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Encore une fois il survolait les grandes plaines herbeuses que sillonnaient quelques troupeaux d'animaux inconnus. Cette fois encore, il vit arriver de loin une grande silhouette ailée, devenant nuage ténébreux au fur et à mesure de son approche. Avalé par le nuage, il subissait les pires tourments que l'on puisse imaginer. Et comme à chaque fois, il se réveilla en criant, couvert de sueur.


*


Ce matin, il devait aider Marie, sa mère, à préparer les cartons. Il ne travaillait pas aujourd'hui, lundi. Apprenti depuis un an chez un maître menuisier plusieurs fois récompensé pour son travail, Gabriel, devenu un jeune homme plein de ressources, touchait un peu à tout.

Pour le moment il emballait des verres, les enveloppant chacun dans sa feuille de papier journal, les rangeant ensuite soigneusement dans leur carton.

Le déménagement approchait à grande vitesse. Muté suite à une importante promotion, son père embarquait toute la famille avec lui vers un nouveau chez eux ; une grande île désertique située très loin au sud. Là-bas se déroulaient les recherches les plus secrètes de la STAT. Aéronautique.

Toute la famille sauf Gabriel. Lui ne partirait qu'une semaine. Il reviendrait ensuite afin de terminer son apprentissage. Il ne comptait pas construire sa vie ailleurs de toute façon, même si cela l'attristait de se séparer de sa famille et de certains amis qui partageaient le même destin.

Il emballait à présent des assiettes par douzaines, pensant que ses parents possédaient bien trop de vaisselle ; quatre services complets au moins, sans compter un nombre incalculable de bibelots et d'ustensiles. Il devait faire vite, les déménageurs venaient l'après-midi même afin d'emporter les meubles et les faire embarquer à bord d'un porte-conteneur.

Un peu avant midi, il termina le dernier carton et se rendit dans sa chambre, à présent vide. Toutes ses affaires, à l'exception d'une lourde valise, se trouvaient déjà dans l'appartement qui se trouvait au-dessus du commerce de sa mère. Marie possédait un salon de thé en ville, dont elle avait récemment confié la gestion à une employée. Le petit appartement dont elle se servait pour manger le midi et organiser des soirées entre femmes serait désormais occupé par son fils. Gabriel saisit sa valise et redescendit au rez-de-chaussé. Il embrassa sa mère avant de rentrer dans son nouveau chez-lui.

Une fois sur place, il s'écroula sur son canapé défoncé et alluma la télévision. Il ne resta que quelques secondes devant l'écran avant de se relever pour se préparer à manger. Le présentateur du journal annonçait une série de phénomènes étranges survenus au large des côtes, en plein milieu de l’océan. Gabriel sortit des œufs du réfrigérateur, écouta le présentateur annoncer l'ouverture prochaine d'un nouveau parc d'attractions dans la région. Il revint devant la télé, s'installant cette fois devant sa table basse, assis en tailleur, alors qu'un reportage sur une erreur judiciaire vieille de trente ans débutait.

Gabriel jeta un regard vers sa montre entre deux bouchées : 13 h 20. Libre jusqu'à dix-huit heures, il termina son repas et alluma son ordinateur ainsi que sa console de jeu. Il lança plusieurs téléchargements et reporta son attention vers un jeu vidéo qui lui résistait depuis une bonne trentaine d'heures. L'après-midi passa si vite qu'il faillit oublier Thomas, son rendez-vous de 18 h. Il consulta rapidement son écran d'ordinateur pour vérifier que ses téléchargements étaient terminés, éteignit la machine, sa console et la télévision. Il attrapa ses clefs et son manteau puis sortit. Il ne voulait pas manquer son frère à la sortie du lycée.

Il faisait déjà nuit depuis un moment et également très froid. Il se dirigea vers le lycée de son frère à grands pas. Arrivé devant la grille, il consulta sa montre. 17 h 50. Plus que quelques minutes à attendre. Il s'installa contre les barreaux et attendit, fixant ses pieds, les mains dans les poches. Il faisait vraiment très froid. La brume qu'il exhalait à chaque expiration gelait et tombait vers le sol en drôles de petits flocons.

Une sonnerie retentit peu après et, presque aussitôt, une marée d'élèves se rua vers la sortie. Gabriel se redressa et domina de toute sa hauteur les étudiants qui lui passaient devant le nez. Il sentit quelqu'un tirer la manche de son manteau.

— Salut Gabriel, lança une jolie jeune fille brune. Ça va?

Ils se firent la bise.

— Bien, merci Lorine. Et toi?

— Ça peut aller. Ton frère va arriver, le prof l'a encore retenu après le cours.

Lorine était la sœur cadette d'Esteban, le meilleur ami de Gabriel. Elle s'éloigna en compagnie de plusieurs amies. Thomas arriva peu après.

— Salut frangin.

Il se glissa entre deux élèves bien plus grands que lui. Il avait 15 ans, mais poursuivait ses études avec pas moins de deux années d'avance.

— Tu as vu Lorine ? demanda-t-il en fouillant la foule du regard.

— Oui, elle vient de partir avec des amies, répondit Gabriel d'un ton qu'il voulait neutre.

Thomas eut l'air très déçu. Son frère sourit.

Sur le chemin du retour, ils furent rejoints par Esteban.

Si Gabriel ressemblait, en quelque sorte, à un ange un peu ténébreux tombé du ciel, Esteban quant à lui aurait plus fait penser à un dangereux prédateur. Tout, depuis sa façon de marcher, jusqu'à son visage carré arborant en permanence une expression farouche, poussait à se méfier de ce garçon pourtant tout à fait adorable. Sa famille déménageait également. Son père, chef de centre et docteur en physique, gagnait lui aussi un poste important dans les nouvelles installations de la S.T.A.T.

Ils discutèrent de choses et d'autres, mais en majeure partie, la discussion tourna autour de la journée du lendemain.

— Ce qui m'embête le plus, disait Esteban, c'est qu'on va devoir se lever à 2 heures du mat' !

— Tu sais ce qui m'embête le plus? rétorqua Gabriel, maussade.

Thomas et Esteban échangèrent un regard, devinant très bien ce qu'il voulait dire. Gabriel partait avec sa famille pendant une semaine, histoire de voir leur nouvel environnement, de visiter peut-être quelques installations. Mais ensuite, il reviendrait ici. Seul. Il se retrouverait sans sa famille, sans son meilleur ami. Il s'en accommoderait, mais redoutait tout de même le moment où, revenant dans son appartement, il se rendrait compte que les personnes importantes de sa vie se trouvaient à des milliers de kilomètres.

Pour le moment, ils atteignaient seulement le quartier résidentiel que la S.T.A.T., la société où travaillaient leurs pères, avait fait construire pour ses grands responsables. Gabriel accompagna Thomas jusque devant le portail de la maison, puis resta un peu dehors à discuter avec Esteban, qui habitait juste en face.


Il était près de 20 h quand il rentra chez lui. Il mangea un morceau avant de s'installer devant la télévision. Il jeta un œil à sa valise, pensant au voyage du lendemain. Son billet aller-retour semblait le torturer depuis la table basse, lui rappelant que lui ne pourrait pas rester là-bas avec ses proches.

Il fit un passage éclair dans la salle de bain avant de se coucher.


Encore ce rêve. C'était toutes les nuits en ce moment. Cela devenait fatiguant. Le réveil sonna.

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