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— Nous passerons par Azulimar avant de retourner au Sanctuaire. ça implique de passer par la porte Nord du mur. On prendra un aéronef depuis Amenoth.

Amenoth était une très grande ville, capitale de Torgar. Gabriel l'avait vue sur la mappemonde. Elle était plus étendue que beaucoup de grandes villes de son propre monde. Lorsque Ellohira et lui parvinrent sur les falaises surplombant la vallée de l'Amérion, devenu large et majestueux, ils s'arrêtèrent quelques minutes pour contempler la cité. Accrochée aux berges du fleuve, elle s'étendait sur des kilomètres et, au-dessus, volaient des aéronefs par dizaines. Autour de la cité, une ceinture d'arbres la protégeait d'éventuels survols de dragons, quoiqu'on n'ait jamais vu de dragon corrompu à Torgar. Ellohira entraîna Gabriel à sa suite le long de la route sur laquelle se pressaient caravanes marchandes, messagers, ouvriers où simples voyageurs. Gabriel vit même un homme à bord d'un engin étrange qui lui rappela les motos de chez lui. Sauf que cet engin flottait au-dessus du sol et ne faisait quasiment pas de bruit.

Lorsqu'ils arrivèrent aux abords de la ville, ils empruntèrent un aéronef, moyennant un peu d'argent, qui les mena jusqu'au centre, à deux pas du palais.

— Essayons d'aller voir Nihyr, dit Ellohira, j'aimerais lui dire tout ce qu'on à trouvé là-bas.

Ils se rendirent donc au palais, mais il leur fut impossible de rencontrer Nihyr. Il était reparti pour Ernùn un peu plus tôt après avoir reçu un message de Juena. Elle n'était donc pas partie pour Nordhe, finalement ? Ils se dirigèrent ensuite vers la plate-forme d'envol où on leur prêterait un aéronef pour rejoindre Azulimar. Arrivés à la plate-forme, une vaste aire d'envol pour engins volants située au sommet du palais, on les informa qu'il était impossible de rallier Azulimar ce soir. Une tempête électrique se préparait.

— Un orage ?

— Non, pas un orage, Gabriel. Un orage, même très violent, n'est rien face à ses tempêtes. Il y en a depuis que le mur est construit. C'est sans doute dû aux perturbations atmosphériques et magiques qu'un tel édifice entraîne.

Impossible également de faire le trajet à pied. Et puis attendre le lendemain et prendre un aéronef dans la matinée serait de toute façon plus rapide. Lorsqu'ils redescendirent, les sifis croisèrent le prince et son escorte dans un des innombrables couloirs du palais. Le prince Anzil dégageait assurance et bienveillance. Malgré son jeune âge, il parlait admirablement bien et fut très intéressé de voir deux sifis aussi jeunes. Aussi les invita t-il à le suivre.

C'est ainsi que Gabriel et Ellohira se retrouvèrent un peu plus tard dans la magnifique et vaste salle du trône. Le prince reçut plusieurs personnages importants, dont l'un de ses quatre généraux. Et bien qu'il ne soit pas encore officialisé dans sa fonction de roi, tous semblaient le respecter profondément, à part un grand homme brun qui affichait en permanence un sourire crispé. Lorsque le prince en eut terminé avec les affaires importantes et quelques mondanités indispensables, il exprima son désir de se retirer dans ses appartements. Il glissa un mot à l'oreille d'un de ses gardes du corps et disparut derrière une porte au fond de la salle. Gabriel vit alors le garde s'approcher. Véritable colosse, l'homme portait une élégante armure de métal et une redoutable épée à double tranchant.

— Sa majesté souhaiterait s'entretenir avec vous, messeigneurs. En privé, dans ses appartements. Si vous voulez bien me suivre.

Ellohira approuva d'un signe de tête et emboîta le pas au géant. Il les conduisit dans les appartements du prince par des voies détournées et les abandonna à l'entrée.

— Soyez les bienvenus ! s'exclama le prince en posant son diadème sur la tête d'un buste représentant son défunt père.

— Votre majesté, le salua simplement Ellohira en s'inclinant.

Le prince fit une grimace.

— Par pitié ! dit-il en riant. Épargnez-moi un peu. J'ai beau être prince, je n'ai que seize ans, soit cinq ans de moins que vous si j'ai bonne mémoire.

— Vous avez bonne mémoire, confirma Ellohira avec un sourire.

— Tu dois être Gabriel, dit alors le prince en reportant son attention sur l'élève. Nihyr m'a parlé de toi. Tu es doué, d'après lui.

— Ce serait bien la première fois qu'il le reconnaît, majesté.

— Abandonnez le protocole, il n'y a personne à impressionner ici. J'aimerais que vous me traitiez comme... Un ami, si cela vous est possible ?

— C'est possible, confirma Ellohira.

— Parfait !

— Excusez-moi, mais, pourquoi vouliez-vous nous rencontrer ?

— Je tenais juste à vous parler. Je n'ai que rarement l'occasion de converser avec des gens de mon âge. Et en toute franchise, je comptais sur vous pour me dire sans détour ce qui se passe réellement à Ernùn.

— Nihyr ne vous a t-il pas déjà fait part des nouvelles ? Il n'est pas du genre à cacher quoi que ce soit.

— Je le sais bien. Mais je n'ai pas eu le temps de le voir après qu'il ai reçu le message de votre doyenne.

— Pour être honnête, nous avons été surpris, Gabriel et moi, de ne pas le trouver ici. Nous n'avons pas reçu ce message. Nous étions dans l'est, en territoire glorgs. Et nous pensions Juena partie au loin, dans l'ouest.

— Alors vous pourrez peut-être au moins me dire si mes renseignements sur ce sujet sont exacts. Il y a des bruits qui courent sur les glorgs : ils deviendraient plus intelligents et s’apprêteraient à édifier une ville.

Ellohira afficha soudain une mine grave.

— Nous avons eu affaire à un petit groupe d'entre eux, sur le chemin du retour. Et en effet, ils semblent de plus en plus subtils. Ils parlent de nouveau, font des phrases presque correctes. Quant à savoir s'ils vont dresser des remparts comme jadis, ou non, je ne saurais pas répondre. Mais ça me paraît probable.

Anzil s'assit sur son lit. Il avait l'air fatigué.

— Ces responsabilités, ces journées de politique m'épuisent. Et j'ai peur que certains de ceux qui ont assassiné mon père ne soient encore au palais.

— Comme ce grand type brun qui siège à votre gauche ? demanda Gabriel.

— Par exemple, soupira le prince. C'est un dignitaire de haute lignée. Je ne peux m'en défaire aisément.

— Le couronnement est proche, vous pourrez alors faire comme bon vous semble, l'encouragea Ellohira.

— Je l'espère. Il n'est pas très apprécié, ni du conseil, ni des généraux. Mais il a toujours été un soutien financier important pour mon père. Il comptait obtenir plus de pouvoir qu'il n'en a, je suppose. Et je l'ai déçu en restant en vie ces deux dernières années.

— Je n'échangerais pas ma place avec la vôtre, songea Gabriel tout haut.

Le prince éclata de rire.

— Ni moi la vôtre, Gabriel ! Malgré l'agréable compagnie dont vous jouissez ! Je ne souhaiterais pour rien au monde me retrouver face à un dragon de trente mètres avec pour seules armes un sabre et mon courage.

Gabriel pencha la tête sur le côté, ayant l'air de réfléchir. Puis il haussa les épaules et afficha une mine comique qui fit rire de nouveau le jeune prince.

— J'espère pouvoir compter autant sur vous que sur Nihyr, leur confia le prince. L'Ordre a toujours soutenu mon père et j'avoue avoir craint de ne pas avoir la même chance. L'avis des Chasseurs est toujours pris au sérieux.

— L'âge n'est pas un critère handicapant pour les sifis, dit Ellohira. Si c'était bien là votre crainte. Il nous semble que vous serez au moins aussi bien que votre père.

— Ma famille n'a pas toujours eu si bonne réputation, fit remarquer le prince. Mais tout cela, c'est du passé. Je vais devoir vous demander de partir à présent. J'ai d'autres affaires à régler. Et je suis sûr que vous aussi.

— À dire vrai, non. Nous devons rejoindre Azulimar au plus vite afin de comprendre ce qui se passe. Mais nous sommes coincés, à cause de la tempête.

— Savez-vous où habite le pilote du Nebu, Elebrùn ?

— Oui, pourquoi donc ?

— Il doit passer me voir un peu plus tard. Je lui dirai que je vous ai envoyé chez lui. Il vous hébergera pour la nuit et aura sans doute des renseignements pour vous en revenant d'Ernùn.

Ellohira remercia le prince en s'inclinant profondément et en affichant un sourire radieux. Puis elle et Gabriel prirent congé.

— Je l'aime bien. Il est plutôt sympa pour un prince.

Ellohira approuva en prenant à nouveau la direction de l'aire d'envol. Là, elle demanda à être conduite chez Elebrùn.

— Domicile de l'officier commandant du Nebu ! cria un technicien à l'adresse d'un pilote qui fit aussitôt signe aux sifis de le suivre.

Ils embarquèrent dans un petit aéronef. Il ressemblait à un minibus de bois qu'on aurait fixé sous un dirigeable et affublé de turbines futuristes. En quelques minutes, ils survolèrent les magnifiques jardins royaux, le fleuve Amérion sur lequel voguaient de grands navires aux voiles immenses, pour se poser enfin dans le vaste parc d'une résidence située sur la rive opposée, juste en face du palais.

— Vous êtes arrivés, annonça le pilote.

Les sifis descendirent de l'aéronef que le pilote s'empressa de ramener au palais afin d'honorer d'autres courses. Ils remontèrent une large allée gravillonnée en direction de la vaste demeure. Apparurent alors deux personnes, un homme et une femme, des domestiques, venant à leur rencontre. Il s'agissait du majordome et de la femme de chambre qui accueillirent les sifis comme des rois. En attendant le retour de leur maître, ils conduisirent les deux jeunes gens à leurs chambres, firent préparer leurs lits, leur proposèrent de faire laver leurs vêtements, de prendre un bain. Lorsque Elebrùn arriva, il trouva les sifis dans le salon, habillé avec les vêtements reçus du général du fort, conversant et jouant une partie de pazan tout en sirotant une délicieuse liqueur dorée.

— Je vois que vous êtes bien installés ! C'est bien. Il est tard, si vous le voulez bien, je vais faire dresser la table pour le dîner. Nous discuterons après, je suis affamé.

Le dîner fut agréable. Elebrun se révéla être une personne intéressante à tous points de vue. Il était un pilote et un ingénieur accompli et intarissable sur les aéronefs bien sûr, mais aussi sur l'histoire, la politique compliquée du pays, la situation délicate dans laquelle se trouvait le prince. Après le dîner, il conduisit les sifis dans sa bibliothèque. Il s'installa à son bureau, invitant Ellohira et Gabriel à s'asseoir en face de lui.

— Ce qui a ramené Nihyr à Azulimar n'est pas une bonne nouvelle. Galdrill, le régent, est inquiet. L'Ordre, le conseil et la Vigie le sont tout autant. Le Clan s'agite, les dragons se rassemblent. Des rapports font état d'une grande armée de har-lin se dirigeant vers la cité.

— Une attaque ? demanda Ellohira, effarée.

— Dans très peu de temps, confirma sombrement Elebrùn. Et cette fois, Azulimar risque de tomber.

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