Chapitre 7 : le visage d'une mère

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Ellie était venue me rendre visite, comme à chaque fin de journée, pour prendre des nouvelles et me raconter deux ou trois potins, que je n’écoutais pas du tout et elle le savait parfaitement. Elle le faisait plus pour elle que pour moi, je m’en étais vite aperçue. Cela l’empêchait sûrement de s’inquiéter.

Chacun gérait le stress à sa façon.

Mon père, lui, ramenait du travail à l’hôpital, et relevait la tête de temps en temps en affichant un sourire splendide, quand il se rendait compte que je l’observais. Cela lui évitait de dire quoi que ce soit. Cathy, quant à elle, faisait les cents pas dans la pièce, faisant claquer ses talons. Et lorsqu’elle en avait marre de tourner en rond, descendait à la cafétéria, engloutissant café sur café, ce qui ne faisait que l’agiter davantage. Mais cela avait le mérite de détendre mes oreilles et mon crâne quelques instants. Trent, lui, avait tout simplement disparu de la circulation. La fuite : un moyen que j’appréciais moi-même particulièrement.

Ce jour-là, le ciel était bleu, un bleu magnifique, lumineux et apaisant, zébré de-ci de-là par quelques nuages blancs qui semblaient vouloir capturer mon esprit. Et puis le soir était venu, le teintant d’un léger violet. Il devenait progressivement indigo, bleu nuit. Je ne sais pas exactement combien de temps je suis restée comme ça, immobile, à observer le jour décliner, luttant contre l’appel de Morphée. Et je ne sais pas non plus quand, exactement, Ellie a fait son apparition. Mais elle était entrée, me laissant vaguer à mes rêveries.

- Tu sais pour Trent, il ne faut pas lui en vouloir…soupira-t-elle, en me saisissant la main.

La sienne était glacée. C’était insupportable comme sensation. Je me retournai alors vers elle, lui souriant et de ma main gauche, tapotait la sienne, comme pour lui dire « T’inquiète, pas de problèmes, je comprends, j’aurais fait pareil ». Sauf que je n’avais pas la force de parler.

J’avais espéré que sa main, glaciale, entre les miennes, brulantes, se serait rapidement réchauffée. Mais non, c’était loupé. Je sentis mon corps tressaillir, sursauter, frénétiquement et violemment. Une nouvelle douleur est survenue, venant des entrailles celle-là. Une envie soudaine de vomir tordait mes organes dans tous les sens. Mais je n’avalais rien depuis plusieurs jours, il n’y avait donc rien à rejeter. Et tout le monde le sait, c’est encore pire. Mon estomac s’amusait à faire le grand huit, comme pour démasquer l’intrus et venait, me semblait-il, heurter mes autres organes, mes poumons. Ils se retrouvaient compressés et je n’arrivais plus à respirer, je suffoquais. Un goût de sang remplit ma bouche. Il giclait de je ne sais où et s’accumulait dans ma gorge, m’étouffant. Une toux vint l’éjecter hors de moi, sous les yeux horrifiés de mon amie

- Oh mon dieu ! s’écria-t-elle. A l’aide ! A l’aide !

Du personnel - mes nouveaux meilleurs amis- entrèrent en toute trombe, me boula sur le côté et je sombrai de nouveau dans l’obscurité.

Un bruit violent me fit sursauter ; une porte qui avait claquée. Je tentais d’ouvrir de nouveau les yeux mais sous l’effet des tranquillisants, la tâche s’avérait assez compliquée. Toute la pièce était plongée dans un épais brouillard, et le peu de lumière ne m’aidait pas à y voir plus clair.

Une ombre s’agitait tout autour de moi, allant d’un bout à l’autre de la pièce. Je la vis saisir quelque chose qui ressemblait à un cube, -une chaise probablement- et l’emmener vers la porte. Il me fallut un peu de temps pour comprendre qu’elle cherchait à bloquer l’accès.

Une fois son œuvre accomplie, l’ombre s’approcha, s’appuya contre la rambarde du lit et se pencha sur moi. Ma vue se fixa alors sur la bague à l’index de la main droite. Une grosse bague en acier ou en argent, qui représentait une tête de mort.

- Joseph…

- Chut !

Sa voix été criarde, comme dans mes rêves, comme celle du petit Joseph.

- Ne t’inquiète pas, ça va aller, me rassura-t-il, en ramenant délicatement mon visage vers le sien.

Je sentais mon cœur s’accélérer, au fur et à mesure que sa bouche approchait de la mienne, et mes joues s’empourpraient. Mais cela, vu mon état, il ne pouvait pas le voir. Je fermais alors les yeux, attendant son contact. J’étais incapable de résister, j’étais à sa merci, autant rendre cela le plus agréable possible.

Je sentis ses lèvres sur mon front. Un contact chaud, qui m’apaisait. Et une sensation particulière vint m’habiter. Comme une perte de contrôle. La fièvre semblait quitter progressivement mon corps en emportant avec elle les envies de vomir et autres désagréments.

Je le sentais trembler, secouant mon lit de toute part et je l’entendais grogner. Je voulais ouvrir les yeux, le repousser pour qu’il arrête. Mais je ne pouvais rien faire. L’endorphine avait déjà fait effet. J’étais en paix, libérée de toutes douleurs, et je sombrais, malgré moi, dans un sommeil réparateur.

Dans un petit pavillon rose bonbon aux volets marron. « Merde, c’est là qu’elle se cachait ! »

Je l’avais suivi pendant presque deux semaines, dès que je l’avais retrouvée, et j’étais venu en repérage quand il n’y avait personne. Mr et Mme Lucas. C’était le nom sur la boîte-aux-lettres. Naïwenn Lucas. « N’importe quoi ! »

De la petite impasse, en face de leur jardin, et à l’abri des regards, sous les branches tombantes d’un saule pleureur, je l’observais jouer avec ses filles, des jumelles de quoi, un an tout au plus et qui n’arrêtaient pas de brailler ! Et elle les regardait comme si c’était les dernières merveilles du monde. « Des trucs plein de saletés, qui n’arrêtent pas de couiner. Les dernières horreurs, oui ! » Pff, ça me donnait la nausée.

Je n’en revenais pas. Ça faisait plus de vingt ans que je la cherchais, celle qui m’avait abandonné pour fuir, ma mère soi-disant, et je la retrouvais dans une jolie maison à jouer la femme idéale et la mère parfaite. Elle m’énervait !

Je l’avais plutôt imaginée en perpétuels mouvements, à l’affût de tout danger, un peu débraillée. Au lieu de quoi, je retrouvais une jeune femme entretenue, souriante et détendue. Elle n’avait pas changé d’un pouce en deux décennies. Elle avait toujours ses longs cheveux noirs soyeux, ses yeux verts avaient gardé la même profondeur et elle n’avait pas perdu la ligne non plus, ni prit une ride.

J’avais passé toute l’après-midi à les observer, restant focalisée sur Naïwenn. Elle semblait vraiment parfaite dans son rôle, au point où ça devenait difficile de savoir si ce n’était effectivement qu’une façade. La douleur s’insinuait en moi à l’idée qu’elle ne m’avait jamais donné cela, mais je la repoussais en une fraction de seconde.

Une des petites l’avait accaparée. Elle nous faisait un concert à elle seule. Elle racontait je ne sais pas quoi, mais ça semblait vraiment important parce qu’elle prenait un air beaucoup trop sérieux pour un bébé.

« Faudrait vraiment inventer un décodeur de mioche ! »

Le rire de Naîwenn, chaleureux, parvenait jusqu’à moi. Et bien que je ne comprenne pas ce qu’il y avait de drôle -c’était même plutôt déconcertant-, son hilarité me contamina. Je me tordais bientôt complètement avant de reprendre mon sérieux. Finalement, Naïwenn semblait heureuse. Au fond, même si je ne faisais pas parti de ce bonheur, c’est tout ce que j’avais souhaité. Même si je ne pourrais jamais l’avouer à haute voix. Et bien qu’elle se trouvait juste de l’autre côté de la rue, elle ne m’avait jamais parue aussi éloignée.

« Deux sœurettes, alors ! »

Deux. Mais où été passé la deuxième ? Trop concentré sur la première qui s’était maintenant mise à se tortiller dans tous les sens, Naïwenn ne s’était pas aperçue qu’il en manquait une. Moi, non plus.

Alors je vis le petit portillon ouvert. A une centaine de mètres, en plein milieu de la route, un petit mioche à quatre pattes.

Des images frappaient mon esprit : un camion klaxonnant, freinant, et la petite disparaissant sous l’engin… Je les chassais en un battement de cils.

Je m’élançai à toute allure sur la voie, accélérant davantage, jusqu’à en avoir le souffle coupé. Le camion arrivait au loin. Tout en continuant ma course, je tentais de lui faire des signes mais ça me faisait perdre trop de temps.

« Je vais y arriver, je vais y arriver… »

Le camion avançait dangereusement et ne semblait rien voir du tout. Il roulait beaucoup trop vite pour une rue en pleine ville. Il roulait trop vite, tout court.

« Encore trois pas, deux, un… »

Je saisis la gamine par le bras, entendis ses os craquer et je nous projetai vers le trottoir alors que le camion continua sa course, ayant à peine ralenti, et klaxonnant à tort et à travers. Je n’eus même pas le temps d’apercevoir le chauffeur.

J’avais amorti la chute, comme j’avais pu, en la serrant contre moi.

- Jessica ! avais-je entendu une voix hurler au loin derrière, une voix familière.

La gamine s’était mise à hurler, j’avais dû lui casser le bras.

- Ah non pas ça, je t’en prie, je déteste quand ça chiale !

Je la mis alors en position allongée, dans le but de la bercer, comme j’avais pu le voir faire par deux ou trois individus aux airs béats. Et elle me regarda. Sa minuscule main vint toucher ma joue et elle arrêta de pleurer. C’était une sensation nouvelle, étrange. Comme si elle me disait « Merci de m’avoir sauvée ». Je sentis la pesanteur chuter ; le sol se déroba sous mes pieds. Ses petits yeux étaient verts, comme Naîwenn, aussi profonds, à s’y noyer, mais le vert moins intense, un peu cramoisi. Elle lui ressemblait déjà beaucoup, elle avait le même grain de peau pâle, les mêmes traits fins.

- Oh Jessica ! Merci jeune homme, sans vous…

Je me retournais et lui fit face. Naïwenn se tenait qu’a une dizaine de centimètres, son autre fille dans les bras. A son expression déconfite, il était évident qu’elle m’avait reconnu.

- Joseph.

- Naïwenn, avais-je répondu sèchement.

Je n’arrivais plus à l’appeler Mère. La mienne était morte le jour où elle m’avait abandonné.

Nous nous regardions, statiques, ne sachant pas quoi dire. Toute expression avait quitté son visage. Je le sondais à la recherche d’une quelconque émotion que son bouclier pourtant sans faille aurait laissé échapper.

Rien. Evidemment.

Je m’étais préparé à ce moment et j’avais envisagé tous les scénarii imaginables : les chaleureuses retrouvailles, les disputes…Mais ça, non. J’étais resté tapis dans l’ombre, attendant le bon moment, la bonne occasion pour lui dire « Coucou, c’est moi, me revoilà ». Mais le destin en avait choisi autrement et je me retrouvais là, muet comme une tombe, sans aucune question à poser, les yeux fixés sur le gros médaillon vert qu’elle portait autour du cou. Son si précieux médaillon. Il était là, à portée de main, enfin. J’aurais pu lui arracher, mon père m’aurait enfin fiché la paix. Mais la petite s’agita dans mes bras et je changeais d’avis. Si je le lui ramenais, que ferait-il d’elle ?

Grrr, je détestais vraiment ce machin!

- Margot, Jessica !

Le mari nous avait rejoint aussi vite qu’il avait pu. C’était un homme plutôt grand, blond aux yeux bleus et relativement musclé pour un homme d’affaires.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

Il avait beaucoup de mal à reprendre son souffle, ce qui l’empêcher de crier.

- J’étais avec Elisa et Jessica m’a échappé, heureusement que Joseph était là, sinon…

Naïwenn, enfin Margot, semblait vraiment affolée. Elle avait toujours été particulièrement douée pour feindre toutes émotions ; mon père n’arrêtait pas de me le rappeler. Je constatais, acide, qu’il avait raison.

L’homme la prit dans ses bras.

- Ce n’est pas ta faute chérie, ça va, ça va…

Il formait le couple idéal, plein d’amour. Cela sonnait faux.

- Tenez! Je crois que je lui ai cassé le bras, je suis désolé.

Je leur tendis leur fille, qui m’adressa un nouveau sourire avant de se mettre à brailler de douleurs dans les bras de son père. Déjà, je voulais la reprendre.

- Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous remercier jeune homme ? me demanda-t-il alors, attendant avec sérieux une réponse.

Je les regardais tous avant de répondre. Ils avaient l’air heureux, le portrait de la famille idéale, malgré la petite pleurant de toutes ses forces. Ils étaient ce à quoi je n’avais pas eu le droit : une famille, une vraie, unie par l’amour. Oui, ça devait être ça une vraie famille. Un pic glacé me transperça la poitrine de part et d’autre. L’espace d’une seconde, je ne pouvais plus bouger.

Je portais mon attention davantage sur Jessica dans les bras du mari et l’autre, Elisa, dans les bras de Naïwenn.

- Soyez là pour elles, toujours. C’est tout, avais-je fini par dire, une boule au ventre.

- C’est évident.

L’homme avait l’air surpris de ma requête mais ce n’était pas à lui qu’elle s’adressait.

- Vous devriez courir à l’infirmerie !

L’homme me regarda, médusé.

- A l’hôpital, non ?

Je fronçais les sourcils. Peu importe le nom que les homos sapiens donnaient à ce genre d’endroit, le résultat restait le même, non ? Je déposai un baiser sur le front de la petite rescapée, qui cessa de pleurer, et disparut à toutes jambes, ma vue brouillée.

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