Chapitre 7 : Levons nos verres à...

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Dès qu’elle franchit le seuil de la porte, Mélodie se jeta sur Cali.

— Alooors, ce rendez-vous ? Dis-moi tout ! glapit-elle en lui sautillant autour comme un chien fou.

— Une véritable catastrophe !

Son amie s’arrêta net, la fixant du regard, les mains sur les hanches.

— Alors pourquoi tu souris bêtement comme ça ?

— Hein, euh, pour rien…

— À d’autres ! Tu ne t’en sortiras pas avec une excuse à deux balles, je veux tout savoir !

La romancière essaya d’éviter sa sangsue de copine qui lui barrait la route, se faufilant tel un serpent.

— Mais...gnnn… Mélo… Mélodie ! Laisse-moi tout de même me mettre à l’aise purée ! Un vrai pot de colle !

— Pardon. Je t’attends sur le canapé pour le débriefing.

Cette dernière se laissa glisser vers le sofa jaune du salon, et s’accroupit dans une position bizarroïde, excitée comme une enfant le jour de Noël.

Alors que Cali se débarrassait de ses talons compensés et de sa veste, elle se demandait ce qu’elle pourrait bien inventer pour que son amie arrête de fourrer son nez dans ses affaires. Elle se rendit hélas à l’évidence que tôt ou tard Mélodie finirait par deviner qu’elle se pâmait pour le sosie de Bartholomeus. La seule solution : tout lui avouer… Maintenant.

— Bon le rendez-vous avec Jesus, je t’assure que c’était un pur désastre. Dis-toi qu’il s’est même tapé la serveuse dans les toilettes ! commença-t-elle en s’asseyant près de l’étudiante. Elle profita de massacrer deux coussins au passage.

— QUOI ? s’étouffa Mélodie, les yeux exorbités. C’est une blague Cal ?

— Non, c’est véridique de chez véridique, que je te dis ! Pour sa défense, il était vraiment bien foutu, surtout que je lui avais renversé ma horchata dessus. Séance de t-shirt mouillé gratuite pour la serveuse, olé !

— Heum… au pire tu aurais pu en profiter avec eux, non ?

— Seigneur Mélo, t’as vraiment aucune morale ! s’offusqua Cali en bousculant l’intéressée.

— Hahah je déconne ! Je déconne ! Ou pas. Bon… ce Jesus est donc loin d’être un saint… Mais tu étais si craquante dans ta petite robe sérieux, je ne comprends pas comment il a pu être aussi aveugle et se taper la serveuse du coin ! Quel con.

— Euh… à vrai dire, je ne l’ai pas aidé non plus. Disons que… j’avais la tête ailleurs.

Mélodie lui lança immédiatement un regard suspicieux. Elle se rapprocha de Cali, pendue à ses lèvres, les mains s’agitant dans tous les sens.

— ACCOUCHEUUH. Pourquoi tu as ces étoiles dans les yeux ? Ce n’est visiblement pas Jesus, alors qui c’est, bon sang ?

— Seigneur, je vais vraiment être obligée de te le dire… soupira Cali, pinçant l’arrête de son nez. Bon, il y a ce gars que j’ai rencontré dans un taxi à l’aéroport. Figure-toi que je l’ai revu aujourd’hui, au musée du flamenco. C’est un guide. Et c’est aussi Dark Phoenix du forum Fictionaddict, que j’adorais détester, quand j’avais quoi, seize ans ? Ah oui et pour couronner le tout, c’est le véritable sosie de Bartholomeus… Il a un de ces regards, je te dis pas…

— Mais whaat ? Tu viens littéralement de me dire que tu as rencontré le mec de ta vie là ?! bondit Mélodie, secouant Cali comme une poupée de chiffon.

— Mais non, ne dis pas ça ! Quoique… peut-être, qui sait ? Hihii ! couina l’écrivaine d’un rire strident. Ahh Mélooo je craaaque ! En plus, je l’ai stalké dans la rue tout à l’heure, si tu avais vu ma tête…

— OH MY GOD CALI ! Attends, attends, tu t’es assurée qu’il était bien célibataire au moins ? se réfréna soudain son amie.

— Ben euh, écoute, il m’a clairement donné ses horaires de boulot, et m’a déclaré, je cite, - elle adopta une voix grave, un sourire en coin et mima des guillemets avec ses doigts - : je serai ravi de te faire visiter le Musée une prochaine fois...

Mélodie poussa un cri de joie, suivi d’une roulade complètement foireuse qui la fit atterrir au sol. Elle est vraiment cinglée. Elle se rendit dans la cuisine, apporta deux verres à vin sur la table basse en se dandinant, et y versa du tinto de verano accompagné d’une rondelle de citron pour chacune.

— Levons nos verres à ton vagin, bientôt heureux et comblé ! Et vagin content, dit Cali contente, et Mélodie très contente !

L’écrivaine faillit recracher sa boisson.

— Au secours, c’est officiel, t’es barge ! Comment vais-je survivre ici ?

— Alleeez Cali, avec moi, à ton vagin !

— A mon… à mon vagin.

Elles levèrent leurs verres, trinquèrent, et rirent à gorge déployée. Pauvre Iker, s’il doutait un seul instant des plans qu’on a pour lui…

Elles passèrent ensuite la soirée à étudier les stratégies pour que Cali s’assure de mettre le beau brun dans ses filets. Enfin... Mélodie proposait des idées, et Cali les refusait.

L’une d’entre elles tenait cependant très bien la route. L’étudiante avait gardé dans sa bibliothèque un exemplaire de l’intégrale des Couronnes d’Adriae, offert par son amie à sa sortie. L’écrivaine la soupçonnait d’ailleurs de ne l’avoir jamais lu, sa couverture brillant comme au premier jour, et ses pages luisant d’un blanc maculé.

Bref, là n’était pas la question. Prêter ce livre à Iker assurait à la jeune femme de tisser encore plus de liens avec lui. Après tout, il avait trouvé le résumé accrocheur ! Et puis dans tous les cas, elle reviendrait sur son lieu de travail pour glaner des informations pour son roman.

*

Le surlendemain, un mercredi - en théorie, un jour où il travaillait - la romancière profita d’être seule à l’appartement pour appeler le standard du musée et réserver un créneau de consultation des archives. Alors que la sonnerie retentit au bout du fil, Cali sentit son cœur s’emballer, comme celui d’une adolescente qui téléphonerait pour la première fois à son crush.

— Hola, Museo del Baile Flamenco ! décrocha une voix féminine et autoritaire.

L’écrivaine crut deviner celle de la vieille rabat-joie du guichet. Elle éprouva un mélange de déception et de soulagement.

— Hola senora, me gustaria reservar una horaria para consultar los archivos ! répondit-elle en articulant dans son meilleur espagnol possible.

— Muy bien, un momento por favor… Iker ? Iker, ven aqui ! Alguien quisiera reservar un tiempo para consultar los archivos ! (*Très bien, un instant s’il vous plait… Iker ? Iker viens, quelqu’un souhaite réserver un horaire pour consulter les archives!*)

À l’annonce de ce prénom, des frissons parcoururent son corps et son estomac se noua. Un silence s’installa pendant une trentaine de secondes, qui parurent une éternité à la jeune femme, avant qu’une voix masculine ne prenne le relais.

— Hola ? Quieres consultar los archivos ?

Elle reconnut immédiatement cette voix grave au timbre de velours. Elle prit une profonde inspiration et se lança :

— Bonjour Iker, tu vas bien ? C’est Dragona, euh enfin Cali Bailly. Je souhaiterais réserver un créneau pour consulter les archives.

— Ah, bonjour, la fameuse écrivaine du taxi ? Je vais très bien merci, j’espère que toi aussi !

— Oui c’est bien moi, Cali, l’écrivaine du taxi ! Je vais bien, ça roule, ça baigne, oui, yes. Oh non Cali qu’est-ce que tu es en train de raconter ?

— Content de t’entendre ! Tu t’appelles Cali ? C’est joli. Désolé je ne t’avais pas demandé ton prénom la dernière fois. Pour moi tu ne pouvais être que Dragona Blizzgood ! Haha, enfin bref… Je peux te proposer de consulter les archives ce vendredi à 10h30, si tu es libre.

Cali fit semblant de consulter son agenda imaginaire.

— Heumm… vendredi 10h30… Eh bien je suis disponible, Iker. À moins que tu ne préfères que je t’appelle Dark Phoenix ?

— No, no, llàmame Iker, por favor (*Non, non, appelle-moi Iker s’il te plait*). Dark Phoenix est mort avec Fictionaddict haha…alors je te dis à vendredi 10h30, Cali ?

— À vendredi, 10h30, Iker.

— C’est noté, bonne journée, à très bientôt !

— Bonne journée !

Il raccrocha. La romancière pouvait encore ressentir les pulsations de son cœur cogner jusque dans sa gorge. Pourquoi cette consultation d’archives sonnait-elle comme un rendez-vous ? L’excitation et l’appréhension l’envahirent au même moment.

Pour tenter de se calmer, elle ouvrit son ordinateur. Elle avait accompli l’effort de déplacer son bureau - c’est à dire son Macbook portable - sur le petit balcon de l’appartement, afin de prendre le soleil. Composé d’une minuscule table de bistrot, de deux chaises de jardin et d’une demi-douzaine de pots fleuris, il donnait sur une ruelle tantôt animée, tantôt paresseuse. Aujourd’hui celle-ci pratiquait la siesta*, et seule, une musique lascive s’échappait de la fenêtre de Mme Perez, la propriétaire de Minina.

En parlant du loup, la chatte blanche et grise apparut sur la rambarde avant de sauter sur la terrasse et de se frotter aux mollets de l’écrivaine. Elle miaula ensuite pour que l’humaine lui fasse une place, grimpa sur ses genoux et se blottit contre elle. C’était leur petit rituel depuis plusieurs jours - Minina leur avait donc pardonné le malheureux épisode de la Tortilla -.

De son fief, Cali avait une vue sur un bout de ciel bleu, les vérandas colorées de l’immeuble d’en face, le linge qui séchait des voisins, et la boutique Secreto de Mujer* à l’angle de la rue - contrairement à son nom intriguant, on y vendait des thés, des infusions et du guarana*-.

Elle se massa les tempes, son calme revint petit à petit.

— Minina, et si ça se passe mal ? Et si je ne lui plais pas, ou qu’il se révèle être le dernier des nuls ? soupira-t-elle, s’adressant au chat qui lui répondit par un ronronnement.

Bon allez, arrête de te prendre la tête Cali, concentre-toi sur Magdalena. Tandis qu’elle éprouvait tout le mal du monde à se replonger dans l’écriture du huitième chapitre de son roman, un bip de son téléphone acheva de la distraire.

[Mélodie] : BIG NEWS ! Ce samedi, pour fêter la fin du 1er semestre, Park et ses colocataires organisent une teuf de dingue dans leur villa ! Ça va être d’enfer ! P.S : Faut que tu dises à ton Iker de se ramener ! #tchinàtonvagin *smiley verres qui trinquent* *smiley abricot*

Cali sentit une boule d’angoisse se former dans son ventre. Elle n’avait pas pour habitude d’inviter un garçon qu’elle connaissait à peine à une fête - à laquelle elle-même ne connaîtrait quasiment personne -. C’était pourtant l’occasion rêvée pour faire plus ample connaissance avec le sosie de Bartholomeus. Si leur rendez-vous déguisé en consultation des archives se passait bien, elle oserait sans doute tenter sa chance.

La siesta : La sieste est une véritable institution en Espagne. Les chaleurs suffocantes de l’après-midi ont habitué les espagnols à suspendre leurs activités lors de cette période et d’en profiter pour dormir. Par exemple, la plupart des magasins ouvrent leurs portes à 10h du matin et ferment entre 14h30 et 17h. Après la siesta, ils ouvrent à nouveau vers 17h30 jusque tard le soir, parfois jusqu’à minuit lors de la haute saison estivale.

Secreto de Mujer : Secret de Femme en Espagnol.

Guarana : Substance aux propriétés toniques et stimulantes, originaire d'Amérique latine, tirée des graines du même nom, riches en caféine et en tanins.

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