Chapitre 10 : Bas les Masques ! (Partie 1)

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Grandiose. Park et ses colocataires vivaient leur meilleure vie dans cette somptueuse villa située dans la campagne sévillane, sur la route du charmant village de La Puebla de Cazalla, entre les champs d’oliviers et les orangers parfumés.

Quand le trio gara la SEAT Ibiza rouge qu’ils avaient louée pour l’occasion dans l’immense parking, Cali ressentit une boule d’angoisse se former dans son estomac. De fines gouttes de sueur perlaient le long de son décolleté noir, et elle tirait machinalement sur sa jupe patineuse aux imprimés tropicaux. Mélodie coupa le contact tandis que Guillaume, assis derrière, se regardait une dernière fois dans le rétroviseur.

— Party Boy is in da place les babes ! s’exclama-t-il en adressant un clin d'œil à son propre reflet.

— Allez, c’est parti on y va ! déclara Mélodie, un sourire d’excitation s’étirant sur ses lèvres habillées de carmin.

Cali ne bougeait pas, paniquée à l’idée de croiser Iker et sa Carmencita. Je fais quoi, je me comporte comment ? Sont-ils déjà arrivés ? Et s’ils ne viennent pas au final ? Tant mieux, non ?

— Hé, Cali, tout va bien se passer, ok ? Allez on est là pour s’amuser ! la rassura son amie, en lui caressant affectueusement le dos.

Ils traversèrent le magnifique jardin parsemé de palmiers, où trônaient hamacs, transats et fauteuils en osier, dans lesquels se prélassaient déjà quelques personnes. Un genre de salsa énervée s’échappait de hauts-parleurs installés sur la terrasse, sur laquelle se dandinaient quatre lurons visiblement alcoolisés avant l’heure.

Cali aperçut une superbe piscine de l’autre côté de la propriété, où flottaient des bouées en forme de flamants roses et de donuts.

La villa aux toits en tuile et aux bordures ocre, dont le lierre couvrait une partie de la façade blanchie à la chaux, lui faisait penser à une de ces haciendas* de mafieux latinos dans les films.

Le trio pénétra ensuite à l’intérieur de l’habitation, tout aussi fastueux que l’extérieur. Une piste de danse était installée dans le salon spacieux, avec jeux de lumières et boules à facettes, où un DJ testait ses mix.

— Mélooo ! s’écria Park qui apparut avec un plateau de tapas* dans les mains, suivi d’Elias, chargé lui aussi de victuailles.

Le couple salua les trois amis et les invita à se mettre à l’aise. Un nombre impressionnant de boissons - alcoolisées ou non - étaient disposées sur la table de la salle à manger où Julian, un des colocataires de Park, concoctait des cocktails colorés. Des tapas, des petits fours, des bonbons, des biscuits, et toutes sortes de chips jonchaient le reste de l’espace.

Alors que l’écrivaine se dirigeait vers ces tentations gourmandes, une voix l’interpella, lui provoquant instantanément des frissons.

— Holà Cali ! Vraiment chouette cette fête dis donc !

Merde !

Iker se tenait derrière elle, un t-shirt bleu marine en V moulant son torse, une paire de jeans et des sneakers en toile blanche complétant sa tenue. C’était la première fois qu’elle le voyait sans son uniforme de guide - qu’elle trouvait déjà sexy -; mais là, son capital séduction semblait s’être démultiplié. Au secours.

Une personne toussota soudain et son regard se reporta à sa droite. Oh mon dieu. Une femme sublime se tenait aux côtés du guide. Grande, la peau chocolat, des formes à vous couper le souffle, des yeux de biche, des lèvres charnues, de longues tresses lui tombant jusqu’à sa taille de guêpe, et un sourire aussi doux qu’avenant.

— Oh ! Iker, et euh, Carmen je présume ? Enchantée, vous êtes venus, donc ! Cool, cool, cool, cool, bienvenidos ! débita Cali dans un rictus.

— Effectivement, je te présente Carmen, répondit le beau brun. Carmen, Cali. Cali, Carmen. Iker, plaisanta-t-il en se montrant lui-même.

— Encantanda de conocerte ! se présenta la bombe. Mi pas trop parla frances, Iker apprend moi, mais mi encore très nula hihi.

Oh et en plus elle a l’air super gentille, putain, putain.

Comment pouvait-elle rivaliser avec une telle créature ? Cali se sentit ridicule, pas à la hauteur, vaincue. Sur ces entrefaites, débarquèrent les renforts. Guillaume bondit sur l’écrivaine en lui enlaçant brusquement la taille, et Mélodie se plaça directement en face de la mystérieuse bombasse.

— T’es Iker, c’est ça ? questionna le blondinet. Enchanté, moi c’est Guillaume, le copain de Califourchon !

Les deux jeunes hommes s’observèrent en chiens de faïence, la gueule d’ange soutenant effrontément le regard du brun ténébreux.

Iker glissa ensuite son regard vers Cali, un sourcil levé, sa fossette se creusant dans sa joue. On dirait qu’il a compris. La romancière, gênée, détourna les yeux.

— Et moi c’est Mélodie ! Sa coloc ! Et toi tu dois être Carmencita, euh, Carmen, je présume ? Cali nous a beaucoup parlé d’Iker et de toi ! enchaîna l’étudiante, s’adressant à la beauté plantureuse.

Mais merde, elle me grille de fou là !

— Si si, yo soy Carmen… répondit l’intéressée, tortillant une de ses tresses d’un geste sensuel.

Fais chier, elle est sexy juste en prononçant trois mots.

— Eh bien Cali, je vois que tu as parlé de moi ! conclut Iker en haussant les épaules, son éternel sourire malicieux ancré à ses lèvres mutines.

Les cinq protagonistes engagèrent alors la conversation, discutant de la magnificence des lieux, puis de Pâques, qui représentait un événement très spécial à Séville : les processions religieuses se déroulaient jusque dans les rues, avec des défilés de chars à la gloire de Jésus, Marie, Joseph, ainsi que tous les saints de la religion catholique.

Une brune incendiaire passa soudain dans le couloir, frôlant involontairement Guillaume. Le coureur de jupons ne put s’empêcher de dévisser sa tête pour la suivre des yeux.

— Bon, euh, je vais chercher à boire, il commence à faire soif par ici ! Tu prends quoi ma Califourchon ? questionna-t-il le regard ailleurs.

— Je veux bien goûter un des cocktails de Julian.

— Okay à tout de suite ma chérie d’amour !

Il déposa un smack humide à la commissure de ses lèvres et s’éclipsa guilleret en direction de ce qui ne semblait pas être la salle à manger.

Au même moment, Mélodie proposa à Carmen d’aller chercher des tapas. Contre toute attente, cette dernière accepta volontiers; Iker et Cali se retrouvèrent donc seuls.

Un silence s’installa pendant quelques secondes. La jeune femme n’osait pas lever ses yeux vers le beau brun.

— Bon sinon, j’en suis quasiment à la fin du premier tome des Couronnes d’Adriae. Tu m’as eue à contrepied sur le chapitre 15, avec ces talismans du destin ! Chapeau ! Je dois te dire que j’ai versé une petite larme à la mort de Grarror.

— Ah merci ! J’adore cette partie, en mode les Noces Pourpres*, je me suis prise pour George R. Martin* sur ce coup haha.

— T’es pire que lui, tu veux dire ? Faire crever Grarror et toute sa lignée, mais tu es une sacrée psychopathe, oui !

Ils se regardèrent enfin dans les yeux, éclatèrent de rire, et Cali se détendit. Alors qu’ils discutaient passionnément de son roman, ils se rendirent soudain compte que ni Guillaume, ni Mélodie, ni Carmen n’étaient revenus.

— Mais qu’est-ce qu’ils fabriquent, à la fin ? “s’impatienta” l’écrivaine.

— J’avoue que ton mec avait promis de revenir avec ton cocktail…

— Oui, enfin… Il aime bien disparaître comme ça… c’est un homme plein de surprises !

— Je vois ! rit Iker. Les autres sont peut-être dehors, j’ai vu qu’une table avec des boissons et des apéritifs était installée dans le jardin, on va aller voir ? proposa le guide.

Le duo se dirigea ainsi vers l’extérieur, côté piscine. Pour une soirée de début avril, il faisait plus de vingt degrés dans le Sud de l’Espagne, et quelques courageux s’aventuraient à faire trempette. Des guirlandes ornaient les palmiers, faisant miroiter leurs lumières dans l’eau, et une musique lounge semblait s’échapper de la piscine en elle-même.

— Ah ben tu vois, il y a bien à boire et à manger ici aussi ! s’exclama Iker, désignant une table croulant sous les bouteilles et les plats.

Cependant, toujours aucune trace de leurs amis.

Ils se servirent - une assiette de tapas pour tous les deux, lui une bière, et elle un cocktail -, puis s’installèrent sur une des marches de la terrasse qui conduisait à la piscine.

Cette proximité réveilla les papillons du printemps qui flirtaient de nouveau dans le giron de la jeune femme. Le simple fait de se retrouver à quelques centimètres d’Iker la rendait euphorique.

— Bon alors, tu la trouves comment Carmen ? questionna le guide en grignotant un petit four au chorizo.

— Ben, euh, elle a l’air sympa et elle est jolie, très jolie… C’est ta… copine ? osa demander Cali, triturant la paille de son cocktail.

— Sincèrement, tu crois vraiment que c’est ma copine ? rétorqua-t-il en souriant malicieusement.

Il lui toucha l’épaule et fit un geste du menton en direction de la piste de danse, que l’on apercevait à travers les baies vitrées.

L’écrivaine y vit alors Mélodie et Carmen qui se trémoussaient collées-serrées. Elles se regardaient bizarrement. Venant de son amie, cela ne l’étonnait guère : c’était Mélodie, quoi. Mais venant de Carmencita...

— Ben, je ne sais pas, tu ramènes une fille à une fête, tu semblais très proche d’elle donc… se justifia Cali.

Iker s’esclaffa.

— C'est ma demi-soeur, côté paternel. Ma mère est française, mon père est hispano-cubain. Et la mère de Carmen est afro-cubaine. Sacré melting-pot hein ? Et je rajouterai que les hommes, eh bien, ce n’est pas vraiment son rayon.

— Ah…

— J’en étais sûr, au musée, tu croyais que c’était ma copine quand je t’en ai parlé, hein ? Tu n’as même pas cherché à savoir qui c’était, et tu es partie en trombe, me laissant esseulé… conclut-il, moqueur, avant de boire une gorgée de sa bière au goulot.

Cali ne savait plus où se mettre. Elle était soulagée, heureuse, gênée, et en colère en même temps.

— T’es vraiment nul, ça t’amuse de me faire marcher hein ! pfff… s’insurgea-t-elle en le poussant d’un coup d’épaule.

— Et toi alors, Guillaume, c’est vraiment ton copain ? Je crois que je ne suis pas le seul à vouloir manipuler les gens par ici… déclara-t-il, plein de sous-entendus, son sourire toujours en coin.

Il lui désigna de nouveau la piste d’un geste du menton, et elle y vit le blondinet se frotter à la brune incendiaire qu’il avait repérée en début de soirée. Celle-ci semblait apprécier cette danse sensuelle, se cambrant et s'agrippant tout ongles dehors au beau gosse à la gueule d’ange. Mélodie et Carmen, quant à elles, avaient disparu de leur champ de vision.

Cali et Iker échangèrent de nouveau un regard complice avant d’éclater de rire. Leurs couvertures venaient toutes les deux de se révéler lamentablement au grand jour.

— Ok, monsieur l’inspecteur. Guillaume n’est pas vraiment mon copain, si c’est ce que vous voulez savoir…

— Pas… vraiment ?

— Non, pas du tout, si tu préfères.

— Humm… d’accord, alors pourquoi il t’appelle Califourchon ? questionna-t-il, la regardant de biais, sa bouteille à ses lèvres.

Cali sentit ses joues s’empourprer, puis son visage entier prendre feu. Elle but d’une traite son cocktail, sans mot dire. Vite, elle chercha une échappatoire.

— Et si on dansait ? lui proposa-t-elle soudain, ragaillardie par l’alcool.

— Avec plaisir…

Il lui prit la main, et la chaleur de leurs paumes brûlantes les électrisa tous les deux...

=)

Hacienda : Vaste exploitation agricole ou pastorale en Amérique latine, comprenant souvent les terres, le cheptel, les habitations et leurs dépendances.

Tapas : Assortiment de petites entrées variées, à l'espagnole, servi à l'apéritif. Parmi les recettes phares, l’irremplaçable tortilla de patatas, les brochettes, les croquetas (croquettes au jambon ou poisson), les boquerones (anchois au vinaigre), le chorizo et le jambon ibérique, les patatas bravas (pommes de terre sautées et sauce piquante), les choquitos (petits poulpes frits), et les guindillas (piments grillés)…

Noces Pourpres : Episode/Chapitre particulièrement tragique et sanglant du livre/de la série à succès Le Trône de Fer. Je n’en dis pas plus au risque de spoiler peut-être certaines personnes

George R. Martin : Auteur de la saga Le Trône de Fer. Il n’y va pas de main morte avec ses personnages principaux, qu’il se plait à faire vivre un enfer ou à tuer subitement.

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