Chapitre 13 : Pil-pil de Cocochas

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Cali attendait ce jour avec impatience. Aujourd'hui elle reverrait enfin Iker, et il l'emmènerait à ce fameux stage de flamenco, sur la Plaza de España, la place la plus somptueuse et la plus célèbre de Séville.

Toutefois, cette histoire de portable continuait à la perturber. Elle avait décidé de ne pas en parler à Mélodie pour deux raisons : soit elle l'enverrait bouler parce que son amie devenait anxieuse pour un sou, soit elle en ferait tout un plat et enquêterait sur Iker jusqu'à ce que mort s'en suive. Cali avait également songé à passer par Carmen pour en savoir plus sur son demi-frère, mais la mission s'avérait risquée.

L'écrivaine avait tout de même réussi à trouver le nom de ce dernier sur le site internet du Musée : Iker Llorente.

Cependant, en le rentrant sur tous les moteurs de recherche et les réseaux sociaux possibles : Google, Ecosia, Mozilla, Qwant, - même Internet Explorer -, Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat, - même Tiktok -, Youtube, Linkedin... Elle ne trouva rien-du-tout. Aucune photo, aucune trace d'une vie numérique, d'un avis sur un achat quelconque ou d'un vieux skyblog laissé à l'abandon.

Face à ce mystère grandissant, la jeune femme prit la décision de lui en parler subtilement, sans pour autant passer pour la stalkeuse de service. Il fallait qu'elle choisisse le moment opportun, sans doute à la fin de la soirée, pour ne pas tout gâcher. Ou... au petit-déjeuner, en fonction de comment finirait leur rendez-vous.

Il faut dire que sur ce point, elle était restée sur sa faim, juste avant que Guillaume ne débarque comme un cheveu sur la soupe. Cali se mordit la lèvre inférieure.

Iker s'était avéré très doué pour déclencher rapidement des sensations incroyables à son corps, et elle avait hâte de découvrir l'étendue de son talent. Haaaa ! En plus, elle enrageait car Mélodie et Carmen, elles, s'étaient revues pratiquement tous les jours depuis Pâques; au boucan qu'elles faisaient dans la chambre de l'étudiante, l'écrivaine en déduisait qu'elles ne faisaient pas que jouer aux dames.

La jeune femme finit de se préparer, se maquillant devant le miroir de la salle de bains. Elle avait enfilé une jolie robe blanche en coton, à bretelles fines, boutonnée à la poitrine, qui lui tombait jusqu'aux chevilles. Elle adorait ce vêtement : fendu jusqu'à mi-cuisse, il était très confortable et lui permettait de bouger à son aise, tout en la rendant séduisante. Afin de danser sans douleur, elle choisit de porter de simples tennis beiges en toile.

Ses cheveux châtains étaient noués en une demi-queue de cheval, de fins bijoux dorés - un collier et des boucles - ornaient son cou et ses oreilles, deux traits noirs soulignaient ses yeux verts, et un rouge délicat habillait ses lèvres pleines. Un brin de parfum fruité et floral, aux notes de pêche et de muguet, acheva de parfaire sa tenue.

Toc-toc-toc.

Un bruit provenant de la porte d'entrée la fit soudain sursauter et son cœur se mit à palpiter. Mélodie ne reviendrait pas de la fac avant dix neuf heures. Ça ne peut être que lui.

Cali se regarda une dernière fois dans la glace, prit une profonde inspiration, et ouvrit la porte.

Iker se tenait face à elle. Il portait un uniforme du musée, version estivale : un polo blanc au lieu du noir, qui mettait dangereusement en valeur sa peau mate et son air ténébreux, et un bermuda beige qui moulait redoutablement ses jolies fesses rebondies.

— Holà señorita ! Waouh, vous êtes magnifique ! lança le beau brun lorsqu'il la vit apparaître à l'embrasure de la porte, en la détaillant de la tête aux pieds, les yeux brillants.

— Gracias señor, vous aussi, vous êtes pas mal du tout... D'ailleurs, on est vachement assortis : du blanc, du beige, tu cherches à me copier ou quoi ?

— Totalement ! déclara-t-il, rieur, les mains sur les hanches.

— C'est un peu flippant quand même, on croirait presque des jumeaux...

— Heum, je ne pense pas que des jumeaux feraient ça...

Il lui saisit la taille, l'attira à lui, et pressa ses lèvres contre les siennes. Elle entoura sa nuque de ses bras, se délecta de ce contact et de cette saveur de meringue au citron qui lui avaient tant manqué. Leurs souffles s'emmêlèrent, leurs langues se retrouvèrent de nouveau, entamèrent une danse sensuelle, leur emprise se resserra; il lui caressa le dos, elle se cramponna à ses cheveux, ils s'embrassèrent jusqu'à perdre haleine.

— Cali, si on continue, on ratera le stage de danse... finit-il par souffler.

À cet instant, même si l'événement en question éveillait vivement sa curiosité, la jeune femme se fichait royalement de ce truc de flamenco.

— On est vraiment obligés d'y aller ? s'aventura-t-elle à lui demander, accrochée à son regard.

Une fossette se creusa dans sa joue, et elle lut l'hésitation pendant quelques secondes dans ses beaux yeux noisette.

— Faisant partie du staff du Musée et de l'organisation, hélas je dois m'y rendre, oui... Et ça me ferait très plaisir que tu m'y accompagnes.

— Okay, très bien.... Allons-y alors ! soupira-t-elle en empoignant son sac, puis en refermant la porte à clés.

Il enserra sa main dans la sienne, et le contact de sa paume chaude et sécurisante l'enveloppa d'une bulle guimauve dans laquelle elle se mit à flotter, euphorique.

*

La Plaza de España de Séville... La fierté des Andalous. Ce chef-d'œuvre architectural conçu en quatorze ans pour être inauguré à l'Exposition Universelle ibéro-américaine de 1929, était tout simplement grandiose. Une immense fontaine aux milliers de jets impressionnants trônait en son centre, encerclée par des canaux sur lesquels voguaient des barques romantiques. Quatre passerelles bleues et blanches décorées d'azulejos, représentant les quatre royaumes de la Couronne d'Espagne, traversaient cette étendue d'eau, et reliaient le centre de la place au Pavillon d'Espagne : un hémicycle gigantesque de plusieurs centaines de mètres de diamètre.

Sous les arcades de ce monument imposant en briques rouges, se trouvaient quarante huit mosaïques, qui symbolisaient chacune les quarante huit provinces espagnoles.

Cali ne revenait pas de la beauté et de la grandeur du lieu. Face à cette magnificence, elle se sentit toute petite. Iker la prit par l'épaule comme pour la rassurer et l'inviter à admirer cette merveille à travers leurs regards énamourés.

Alors qu'ils continuaient à avancer, la romancière distingua une grande estrade juste en dessous de l'arcade principale du Pavillon d'Espagne.

Des dizaines de personnes - des touristes et des amateurs de flamenco - gravitaient déjà autour, tandis qu'à l'arrière, des danseurs en costume et des membres du staff du Musée s'affairaient.

— On va saluer mes collègues deux minutes ? questionna le beau brun en tirant doucement la jeune femme par la main.

— Euh, d'accord...

Ils traversèrent la scène et rejoignirent une équipe habillée comme Iker, parmi laquelle elle reconnut Martha. Cette dernière lui adressa un clin d'œil et un sourire franc. À cet instant, Cali aima beaucoup Martha et voulut lui faire un gros câlin. La voir en dehors de son guichet et aussi épanouie la rendait plus humaine, plus chaleureuse. L'écrivaine rougit lorsque le guide la présenta à tous, sans lâcher sa main. Encantanda de conocerte, encantanda, encantanda tout le monde.

Ils passèrent ensuite devant les danseurs. Tout à coup, la jeune femme reconnut l'une d'entre eux. C'était Maria Julvèz ! Le fameux diamant brut qui lui avait inspiré son roman au début de son séjour, dans ce bar-live du quartier de Triana... Elle jubila intérieurement. Quelle magnifique coïncidence de la revoir ici, et de pouvoir à nouveau apprécier son talent !

— Iker, c'est Maria Julvèz, celle qui m'a inspiré Magdalena ! chuchota-t-elle à son ami, toute excitée.

— Génial, Cali ! C'est vrai qu'elle danse très bien, tu veux qu'on aille lui dire bonjour ?

— N...non ça va, on rejoint les spectateurs plutôt ? refusa l'écrivaine, intimidée.

— Comme tu veux ma Dragona.

Il lui sourit et serra un peu plus sa main. Elle ne put résister à déposer un smack à la commissure de ses lèvres.

À peine prirent-ils place dans le public que les quatre danseurs montèrent sur l'estrade. Cali y distingua donc Maria Julvèz, la grande brune plantureuse, puis une autre danseuse, brune au cheveux courts, ainsi que deux danseurs. Tous étaient habillés de magnifiques costumes. Les femmes portaient des robes carmin aux froufrous fantastiques, et les hommes des gilets noirs en velours, assortis à leurs pantalons élégants.

Une musique entrainante sortit des baffles installées de part et d'autre de la scène, et l'un des danseurs, un petit brun moustachu, prit la parole au micro.

— Bienvenidos a todos a este taller de flamenco* ! s'exclama-t-il, enthousiaste, s'adressant à la foule.

Les spectateurs l'applaudirent en chœur, puis il réclama le silence. Il remercia premièrement le Musée pour l'organisation de ce superbe événement, puis détailla le programme de la soirée.

De 19h à 20h, ils apprendraient au public quelques gestes élémentaires de flamenco, pour qu'à la fin, ils puissent reproduire tous ensemble une chorégraphie en musique. Les pas seraient les mêmes pour les hommes et les femmes, afin d'éviter les mouvements compliqués.

Puis, de 20h à 21h, se déroulerait un "vrai" spectacle de flamenco, exécuté par les quatre danseurs professionnels, accompagnés d'un orchestre.

La musique redémarra doucement, les danseurs se placèrent face au public, et le stage de danse commença. Ils effectuaient des mouvements en les détaillant au micro, et l'assemblée les répétait.

Cali se sentit gauche, car elle n'arrivait pas à harmoniser ses jambes avec ses bras. Evidemment, l'autre se débrouillait très bien, mais il trichait, il avait ça dans le sang. Elle devina son regard moqueur sur elle, et préféra l'ignorer, se concentrant sur Maria Julvèz qui répétait avec facilité ses mouvements gracieux. Elle semblait l'encourager en lançant des " Olééé ! Olééé ! " continuellement.

Au bout de quelques minutes, un nouveau pas à apprendre fit son apparition : un retourné théâtral, les bras en arc, la tête penchée, et les doigts en l'air.

Cali se sentit encore moins à la hauteur, mais ne voulut pas se laisser démonter. D'un geste vif, elle tourna sur elle-même pour reproduire le mouvement, et cogna Iker par la même occasion, qui cogna à son tour un homme qui se dandinait près de lui. Pour peu, et un effet domino aurait bien pu ravager l'assemblée entière d'apprentis danseurs.

Le guide n'en finissait pas de s'esclaffer. Il rattrapa la jeune femme qui perdait l'équilibre, lui adressa un sourire adorable, auquel elle répondit par un regard noir.

— Caliii, te fâche pas, on est là pour s'amuser ! déclara-t-il en l'enlaçant, tout en piquant sa joue d'un baiser.

— Mais, arrête un peu de te moquer deux secondes, c'est facile pour toi ! J'essaie de me concentrer, roh ! répliqua-t-elle en essayant à contre-coeur de se dégager de son étreinte.

Finalement, au bout de dizaines - de centaines ? - d'essais, l'écrivaine apprit la chorégraphie sans faux pas. Victorieuse, elle toisa le guide d'un air fier, et ils dansèrent en symbiose parfaite, enjoués.

Une fois que les "stagiaires" se mouvaient correctement, les danseurs professionnels les applaudirent, le volume de la musique s'éleva, et ils répétèrent plusieurs fois la chorégraphie tous ensemble. Cali s'amusait comme une petite folle, elle sentait l'énergie joyeuse et entrainante de l'effet de groupe envahir tout son être. Iker l'observait avec tendresse, tout en s'éclatant lui aussi.

Lorsque vingt heures sonnèrent, cette fois Maria Julvèz prit le micro, remercia chaleureusement le public d'avoir participé à ce stage de danse, et annonca le début du spectacle. Iker s'approcha alors de Cali.

— Ma douce flamenca, je vais devoir t'abandonner une dizaine de minutes, je participe au premier spectacle. Je reviens vite !

— Ah, ben ça, c'est une surprise...! Hâte de voir ce que tu vas nous proposer !

— À tout de suite !

Il lui adressa un clin d'œil et se dirigea vers la scène. Tu me manques déjà... L'orchestre prit place derrière les quatre danseurs professionnels : une guitariste d'une quarantaine d'années, un jeune homme assis sur une caisse, un chanteur costaud, et un Iker, également une guitare au bras.

Il la chercha dans le public et lui fit un signe de la main. La jeune femme craqua complètement. Puis, le chanteur émit un son grave, les musiciens le suivirent, et le spectacle commença. C'était époustouflant. Une telle force, une telle fureur, une telle âme, se dégageait de leur danse passionnée. Elle vécut le même chamboulement que lors de son premier contact avec le flamenco, quoique, avec Iker qui jouait derrière, la représentation prenait une autre tournure. Son cœur battait plus vite, ses pieds quittaient la terre ferme, elle était sur un nuage.

Comme promis, il la rejoignit à la fin de la chanson. Elle le félicita de sa prestation par un baiser sur la joue, il lui répondit par un sourire qui s'étirait jusqu'à ses oreilles, et ils continuèrent à se délecter du magnifique spectacle qui s'offrait à leurs yeux, jusqu'à la tombée de la nuit.

La représentation s'acheva vers vingt et une heures sous les applaudissements généreux de l'assemblée. Cali avait passé un merveilleux moment, hors du temps.

Iker lui proposa ensuite de continuer la soirée par un dîner dans un restaurant qu'il appréciait, sur les bords du Guadalquivir. La jeune femme qui flottait toujours sur son nuage accepta volontiers, surtout que son estomac commençait à se manifester par des bruits qui n'étaient plus couverts par la musique.

Ils marchèrent main dans la main sur les quais sous un ciel étoilé, le long de l'illustre fleuve, côtoyant des musiciens de rue, de jeunes fêtards guillerets, et d'autres couples qui flânaient. C'était un moment si simple, et pourtant si magique. Cali voulut que cela ne s'arrête jamais.

Après moins de dix minutes de marche, ils s'arrêtèrent devant la terrasse d'un restaurant qui donnait directement sur le fleuve. Elle lut sur la devanture en lettres romantiques "Rio Grande Restaurante" et plus bas, Especialidades y mariscos andaluces (*Spécialités andalouses et fruits de mers*).

— On y est, après vous, très chère, déclara le guide.

Ils pénétrèrent dans une salle lumineuse à l'ambiance feutrée, dont la baie vitrée donnait sur une terrasse au bord de l'eau. Un serveur aimable du nom de Paco les plaça à une table idéalement située, où ils apercevaient les bateaux qui voguaient, et les lumières de la rive d'en face. Lorsqu'ils furent assis, Paco leur tendit les cartes des plats et des boissons et se retira pour les laisser choisir tranquillement.

— C'est magnifique ici, s'extasia Cali. Tu as très bon goût...

— Et encore, tu n'as pas goûté leurs plats ! Ils sont tous aussi bons les uns que les autres !

En parcourant le menu alléchant et raffiné, l'écrivaine réalisa que ce n'était pas donné, - d'ailleurs le cadre lui avait mis la puce à l'oreille -.

— Je t'invite ! lança Iker, anticipant la réaction de la jeune femme.

— Tu, tu es sûr ? Dans ce cas, je veux payer le pourboire et les boissons.

— Si ça te fait plaisir...

Paco était très sympathique, et l'écrivaine voulait encore croire en la bonté des serveurs espagnols, malgré sa dernière expérience malheureuse.

Cali ne comprit pas tout de la carte des plats proposés, leurs noms étant pompeux et recherchés. Cependant, un nom l'interpella en particulier, parce qu'il la faisait rire : "Corvina sobre Pil-pil de Cocochas, Habitas Baby y Panceta Ibérica".

Elle n'avait aucune idée de ce qui se cachait derrière - on dirait les paroles d'une chanson bizarre -, et rien que pour ça, elle voulut tester l'expérience. Pour l'apéritif ils décidèrent tous les deux de prendre une sangria, lorsque Paco revint pour noter leur commande.

— Uno "Arroz de Isla Menor con Pluma Ibérica y Espuma Queso Cabra Andaluza*", choisit Iker.

— Una "Corvina sobre Pil-pil de Cocochas, Habitas Baby y Panceta Ibérica*", continua Cali, qui pouffait.

— On prend une bouteille de blanc avec ça ? la questionna Iker, la mine amusée et un sourcil relevé, ne comprenant pas pourquoi sa Dragona se marrait toute seule.

Elle acquiesca et il commanda une bouteille de Corales de Villalba, un vin blanc andalou de la province de Huelva, au nez caractéristique de fleurs blanches, de citron vert et d'herbe, avec un arôme frais d'agrumes et des notes de fruits tropicaux en bouche. En dessert, il choisit une coupe de glaces " Trois agrumes " - comme par hasard -, et elle, de l'ananas flambé au rhum Lima. Paco se retira de nouveau tout sourire, puis revint en un temps record avec des snacks et leurs verres - ou plutôt leurs gros ballons - de sangria.

Oh la la, ça commence bien.

— Pourquoi tu t'es marrée quand tu as commandé ton plat ? la questionna Iker, curieux.

— C'est bête, c'est juste parce que je trouve le nom complètement chelou, et que je n'ai aucune idée de ce que c'est.

— Haha, tu aimes vivre dangereusement on dirait ? Rassure-toi c'est très bon, les Habitas Baby sont en fait de petites fèves croquantes et le cocochas...

— Chuuut ! Je veux avoir la surprise ! le coupa Cali.

— D'accord, d'accord... Je te laisse découvrir le Pil-pil de Cocochas par toi-même alors ! s'avoua-t-il vaincu en levant les mains au ciel.

Profitant de sa vulnérabilité, la romancière sentit que c'était le moment de commencer sa petite enquête en toute subtilité.

— Sinon, ça fait longtemps que tu travailles au Musée ? l'interrogea-t-elle en sirotant sa sangria.

— Ça va faire un peu plus de six mois...

— Ah d'accord, quand on s'est rencontrés à l'aéroport tu y travaillais déjà alors ?

— Oui, oui, je revenais d'un séjour chez ma mère qui habite à Paris. Je vais la voir tous les deux, trois mois, environ.

— Ah okay... Mais tu as toujours vécu en Espagne ? continua-t-elle de demander.

— Non, avant je vivais en France, plus précisément à Bordeaux... Mais plusieurs événements dont je ne préférerais pas parler ce soir m'ont conduit à vouloir m'installer ici, près de mon père et de ma demi-soeur, pour un nouveau départ.

Elle resta sans voix face à cet aveu, qui ne fit qu'attiser sa curiosité. Cependant, elle comprit aux mots et à la mine d'Iker que ce n'était pas le moment d'enquêter plus. Suite à cette révélation, elle vit des émotions négatives et douloureuses traverser son beau visage.

Le plat principal arriva à point nommé, apporté par Paco qui chantonnait. Non, ce soir on passe une bonne soirée, mettons de côté les mystères au moins pour quelques heures...

Son Pil-pil de Cocochas avait l'air succulent. Un délicieux fumet de poisson s'en dégageait, mêlé à une odeur de légumes confits et une pointe de viande fumée. Celui d'Iker semblait tout aussi bon, mélangeant le corsé du fromage, la douceur du riz blanc et le goutû de la plume ibérique - un morceau noble de la longe de porc -. Le serveur ouvrit la bouteille de Corales de Villalba, versa le liquide couleur paille dans leurs verres, puis leur souhaita un bon appétit.

Iker leva son verre et fixa Cali, les pupilles dilatées.

— À Dragona Blizzgood, bientôt célèbre danseuse de flamenco.

— À Dark Phoenix, bientôt décédé d'une mort lente et douloureuse pour s'être moqué de la plus grande des écrivaines.

Ils s'esclaffèrent, trinquèrent, et burent la boisson raffinée, les yeux dans les yeux.

Petit à petit, leur palais ravis et leur sens exaltés par l'alcool les rendirent plaisantins, taquins, séducteurs... Alors qu'Iker rendait des comptes sur sa lecture du deuxième tome des Couronnes d'Adriae, il s'attarda sur un passage en particulier.

— Effectivement, Bart a bien grandi. Surtout dans le chapitre 14, où il se retrouve enfermé pendant cinq jours avec Layla des contrées de L'Aube, dans la tanière abandonnée d'un troll. Tu sais, soi-disant pour échapper à l'attaque de l'armée de Saagoth ! mima-t-il avec son index et son majeur.

Cali savait de quelles scènes il parlait, et ses joues chauffèrent instantanément.

— Heum, effectivement... Tu as... aimé ? questionna-t-elle, ne sachant que dire d'autre.

— Et comment...

Il la dévisagea et se mordit les lèvres.

Elle soupira et n'eut alors plus qu'une envie : qu'ils quittent la table.

Sur ces entrefaites, le dessert arriva. Ils dégustèrent en silence, essayant d'apaiser tant bien que mal la tension qui s'était installée.

Entre le rhum de l'ananas flambé, le vin blanc en accompagnement, et la sangria qu'elle avait bue à l'apéritif, la tête de Cali commençait à légèrement tourner. Mais, pire que cela, - et elle se connaissait -, quand elle était pompette face à un beau jeune homme qu'elle adorait, ses instincts prenaient parfois le dessus.

Elle avait englouti son ananas flambé à la vitesse de l'éclair, tandis qu'Iker savourait encore tranquillement ses trois boules aux agrumes. J'aimerais bien qu'il lèche autre chose que ces foutus sorbets.

La romancière tenta alors de faire du pied au guide sexy. Elle glissa sa jambe sous la table, l'allongea le plus possible, et atteignit ce qui lui paraissait être une jambe. Lentement, elle caressa sa cible du bout des orteils, de bas en haut, puis de haut en bas.

Bizarre, Iker ne semblait pas bouger d'un pouce. En vérité, l'écrivaine était en train de faire du pied à la chaise. Intrigué par le bruit de frottements sous lui, le guide s'en rendit compte et pouffa de rire.

— Cali, qu'est-ce que le pied de ma chaise t'a fait pour mériter un si beau traitement ?

La jeune femme, mal à l'aise, se retira rapidement. Honteuse, elle se prit la tête entre les mains.

— Je... c'est à toi que je voulais faire du pieeed, avoua Dark-Cali-pompette.

Le sosie de Bart lui adressa un regard mi-charmé, mi-rieur, avala d'une traite les restes de son dessert, et héla le serveur pour régler l'addition. Ses pommettes saillantes étaient elles aussi teintées de rouge.

Une fois dehors, la brise fraîche provenant du fleuve les accueillit. Le jeune homme prit la main de sa belle, et ils marchèrent - coururent - pour rentrer à l'appartement de Mélodie qui se trouvait à moins d'une trentaine de minutes à pied. (Dans le centre de Séville, les déplacements se font bien plus facilement à pied).

Arrivés sur le pas de la porte, ils restèrent immobiles quelques secondes, comme pour immortaliser cet instant qui représentait une sorte de... passage ?

— Merci pour cette soirée, Iker, c'était magique... Le stage de flamenco, la balade sur les quais, le resto... Tout était parfait, même si au début et à la fin, je me suis débrouillée comme un pied, déclara l'écrivaine en gloussant, encore un peu pompette.

— Je t'en prie, merci à toi de m'avoir accompagné, j'ai passé une merveilleuse soirée également, lui répondit Iker, son éternel sourire mutin s'étirant sur ses lèvres.

Cali enroula une mèche de ses cheveux, se plongea dans ses yeux noisette. Sa fossette apparut.

— Bon eh bien, bonne nuit ? questionna le guide sexy, les mains dans les poches, son sourire toujours en coin.

— Bonne nuit ?

La jeune femme l'aggripa par le col de son polo pour l'attirer à elle et l'embrassa subitement. Il émit un petit rire et la plaqua contre la porte avant de glisser sa langue dans sa bouche. Elle mordilla ensuite ses lèvres comme pour le punir d'avoir osé lui souhaiter le bonsoir...

Arroz de Isla Menor con Pluma Ibérica y Espuma Queso Cabra Andaluza : Riz Isla Menor avec Plume Ibérique (morceau noble de la viande de porc ) et mousse de chèvre andalouse.

Corvina sobre Pil-pil de Cocochas, Habitas Baby y Panceta Ibérica : Corvina (poisson blanc à chair maigre souvent accompagné de légumes cuits), sur lit de Cocochas (plat typique à base de menton de merlu préparé généralement avec des gousses d' hachées, du persil et de l'huile d'olive dans un plat en terre cuite le tout mijoté et non doré, et en ajoutant du sel), avec Habitas Baby (petites fèves) et Panceta Ibérica (charcuterie goûtue et typique).

Booooon, est-ce que c'est la peine de vous demander vos pronostics pour le chapitre suivant ? xD

P.S : Qui veut manger du Pil-pil de Cocochas ? hahaha

J'espère que vous avez aimé ce chapitre avec nos deux loulous <3, je vous remercie infiniment pour tous vos commentaires constructifs et rigolos, vos encouragements et vos messages. J'ai traversé une petite période creuse, mais c'est en grande partie grâce à votre fidélité et vos super retours que j'ai décidé de me remettre sérieusement à l'étrier.

Je vous dis à la semaine prochaine et encore un ENORME MERCI, la communauté PAS s'agrandit de jour en jour et c'est un réel plaisir =) <3 des bisous :3

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