me paraissait étrange : une trentaine de places étaient libres, et j'avais décidé de m'installer parmi la foule enflammée des parents, prêt à tout pour avoir ne serait-ce qu'une photo de leur enfant sur scène en train de jouer de leur instrument, la place à côté de moi n'étant donc pas la plus facile d'accès. Malgré tout, sa présence me rendit instantanément heureuse et je vis par son sourire qu'il l'était également de pouvoir être à mes côtés dans un autre contexte que les cours. Cela me consolai dans l'idée qu'il ne m'avait pas prise en pitié, vu que j'assistais au concert seule comme chaque année. Nous eûmes échangé des banalités, puis la musique repris. Malheureusement pour les musiciens présents sur scène, leur préstation n'égalait point un grand maître de la musique. Le son du violon désaccordé avait le bruit d'une porte qui grince, le violoncelle trébuchait sur les notes comme s'il marchait sur des épines et le piano tentait tant bien que mal de suivre cette cacophonie. J'essayais de refouler mes pensées en me donnant des raisons telles que "Ils n'ont pas eu le temps de réaccorder leurs instruments" ou bien "Peut être que quelque chose les gêne dans la salle, une mauvaise langue sûrement", mais rien n'y faisait, je ne pouvais m'empêcher de froncer les sourcils de mécontentement à l'écoute de ce morceau, quand soudain, j'entendis mon cher voisin murmurer à voix basse. "Ah, contretemps" ; "Ouch, fausse note" ; "Mauvais tempo, ça c'est plus allegro que vivace". Je l'écoutai attentivement, le trouvant attendrissant à parler tout seul comme un enfant. Quand il me regarda, il prit quelques secondes pour m'observer avec des yeux ronds. Il ne s'attendait pas à me voir le fixer avec un sourire plein de tendresse face à ses propos enfantins. Il en devint aussi rouge que la planète Mercure elle-même. Je rentrai dans son jeu et nous continuâmes à marmonner nos commentaires pour nous les partager, comme deux bambins qui ne doivent pas se faire prendre par le maître en classe de mathématique. Cela nous fit rire durant une bonne partie du concert, jusqu'à la dernière préstation : le chant des petits.

Dans un premier temps, le calme et le silence se fit, puis une chorale s'éleva :

" Petites clochettes et petites cloches,
Sonnent et résonnent au cou des chevaux.
Petite musique, le vent qui t'emporte,
Répète avec nous tous, Noël, Noël, Noël. [...]"

Le chant avait été réussi avec brio et les parents applaudissaient de plus belle, la première représentation du nouveau professeur de solfège fut une réussite. Voici le moment de partir, je m'attardai pour parler à Monsieur Bonner. Je n'avais rien de spécial à lui dire, mais le simple fait de m'entretenir une dernière fois avant de partir me semblait nécessaire. Il parlait avec un élève de la classe de harpe, et ma première intention fut de ne pas le déranger, mais la personne en question était une de mes connaissances que je n'avais pas encore saluée. Ce monsieur et moi-même avions fait du solfège ensemble lors de notre première année au conservatoire et nous avions gardé un très bon contact jusqu'à aujourd'hui. Je m'immiscai dans leur conversation jusqu'au moment où je dû partir pour de bon. Depuis ce jour là, ma relation avec Léopold changea du tout au tout et cela n'a plus jamais été comme avant.

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