7 - A la Recherche du Temps Gagné

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Lorsque le vent s’engouffre dans l’entrée et que la porte claque, Célio, à l’affût, sait que le temps est venu de chercher l’inspiration comme elle se doit d’être cherchée, et de la trouver, au creux des lignes d’un autre. Il s’assure tout d’abord du départ de l’ermite, que sa silhouette disparaisse au ciel blême, qu’il ne reste de sa présence défunte que le témoignage exquis de son départ, sculpté par ses pas.

Alors Célio furète, fouine, de ses yeux et ses mains qu’il promène alentour et qu’il plonge, avec avidité, dans les gouffres sans fond des meubles, au hasard des cartons qu’il trouve, disséminés ici ou là dans l’insalubre chalet. En vain, Célio ne trouve rien pour nourrir son propre ciel que de la poussière, et beaucoup de vide.

C’est dans la chambre de son mentor qu’il trouve enfin l’Alpha et l’Omega : un dictionnaire et son précieux, une œuvre d’une épaisseur considérable, de sorte que Célio se demande s’il n’a pas commencé à l’écrire depuis la nuit de temps.

Très vite, il s’y plonge, en loue la maîtrise, mais n’éprouve point de joie à la lire. Voilà ce qui se tisse en lui de pensées :

« Ah tiens oui, bonne idée ! Et celle-ci ! Oui, et encore oui. Tiens, pourquoi pas, je vais prendre ce mot et celui-ci. Tiens donc : térébrant ! Je ne l’ai jamais encore rencontré. Personne ne parle de cet insecte et moins encore de son emploi métaphorique, il en égrène ici ou là, cela donne à l’ensemble un certain cachet. Il serait bon que je le popularise, ainsi que cette expression ici, basées sur des associations improbables d’épithètes, ces éclipses narratives, et ce genre de tropes, oui, pas mal, et l’usage comme ceci de la ponctuation, notamment l’usage des : avec des inférences implicites, l’énumération qui se brise dans une seule évocation forte, ou poétique, je valide. C’est si peu courant qu’il me sera aisé de l’imposer et d’en faire mon leitmotiv, pour que cela soit de mon fait et qu’on loue mon génie, qu’on y trouve - enfin ! - ma personnalité. Il suffirait de réduire les phrases par deux, de les simplifier, pour que ce soit plus fluide, moins pompeux, plus actuel, et qu’on y voit que du feu ! En outre, j’aime bien cette façon de raconter par fragments, que chaque unité ait son sens, mais donne la mesure au récit dans son intégralité, tel un tableau cubiste, je vais retenir cet aspect également. Tout cela devrait me permettre de sortir enfin des sentiers battus… Cela peut sembler beaucoup d’emprunts, mais il se pourrait que ce soit l’avenir, et, de toute façon, personne n’en saura jamais rien. Voilà, j’ai ce qu’il me faut pour écrire, il est temps de me mettre à la tâche. J’écrirai sur le Japon moi aussi, guidé par ses mots à lui et l’architecture de ses phrases pour trouver les miens, cela sera plus aisé. Et s’ils ne deviennent pas miens, les mots, ces ensembles de structures, ils passeront comme tel : je n’aurais qu’à m’en défendre en prétendant que tout cela ne lui appartient pas et l’on me croira, puisque mon histoire sera tout autre, maquillant les mots, la syntaxe, les tropes et même les tics : tout. Ah ! Me voilà rasséréné ! Heureux ! Je me sens plein de cet univers qui me remplit comme de l’air et que je pourrais faire mien, assurément, pour briller davantage et enfin être lu, aimé ! Mais surtout : avoir du style, enfin ! Telle aurait dû être mon initiation ! »

Très vite, Célio repose l’ouvrage de son mentor afin de se pencher sur sa propre japonaiserie qu’il brode aussitôt en petites giclées savoureuses : quelques notes, et les mots ne tardent pas de poindre en gouttes d’encre sur la surface du papier, s’ancrent au plus profond d’une œuvre qui fera son temps. Une œuvre à laquelle il donne des contours tout à fait différents de ce qu’il écrit d’ordinaire, mais il lui semble que cela a enfin une personnalité : la sienne, c’est indéniable !

Pour la première fois, mu par cet élan, il s’essaye à la poésie, comprenant que c’est une façon percutante de commencer une œuvre qui se veut poétique : ainsi s’ouvre l’odyssée de son mentor, ce n’est pas un hasard. Tel est le danger du mimétisme, à savoir : faire son marché chez l’autre, piller ses étals et laisser son âme au placard, aurait dit l’ermite, mais visiblement Célio n’en a cure, ce qui lui importe, c’est d’écrire, de noircir et d’y gagner quelque chose : la reconnaissance, et peut-être, tout espoir est bon, de l’argent !

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