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La voiture roulait depuis deux bonnes heures déjà. Gabriel ne parvenait pas à dormir. Devant lui, sa mère dormait à point fermé, bouche entrouverte. À sa gauche, Thomas et Rebecca somnolaient depuis le début du trajet. Gabriel tournait parfois la tête en arrière afin de vérifier que la famille d'Esteban suivait toujours.

Après un moment, il enfonça les écouteurs de son baladeur dans les oreilles. Bercé par la musique, il parvint enfin à s'endormir. Il ne fit aucun cauchemar cette fois et ne se réveilla que lorsque son père le secoua par l'épaule.

— On est arrivé, viens.

Gabriel descendit de la voiture. Jetant un coup d'œil autour de lui, il vit des mines fatiguées. Très vite, ces expressions se changèrent en excitation pour certains, en appréhension pour d'autres. En un éclair, Gabriel se retrouva dans un gigantesque hall déjà fourmillant. Encore un éclair plus tard, il s'installait dans un fauteuil confortable d'un appareil conçu et fabriqué par la S.T.A.T. Il lui semblait étrange de ne pas avoir vu le temps passer et se sentait un peu comme dans un rêve. Mais l'avion décollait bel et bien. Combien de temps avaient-ils attendu dans l'aéroport ? Une légère appréhension le saisit quand il sentit les roues de l'appareil quitter le sol avec un léger soubresaut. Quelques minutes après le décollage, il plongea de nouveau dans le sommeil.

Le réveil suivant fut plus agréable ; une hôtesse passait dans les rangs pour proposer le petit déjeuner qu'il se fit une joie d'accepter. Puis la suite du vol passa rapidement. Esteban, Thomas et lui jouèrent ensemble pendant un bon moment avec leurs consoles portables. L'appareil se posa à deux reprises pour prendre des passagers. Esteban, pris de fatigue, replongea dans le sommeil au deuxième arrêt. Gabriel commençant à s'ennuyer ferme finit par s'endormir également.

Cette fois, son cauchemar revint plus violent, plus terrifiant que jamais. Il se réveilla en sursaut, couvert de sueur.

— Vous allez bien monsieur ? demanda une hôtesse, sincèrement inquiète.

— Oui, oui, merci, répondit Gabriel après une seconde d'égarement. Un simple mauvais rêve.

L'hôtesse s'éloigna et revint avec une serviette chaude et un verre d'eau qu'elle tendit à Gabriel avec un sourire. Certains passagers lui lançaient des regards intrigués : il avait sans doute encore crié avant de revenir à lui. Il s'épongea le front et avala le contenu du verre qui lui sembla comme une bouffée d'oxygène. Il remercia la jeune femme qui s'éloigna de nouveau.

Après le déjeuner, une hôtesse pria les passagers de remettre leurs ceintures pour se préparer à l'atterrissage imminent. Gabriel eut une nouvelle fois l'impression de rater certaines périodes de temps. Il sentit les roues de l'avion toucher la piste et se retrouva dans une des voitures de la S.T.A.T. immédiatement après. Il avait toujours su lâcher prise pendant les moments d'attente, mais là ça devenait franchement bizarre. Pendant tout le trajet, il laissa son esprit vagabonder, si bien qu'une fois encore, il ne comprit pas vraiment ce qui se passait. Pourquoi le faire monter dans une voiture, pour en redescendre immédiatement ? Il se rendit pourtant compte qu'il avait parcouru plusieurs kilomètres. Il demeurait étrangement détaché de la réalité depuis quelque temps. Et il avait l'impression que ce phénomène s'accentuait.

Il fut soulagé de constater durant l'après-midi qu'il ne se produisit plus rien de semblable. En vérité il resta bien trop occupé pour que son esprit aie le temps de s'égarer de nouveau.

Il visita la nouvelle maison de sa famille, fit le tour du quartier. Puis tous se retrouvèrent le soir pour partager le souper. Ils veillèrent tard, se retrouvant même pendant un moment à regarder le ciel étoilé avec la famille d'Esteban, s'extasiant devant des constellations inobservables dans l'hémisphère nord. Puis tous se souhaitèrent une bonne nuit et s'en allèrent se coucher.

Gabriel s'enferma dans cette pièce qui ne serait sa chambre que pendant quelques jours. Il se déshabilla et se glissa sous les draps. Il venait de quitter un climat assez froid pour un autre qui l'était beaucoup moins. Il eut un peu de mal à s'habituer à ce brusque changement de température.

Ce fut pire le lendemain matin, l'atmosphère se réchauffait à vitesse grand V et Gabriel se réveilla de nouveau en sursaut, couvert de sueur. Il ne se rappelait cependant pas avoir fait son cauchemar habituel. Son état découlait de la température déjà excessive, quand à son réveil brutal il le devait à un bruit violent à l'étage inférieur, suivit d'un « merde! » retentissant et inhabituel.

Après un passage éclair dans la salle de bain, il descendit dans la cuisine pour prendre son petit déjeuner. Il jeta un coup d'œil sur sa montre.

Midi !

Il l'avait mise à l'heure locale la veille au soir. Il regrettait un peu de ne pas s'être réveillé plus tôt, histoire de profiter d'un premier petit-déjeuner. Au lieu de ça, il devrait passer directement aux plats toujours très légers de sa mère. Elle se trouvait d'ailleurs dans la cuisine.

— Ah, je me demandais qui serait le premier debout. Tu veux bien mettre la table s'il te plaît?

Gabriel, l'air endormi, empoigna une pile d'assiettes déjà prête et les répartit aussitôt sur la table, en baillant si fort qu'il crut s'arracher la mâchoire, sous le regard amusé de sa mère. Marie se rendit à l'étage quelques minutes plus tard pour réveiller le reste de la famille.

Après le déjeuner, Gabriel se retira dans sa chambre, prétendant aller dormir. Il ne se sentait pas du tout fatigué, il désirait simplement être un peu seul.

Ce ne fut que le lendemain qu'il retrouva un peu de sa bonne humeur habituelle, mettant sur le compte du décalage horaire ses états-d'âme de la veille.

Il se leva de bonne heure, avant tout le monde, et sortit pour explorer un peu les environs. Il fit le tour du pâté de maisons, et se retrouva nez à nez avec son frère, au détour d'une rue.

— Je te cherchais. Tu fais quoi dehors à cette heure ?

— Je me balade, répondit Gabriel en haussant les épaules.

Ils continuèrent leur visite des environs ensemble. Le quartier s'étendait sur les hauteurs dominant le reste des installations de l'entreprise. Un fleuve se jetait dans la mer en une multitude de bras séparés d'éperons rocheux. Certaines installations de la S.T.A.T. s'y trouvaient, ayant apparemment besoin d'eau en grande quantité pour fonctionner. Des pistes d'aviation et des terrains d'essai s'étendaient à perte de vue, jusque dans le désert aride, au sud. Les labos et usines étant tout neufs et la plupart encore inactifs, un certain calme régnait partout. Du haut de l'éminence sur laquelle se trouvait le quartier, Gabriel et Thomas observèrent le spectacle, puis se dirigèrent de nouveau vers la maison, non sans faire un large détour.

En revenant, ils passèrent devant un grand terrain où s'élevait un bâtiment de la firme. Tout juste terminé, cet immense hangar se dressait au centre d'une grande étendue de terre rouge et sèche entourée de grillage et de fil d'acier barbelé. Des caméras veillaient au-dessus des portes et au sommet de plusieurs pylônes.

— C'est la première fois que je vois un bâtiment de la S.T.A.T. aussi bien protégé, s'étonna Gabriel. On est déjà dans une enceinte sécurisée.

Thomas jeta un œil au bâtiment, remarqua des détecteurs de mouvement et deux gardes accompagnés de deux molosses. De plus, il se trouvait étrangement isolé de toute autre installation.

— Sûrement un truc de recherche. On entre ? demanda Thomas en plaisantant.

Gabriel ne répondit pas.

— Alors! Tu attends quoi ? C'était pour rire, tu sais ?

— Regarde, y'a quelque chose qui cloche.

En effet, les deux gardes couraient vers l'entrée du bâtiment, précédés par leurs chiens.

— Il poursuivent quelqu'un tu crois? demanda Thomas, soudain un peu excité.

— J'ai plutôt l'impression que leurs chiens poursuivent quelque chose et que les gardes poursuivent leurs chiens, répondit Gabriel, amusé. Ça fait pas très sérieux.

Les deux hommes disparurent dans le hangar à la poursuite de leurs molosses. Presque aussitôt, un cri d'horreur s'échappa du hangar.

Gabriel et Thomas échangèrent un regard, avisèrent la barrière qui leur permettrait d'entrer facilement si jamais ils se décidaient à entrer. Les aboiements continuèrent, un nouveau cri retentit.

— Ils ont peut-être besoin d'aide ? suggéra Thomas.

Gabriel, partagé, sortit son téléphone de sa poche et composa le numéro des urgences. Hélas, il ne reçut qu'un étrange signal, indiquant sans doute que ce numéro ne fonctionnait pas ici.

— Rien du tout, ça ne marche pas.

Ils échangèrent un dernier regard avant de prendre leur décision et se précipitèrent en avant. Ils sautèrent par-dessus la barrière et foncèrent vers l'entrée. En arrivant dans le hangar, ils retrouvèrent les deux gardes. L'un semblait être tombé à la renverse et se tenait maintenant assis par terre, les mains posées en arrière sur le béton. L'autre se tenait debout un peu plus loin, parlant dans une radio. Encore un peu plus loin, les deux chiens aboyaient furieusement devant un grand tube transparent, posé à la verticale en plein milieu du hangar.

Le garde resté debout jeta soudain la radio par terre en jurant. Il fit volte-face et découvrit les deux garçons.

— Qu'est-ce que vous foutez là vous deux? hurla-t-il. Dehors ! C'est dangereux et vous n'avez rien à faire ici !

Mais les garçons ne bougèrent pas, ils observaient le conteneur les yeux grands ouverts. À l'intérieur se trouvait un éclat scintillant en lévitation. Par moment, ils apercevaient comme un fantôme, image spectrale d'une femme magnifique. Ils eurent le sentiment d'être appelés, entraînés vers elle.

Le premier garde, toujours par terre, fixait le tube transparent d'un regard vide, comme s'il n'était plus conscient. Le second continua à hurler aux garçons de s'en aller tout en s'approchant d'un air menaçant. Les chiens aboyaient toujours furieusement. Pour accentuer encore le vacarme, un bourdonnement de plus en plus fort, semblant provenir du conteneur, résonnait dans tout le bâtiment. Gabriel et Thomas aperçurent de nouveau fugacement l'image de la femme dans le tube. Se pouvait-il qu'elle leur adresse un signe ? Au même moment, le second garde se tut. Il resta figé là, la bouche grande ouverte, l'air furieux. En l'observant d'un peu plus près, les garçons se seraient aperçu qu'il bougeait encore, comme si le temps s'était ralenti pour lui. Mais ils étaient comme hypnotisés par cette image spectrale et ne prêtaient plus attention à rien d'autre. En approchant, la femme leur apparut encore par deux fois. Plus aucun aboiement. La femme ne disparut plus quand il furent assez proches. Son regard se dirigeait vers eux et elle les encourageait à approcher.

Soudain, le sol se déroba sous leurs pieds. Tout sembla se disloquer et ils se sentirent chuter dans l'obscurité. Gabriel et Thomas s'écrasèrent à terre, sourds et aveugles.

Gabriel parvint à se redresser un peu. Assis en tailleur, la vue encore obscurcie, il cligna des yeux, essayant de voir un peu mieux d'où venaient ces éclats de lumière bleue.

Il entendit son frère grogner à côté de lui. Tout semblait être revenu au calme autour d'eux.

Quelques secondes plus tard, il distingua enfin nettement son environnement ; une grande pièce rectangulaire aux murs, au sol et au plafond de pierre. De portes-lampes accrochés aux murs jaillissaient des flammes d'un bleu azur. Ses yeux lui faisaient mal et ses oreilles bourdonnaient.

— On est où? demanda Thomas d'une voix faible.

— Je n'en sais absolument rien... reconnu Gabriel. Sans doute sous le hangar.

Alors que Gabriel observait une large vasque métallique à l'opposé de la salle, Thomas poussa une exclamation de surprise.

— Qu'est-ce qu'il y a ? s’inquiéta Gabriel.

— Y'a pas de trou dans le plafond ! Pas de porte non plus... Par où on est arrivés ?

La question était intéressante, en effet. Il leur faudrait bien trouver un moyen de sortir et ces deux problèmes semblaient, à priori, intimement liés. Un instant, ils demeurèrent tous deux immobiles, pensant avoir entendu un cri. Mais ils n'entendirent plus rien lorsqu'ils tendirent l'oreille.

Gabriel fit signe à son frère de le suivre. Il voulait inspecter la vasque de plus près.

Quand ils furent approximativement au centre de la pièce, ils furent paralysés. Pas moyen de faire un pas de plus. Impossible de parler ou de faire le moindre mouvement. Même cligner des paupières se révéla impossible, ce qui devint rapidement désagréable.

La vasque, dans laquelle les deux garçons auraient pu aisément s'allonger, s'enflamma soudain du même feu bleu azur que celui qui brûlait le long des murs.

Gabriel sentit ses membres s'engourdir. Sa vue s'obscurcit de nouveau. Il eut juste le temps de voir de fines lignes briller d'une vive lumière bleutée sur le sol, puis il s'écroula.

Il tomba d'abord à genoux, mais ne ressentit aucune douleur. À côté de lui, Thomas gisait déjà à terre, étendu sur le dos. Gabriel bascula sur le côté et sa tête heurta violemment le sol. À ce moment, il avait déjà perdu connaissance.

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