Le solitaire

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L'ascenseur ralentissait. Le chiffre lumineux indiquait qu'il atteignait le dix-neuvième étage. Kuan Ti constata l'état de propreté de l'établissement hôtelier : irréprochable.

La carte clé numérotée 19-68 déverrouilla la bonne porte. Les rideaux fermés maintenaient la pièce dans une obscurité bénéfique. D'une fente filtrait un rai de lumière où dansait la poussière. Ouverture électrique commandée depuis l'entrée. C'était ça aussi le service multi-étoilé du tout confort.

L'homme alluma le poste de télévision et une cigarette. Il s'assit, expulsa lentement la fumée. Devant ses yeux se formait un brouillard d'où émergeaient les bruits du dedans et ceux du dehors. Diffus. Un flash info claironna le criant rappel d'un fait divers. Il s'agissait de Yao Jiaxin, l'étudiant de vingt et un ans qui, en octobre dernier, avait renversé avec sa Chevrolet une jeune paysanne à vélo. Condamné à mort, le coupable serait exécuté à la fin du mois de juin 2011. Qui mieux que lui, Kuan Ti, aurait eu conscience à ce moment précis de l'injustice des hommes ?

Bouffées de chaleur.

Une bergeronnette se posa sur la rambarde du balcon. Elle picora une fois. Picora une seconde fois. S'envola.

Kuan Ti voulut prendre la place de l'oiseau.

Les baies vitrées de la chambre ouvraient la vue sur une kyrielle de grands immeubles, pas toujours achevés.

L'atmosphère se chargeait de la sueur des ouvriers, l'air de particules de ciment. Les humains lui rappelaient ces fourmis qui s'agitent frénétiquement et courent en tous sens, mais jamais sans raison ni but, car asservies aux contraintes de la communauté.

Lorsque l'on prenait de la hauteur pour observer la physionomie de cette mégapole, la vieille cité défigurait l'ensemble architectural. Les ruelles enchevêtrées témoignaient d'une certaine désolation. Les murs bas délimitaient des cours étroites, minuscules. Les maisons ressemblaient à un tas de ruines d'où surgissaient des éclats de voix. Kuan Ti n'entendait que les cris des enfants.

Il souhaitait voir les bulldozers détruire tout ce fatras.

Fermeture des oreilles. Il éleva son regard.

Le ciel prenait des teintes magnifiques. Dans la lumière crépusculaire, les nuages s'embrasaient de pourpre fendu d'indigo ou de vert. Froidement, sa mégère de mémoire lui rappela qu'il était daltonien.

En quête de bières et d'alcool fort, Kuan Ti avait décidé de descendre s'en payer quelques bouteilles.

La flèche de l'ascenseur clignota plusieurs fois avant de s'effacer devant l'ouverture des portes. Un mégot fumant traînait sur le tapis. Il l'écrasa.

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