5. La bataille

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Dans la ville de Colea, les oisillons postés sur les enseignes des divers commerces commencèrent à piailler. Dans l’une des auberges de la ville, une femme avait laissé la fenêtre entrouverte. Elle ouvrit les yeux lorsque les petites demandes de nourritures des nourrissons à leurs mères furent assez stridentes pour l’arracher à son songe. De quoi pouvait-elle bien rêver après tant d’années ? Tout comme les autres aspects de sa vie, elle pensait avoir pleinement exploré ce côté-ci de l’existence. Parfois, son cerveau lui faisait une surprise, inventant de toutes pièces une aventure dont elle ne voudrait même pas : sur une autre planète, avec des créatures étranges, entouré d’inconnus. Dans son cas, elle avait déjà vécu cet étrange rêve. Trois cents ans plus tard, cela semblait surréaliste.

Elle prit appui sur ses paumes pour se mettre en position assise, pencha la tête d’un côté puis de l’autre avec les bras pointant vers le plafond. Elle poussa un râle avant de baisser ses membres tout en amenant ses épaules en arrière. Elle sortit enfin du lit et entreprit de s’échauffer. La journée promettait d’être rude. Pourtant, il ne fallait pas se sortir de la torpeur trop brutalement sous peine d’engendrer l’inverse des effets escomptés. Elle fit tourner ses bras, ses coudes, ses poignets. Ensuite, elle répéta la même tâche avec son bassin, ses genoux puis ses chevilles. Une fois fait, elle s’enquit de sauter sur place, de faire quelques flexions et de s’étirer. Elle était quasi prête à attaquer ses comparses de compétition.

Elle s’habilla d’une combinaison moulante, en soie blanche et fils dorés, renforcée d’une triple couche de tissu à certains endroits. Celle-ci laissait ses épaules découvertes ainsi que ses chevilles. Elle était élégante, charismatique, tout en se laissant libre de tout mouvement. Sa tenue rappelait celle de la prêtresse de l’eau. Sur l’immortelle, elle donnait une impression de fragilité. Elle se mouilla les cheveux et les enduisit de graisse. Elle saisit un élastique et tira si fort sur ses cheveux que ses sourcils remontèrent en un air légèrement étonné. Elle fit de sa masse un chignon qui ne pouvait bouger d’un poil. Finalement, elle prit sa rapière posée dans un coin de la pièce, la plaça dans son fourreau, attacha sa ceinture à sa taille et sortit de sa chambre.

Les escaliers se trouvaient au fond du couloir et tandis qu’elle marchait vers ces derniers, la tête haute, quelques participants au tournoi sortirent sur son passage. Les horaires étaient stricts et il lui sembla que tout le monde avait les mêmes habitudes. Certaines portes restèrent fermées et un léger gémissement emplein de tristesse se fit entendre juste avant d’entamer les marches. Ce dernier devait provenir d’un des participants éliminés la veille.

Alors que, pas après pas, elle se rapprochait de la taverne, le bruit des matinaux se fit de plus en plus assourdissant. Arrivée en bas, elle se décala de l’autre côté de la rampe puis ferma longuement les yeux afin de s’imprégner de l’ambiance. Après cet acte, elle se trouva une place au bar et commanda un abondant petit déjeuner. Il était composé de jus, de pain, de fruits coupés et écrasés et de deux œufs de serpent. Elle dégusta ce repas. À côté d’elle, deux vaillants guerriers, encore en lice, qui se prenaient d’amitié avant qu’ils se mettent à s’érafler en entrechoquant leurs lames. Ils chuchotaient à propos d’elle, ne connaissant pas son prénom et ne l’ayant jamais vu. Les photos n’étaient plus commune mesure en cette époque. Il existait quelques sculptures et peintures d’elle, mais bien souvent, dans les livres qu’elle avait écrits, il n’était relaté que son nom et une courte biographie.

- Quel joli bout de jeune femme, je l’ai entraperçu au tournoi, j’ai hâte de voir ce qu’elle sait faire, tu penses que je devrais l’aborder ? demandait un barbu à son ami.

- Je pense surtout que tu devrais te concentrer sur ton repas, nos combats font partie des premiers de la journée, lui répondait-il.

Les regards pesants des deux individus se terminèrent aussi vite qu’ils avaient commencés, témoignant ainsi de l’état d’esprit en constant changement des combattants. Le stress, l’attente, l’envie, la faim, le courage, la tristesse, la rage, tout ça se mélangeait en même temps, ce qui faisait passer d’un sujet à l’autre à une telle rapidité que le mal de tête était vite arrivé.

Il était temps de sortir de l’établissement. Les rues étaient bondées de toutes sortes de gens et elles se séparaient en deux fronts. D’un côté, le public était presque immobilisé jusqu’aux portes du colisée, de l’autre, les guerriers en file indienne. Certains se dépassaient pour se mettre par ordre de passage, d’autres allaient tous devant pour enfin se faufiler dans le public. En somme, une belle pagaille. Damei gardait sa place, s’amusant avec l’eau qui coulait entre les pavés grâce à la pointe de son pied droit.

Les portes s’ouvrirent et le monde commença à affluer pour remplir les meilleures places. La dame se mit non loin du gouvernement, c’était ceux qui avaient la meilleure vue sur les duels. Maintenant que les éliminatoires étaient terminées, chacun allait combattre en un contre un avec l’autorisation d’utiliser toutes les armes à disposition. On pouvait également ramener son propre équipement.

Le premier combat du jour opposait deux hommes, l’un était le barbu à la taverne qui devait déjà avoir tout oublié de son repas du matin. L’autre était une personne fringante, chaussé de sabots en bois, habillé d’un pantalon ample en satin, d’une veste de velours bordeaux et coiffé d’un haut-de-forme noir. Il effectua une petite courbette en avant alors que le gong sonnait, ce que laissait voir son torse si peu dodu que ses côtes se dessinaient. Avant de se relever de son salut, son adversaire fonça sur lui. L’opposant avait accessoirisé sa barbe de plusieurs tresses auxquelles étaient attachées des perles bleutées, elles rappelaient ses yeux de mêmes couleurs. Mis à part ce signe distinctif, l’homme était tout en muscle et en poil, rappelant les histoires de loups-garous contés aux enfants.

Il était intéressant de comparer ses deux personnages diamétralement opposés, d’autant plus lorsque leurs pouvoirs se révélèrent. Le premier s’était lancé à toute vitesse sur le second alors que sa stature ne suggérait rien de tel. Son poing, déjà immense, était agrémenté d’une protection en acier. Avant qu’il ne touche le visage de son adversaire, tous ses mouvements ralentirent, l’élégant homme passa derrière lui, sortit son poignard et commença à s’enfoncer dans le flanc du géant.

Réactif, aidé par son don accélérant ses mouvements, sans lequel il aurait déjà perdu, l’homme musclé saisit le poignet portant l’arme et le serra de toutes ses forces. Crac. Brisé. Perdant son chapeau dans l’agitation, passant son arme à sa main encore valide, le maigrichon repoussa l’imposant individu en menaçant sa gorge. Chacun se retrouvait d’un côté du ring.

Pour Damei, il était fortuit que ce combat ait eu lieu. Le hasard était visiblement prêt à donner matière au spectacle. Ou bien chacun avait été dument analysé pour qu’il affronte son rival parfait. Après des éliminatoires plus ou moins satisfaisantes pour les spectateurs, de tels combats ravivaient la flamme et la soif de sang du peuple. Elle ne pouvait qu’appréhender son moment.

La fin du combat sonna après que le plus rapide se jeta sur le plus faible à nouveau, prenant soin de briser sa seconde main. Il n’abandonna pas tout de suite, essaya de le ralentir à nouveau et de l’étrangler. Cependant, ses petits bras pouvaient à peine faire le tour du cou du colosse en face. Lorsque, après cette dernière tentative, il fut saisi et jeté à terre, il resta conscient mais immobile jusqu’à l’intervention de l’équipe de soin. Le barbu, bon gagnant, ramassa son haut-de-forme, et le déposa sur son corps inerte.

Quelques combats s’enchaînèrent. Durant ceux-ci, l’ancienne dirigeante de l’oasis prit soin d’analyser les carrures, les dons, les armes de chaque personnalité. Etrangement, sur les quatre matchs qui suivirent, trois opposèrent des concurrents aux antipodes. Elle craignait une faiblesse dont elle n’avait pas encore connaissance. Vint son tour.

Elle passa par l’entrée gauche. Elle s’avançait menaçante, voulant paraître confiante. Elle sortit sa rapière dès la venue sur le terre-plein, prête à s’élancer avant même que son adversaire ne puisse faire quoi que ce soit. Elle souffla avec lourdeur telle une bête s’apprêtant à se ruer. La femme qui lui faisait face entendit sa menace, l’annonceur également.

- Mesdames et messieurs. Pour le sixième match de la journée, j’ai le plaisir d’annoncer à ma gauche : Damei Katab ! Doyenne de l’humanité ! Ne vous laissez pas berner par ses airs enjoliveurs ou votre sang viendra teindre ses soies ! Criait l’homme au public.

A ma droite ! L’épanouie Vine Grasse, une cantatrice qui nous vient tout droit de l’Empire ! Prenez garde à l’envoutement de sa voix angélique pendant qu’elle vous démembrera !

La diva arborait une longue robe qui lui arrivait en dessous des genoux. Elle était assez âgée pour être appelée « Grand-mère » et bien portante. Au bout de son bras pendait un long bâton. La tête de ce dernier était ornée de diverses cloches.

Le héraut allait vers les côtés du stade pour ne pas risquer sa vie en même temps qu’il criait :

- Que la joute commence !

Vine eut à peine la joie de sonner ses artifices et de pousser son premier cri. Damei eut à peine le temps de se jeter l’épée en avant. Les guerriers dans les tribunes purent à peine sauter à sa rencontre. En un battement de cœur seulement, le corps de la chanteuse fut écrabouillé. Les pupilles de l’immortelle se dilatèrent à leurs extrêmes alors que le sang de son adversaire éclaboussait la commissure de ses lèvres. Une créature longtemps recluse aux confins du monde se releva du cadavre de sa victime.

Elle allongea son corps immensément long. La chose était d’une couleur blanchâtre qui ne donnait pas l’image de pureté mais celle de pourri. Des crevasses bleues rappelant la même origine parcouraient son corps. C’était ses pieds, en atterrissant, qui avaient aplati la grosse dame. Ils avaient une longueur d’un mètre avec trois orteils écartés. Ses grosses cuisses s’étaient collées à ses fins mollets telle une grenouille. Son torse comptait le plus grand nombre d’orifices bleutés. Ceux-ci rendaient le buste suintant. Le sang se mélangeait au liquide qu’il rejetait. En reprenant son ampleur, la mixture coulait sur le sol en un bruit d’acide significatif. Son cou s’étendait en un col protégeant sa tête, son cerveau était au niveau de la trachée humaine. Ses bras étaient si longs qu’ils arrivaient à ses mollets, ses mains ressemblaient à ses pieds en plus petits et avec seulement deux doigts. Sa tête était plate, les yeux à son extrémité. Un nez, une bouche, des oreilles. Un avatar.

Au bout de ses doigts s’allumèrent des petites flammes qu’il lança à chaque point cardinal. En s’approchant du public, elles se transformèrent en un brasier. L’arène allait se changer en une cheminée immense alimentée par les cris de l’humanité. Alïana fit appel à toute sa force, on entendit son cri comme le commencement de la torture. La chaleur redescendit d’un coup tandis qu’une vague arrosa le bâtiment entier. Il était temps de frapper le monstre désorienté. Damei se jeta sur lui, prête à en découdre deux fois plus, mais sa lame fondit avant même de le transpercer. L’avatar sauta. On ne le vit plus. Tout le monde eut le regard sur le ciel. D’un coup, à l’est de l’arène, un homme explosa et une nouvelle fois, la créature se releva, un immense sourire sur son visage.

Hommes et femmes, dans un élan de rage, se jetèrent sur lui, combattants ou simples touristes usèrent de leurs dons, de leurs armes, la mâchoire serrée. L’ennemi immémorial de l’humanité était revenu. Un seul de leur espèce pouvait décimer une ville, il n’était pas question de laisser un tel carnage se produire.

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