4. Préliminaires

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Dans l’arène Alïana se lève.

Ses cheveux blonds sont attachés en un chignon dont les frisottis lui donnent l’allure d’une reine. Cette couronne de régente est parsemée de pierres précieuses contrastant avec la couleur de son visage et sa tenue complète cette opposition. Le col de sa combinaison remonte sur ses joues maculées de maquillage rosé. Elle sourit, montrant ses dents avant un peu espacées et se prépare à parler.

Devant elle se dresse des combattants aguerris, des dompteurs de vie et de mort. Parmi eux, Damei Katab, une femme dont l’histoire conte ses prouesses dans la Tour, l’histoire qu’elle a elle-même écrite, historienne de l’humanité. Aucune personne en vie ne l’a jamais vu combattre et son corps avait dû oublier depuis ce temps comment tenir une lame. Ce qui était fortuit, sachant que les éliminatoires du tournoi se faisaient à mains nues.

Pourtant, ce que les écrits racontent, c’est la magnifique gracieuseté dont se pavanait cette fille lorsqu’elle avait l’esprit jeune. Quand elle monta vers ce monde, elle avait dix-sept ans. Avec ses doigts fins, ses muscles frêles et son agilité, elle avait acquis la maîtrise de la rapière. Ses adversaires dépérissaient une fois criblés de sa pointe et elle se retournait, les laissant se noyer dans leurs sangs.

Pour cette centième édition de la compétition coléonienne, le nombre de participants dépasse l’entendement, mais la récompense est de même allure : on promet au vainqueur un globule d’une qualité rare, conservé dans la tour ministérielle depuis des dizaines d’années. C’est pour cette raison que des préambules aux vrais combats sont nécessaires. Il faut éliminer le maximum de guerriers et de chaque côté du stade est présente une équipe dont les dons sont spécialisés dans les soins.

Comme le veut la coutume, le gagnant choisira de copier l’un des pouvoirs des concurrents, sauf que cette fois, il sera possible de se l’accaparer en entièreté. La récompense est d’autant plus alléchante au vu des magies mises en jeu : en plus de l’immortalité, il y en a certains qui se transforment en toutes sortes de créatures, d’autres qui contrôlent les éléments ou encore autrui. D’autres peuvent voler, se téléporter, se fondent dans l’eau ou dans l’air. La multitude de possibilités que l’éther a créées sont rassemblées en ce jour dans l’une des plus belles villes au monde pour se confronter.

- Guerrières ! Guerriers ! s’exclame la prêtresse lorsque le son ambiant se fait propice à la parole. Je suis honorée d’être la maitresse de cérémonies pour cette édition exceptionnelle. Vous êtes venus des quatre coins du monde pour participer à cette compétition. Ou pour regarder combattre les champions de l’humanité, dit-elle à l’attention du public.

Elle se déplace légèrement vers un socle où est déposé le prix. Quatre gardes entourent la chose en guise de protection, Alïana se saisit du trophée et se replace en face des combattants.

- Bien que ce trophée soit magnifique et qu’il reconnaisse la valeur du plus fort être au monde pour la durée d’une année, la véritable récompense se trouve dans ses entrailles.

Elle y plonge sa main jusqu’au poignet, la laisse quelques instants pour le suspense. Tout le monde sait déjà de quoi l'on parle mais la question qui trotte dans tous les esprits durant ces cinq longues secondes c’est : quelle qualité ? De quelle qualité est le globule ? suivie immédiatement de deux autres : est-ce que le chemin est rentable ? Est-ce que je suis prêt à risquer ma vie ?

Plusieurs fois dans l’histoire du tournoi, des participants se sont désistés une fois la récompense montrée car elle était jugée insuffisante. D’autres n’étaient là que pour la gloire et cette année, chacun serait comblé.

L’idole de la Purité retire brusquement sa main et tend le bras en l’air. Entre son pouce et son index se tient le plus grand globule jamais vu ce siècle, menaçant de rouler sur les gants de la femme. Le cœur de toutes les personnes présentes bat à l’unisson alors que le soleil se reflète dans cette boule de la taille d’un pouce qui promet un avenir extraordinaire à celui qui l’avalera. S’il s'échappait de cette main fragile, tombant sur le visage d’Alïana, il ne vaudrait plus rien, ce qui déclencherait à coup sûr une bataille sanglante pleine de frustration.

- Bien, votre excitation est palpable, acquiesce la femme en reposant le globule délicatement dans le trophée et en tendant ce dernier à l’un de ses gardiens. Comme vous pouvez le remarquer, vous êtes si nombreux que vous tenez à peine tous sur l’arène. Vous allez être répartis aléatoirement en cinq groupes de cinquante. Les groupes se succéderont sur le terrain afin de combattre. Mis à part l’interdiction des armes, vous ne devrez pas non plus blesser un adversaire déjà à terre. Ce seront les seules règles établies. Le combat se terminera lorsqu’il ne restera plus que douze personnes dans chaque groupe. Nous passerons donc de deux cent cinquante combattants à soixante. Si vous souhaitez abandonner avant les tirages au sort, veuillez lever la main.

Je tiens à rappeler que ce tournoi peut être mortel ou entraîner des séquelles, ne vous mettez pas en danger inutilement s’il vous plait.

Première sélection. Une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Le compte est bon, quasi parfait. Une onzième main commence à se lever mais une personne à ses côtés la baisse, fronçant les sourcils contre son partenaire.

Le temps de faire les tirages au sort est long et ennuyant. Sur le terrain, différents adversaires se jaugent. Certains discutent, d’autres se disputent. Damei se remémore la fois où elle avait participé au tournoi de Colea. C’était la première édition, il y a ça un siècle. Cette fois-là, il n’y avait eu que deux personnes qui sortaient du lot. Elle était arrivée jusqu’en finale mais avait ensuite perdu. Le gagnant, Geong, avait revendiqué son don.

Il jubilait tel un enfant ayant attendu ce cadeau toute sa vie. C’était les règles du tournoi et il l’avait mérité. Il maitrisait différents arts martiaux ainsi que l’usage de la lance. Son pouvoir lui permettait de se soustraire à la gravité quelques secondes et il en avait tiré parti de la meilleure des façons. Il sautait le plus haut possible, redescendait ensuite en trombe pour empaler son adversaire. Quand il échouait, il fonçait, tourbillonnait en l’air, frappait fort vers les tempes. L’historienne avait réussi à lui tenir tête un moment mais, à bout de souffle, elle avait fini par se faire éjecter contre les gradins. Nul doute que son entrainement avait dû être rude et qu’il avait dû se fracturer les jambes quelques fois.

Ce grand guerrier, imprégné du pouvoir de la vie, n’avait cessé de croitre et d’affronter des adversaires de plus en plus fort. Il était décédé il y a quelques années, battant le record de longévité de l’humanité (sans compter l’immortelle, hors concours).

Enfin vient le temps que le premier groupe combatte. Le reste des combattants sort, certains se cherchent des places parmi le public, d’autres restent dans les loges, dans les couloirs. A l’extérieur, quelques participants prennent l'air, ne s’éloignant pas trop.

L’arène est en telle effervescence que les encouragements résonnent dans les rues vides. Les plus faibles commencent par se jeter les uns sur les autres pour gagner leurs places tandis que les plus compétents ne se lâchent du regard que pour envoyer valser les débutants qui se trompent de cible. Le premier groupe, calme, frustre le public et la bataille royale se poursuit jusqu’à ce qu’il ne reste que treize combattants.

Certains s’écartent, deux personnes restent au milieu de l’arène. Un homme et une femme. Enfin un combat intéressant. Alïana se redresse sur son siège, regarde le carnage que les escarmouches ont provoqué. Une dizaine d’amateurs sont gravement blessés, les soins prendront un moment mais l’organisation a été rondement menée puisque chacun est traité à temps. Elle se concentre sur l’homme. Elle le reconnaît. Edward Nima, un homme des cités libres qui s’étendent au sud du monde. Il est petit, roux. Il se distingue des autres grâce à ses bottes hautes en couleur, ses jambes imberbes, son petit short en fourrure brune, son gilet sans manches en fourrure noire. Au bout de ses bras fins, des gants regroupant toutes les couleurs que l’on n’a pas pu mettre sur ses bottes. Ses cheveux mi-longs sont coiffés d’un chapeau plat, en fourrure beige. Le regard de la prêtresse retombe sur ses bottes lorsqu’il s’élance, à quatre pattes, avant de se transformer en beauval. Sa grosse tête charge sur la femme en face de lui.

Elle bondit, cette femme mature aux cheveux courts et grisonnants, et effectue un salto au-dessus de son adversaire. Leurs dons se confondent, ses jambes que le temps a rendues dodues se changent en serres d’oiseau géant et elle fond sur le corps de la bête. Certains dans le public l’encouragent.

Edward reprend sa forme humaine et se replie en boule vers l’avant, plongeant vers le sol. La femme rate son coup de quelques centimètres et elle se rend compte de son erreur lorsque le corps de son adversaire se détend, projetant son pied contre sa joue. Elle est propulsée contre le sol mais le combat ne se termine pas pour autant. L’abandon n’est pas une option pour des combattants tels qu’eux. Tandis qu’elle tente de se relever, transformant ses bras en ailes, un félin géant aux canines énormes fonce sur elle par l’arrière et lui arrache un de ses membres. Un troisième transformiste faisant partie du groupe avait choisi de l’éliminer, montrant à quel point il était fourbe aux autres.

DING ! Le match est déclaré terminé, les compétiteurs sont sélectionnés et la foule est en délire malgré l’action minable qui a clôturé la joute.

Le second groupe entre et combat. Puis le troisième. Au quatrième, c’est au tour de Damei.

Dans les yeux de la prêtresse brillent l’admiration et le respect que tous ceux qui la connaissent ont. Elle espère voir le talent mile fois conté qu’elle lui a promis. Elle sait que ce n’est pas lors des éliminatoires qu’elle brillera le plus. Sa professeure porte des bottines et un pantalon en cuir, sa ceinture lâche a un emplacement pour fourreau, vide. Son haut moulant est en soie couleur obsidienne. Ses cheveux sont détachés et ses délicates boucles couvrent ses épaules.

Le combat commence. Les hommes les plus forts se regroupent vers le centre, les poings en avant, les chevilles en arrière. Ils forment un cercle autour de la fragile immortelle pour la protéger. Surement leur avait-elle promis quelque luxure en échange de leurs soutiens. Qui le refuserait ? Du haut des places les plus hautes, on peut la voir sereine, les bras croisés, attendant son moment.

Une autre femme du groupe, la reconnaissant sûrement de sa visite à l’oasis ou des livres d’histoire, émet un rictus et va se poster contre un des murs de l’arène. Les autres faiblards se jettent sur l’attroupement du milieu et se font écarter de la compétition un à un. Il ne reste bientôt plus que ceux qui vaillent la peine d’un tournoi en leurs noms. Quatre personnalités, chacune à une égale distance les unes des autres, qui attendent, ainsi que la dame et ses huit gardes.

Une minute passe, chacun se demandant le bon moyen de procéder. Les guerriers compétents ne veulent pas révéler ce qu’ils savent faire à leurs adversaires et aucun ne s’avance. Les hommes épuisés par leurs combats se regardent, regardent leur promise.

Avant qu’ils décident de s’en prendre à elle, elle choisit de s’écarter. La dirigeante de l’oasis avance vers le premier qui se détourne et dont l’anxiété est palpable. Elle le dépasse, se retourne vers lui sans une parole rassurante. Les autres se jettent sur l’inattentif d’un coup, comme des animaux affamés, alors qu’elle le regarde se faire déchiqueter, tombant à terre et tendant la main vers elle.

Les yeux inexpressifs de Damei se lèvent doucement et plongent dans ceux d’Alïana en même temps que la cloche sonne la fin de la bataille.

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