2.Rae

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Je suis crevé. Deux jours que je ne dors pas. Cette chose me rend fou. À chaque tentative, l’armure se rebiffe. J’ai essayé le voyage astral. La porte reste invisible. J’imagine que le cercle du « mangeur de chair » y est pour quelque chose. À force de lui siphonner son réservoir de pouvoir, elle ne peut plus y accéder.

Je ne vois pas d’autres solutions : attendre que l’armure disparaisse d’elle-même.

J’ai bien réfléchis. Quand Neela se trouvait dans la caisse en bois, elle était elle-même. Ce qui signifie que l’armure a besoin de phases de repos pour se régénérer. Du coup, deux autres questions se posent : Combien de temps dure chaque phase et où se cache-t-elle pendant la phase de repos ?

Je jette un coup d’œil dehors. La vue m’aide à me recentrer. Le ciel bas est toujours gris et la mer en contre bas ne cesse de rugir. L’écume forme des amas blancs aux pieds de la falaise. On a l’impression que des nuages de sel blanc s’écrasent sur le récif. Je rajoute une bûche dans l’âtre, l’humidité est partout.

La porte s’ouvre. Je soupire. Gaarin entre munit d’un plateau remplit de nourriture qu’il s’empresse de poser sur la petite table près de la fenêtre. Je n’ai pas la force de le rabrouer. Sans un mot, il ressort. Bon débarras.

La matinée se passe dans un silence à couper au couteau. Entre tourner en rond et griffonner des mots sans queue ni tête sur une feuille de papier pour finir par les froisser et les balancer dans la cheminée. Je n’ai rien fait. Même manger un morceau de ce pain rassis me fatigue. La patience m’épuise. Avachi sur une chaise, la tête en arrière, je ferme les yeux.

Juste une minute.

Une minute. Et. Je. M’endors.

Une sensation, une impression et mes sens s’éveillent. Dans un brouillard encore présent, quelqu’un touche mon visage avec une lenteur extrême. Si c’est cet imbécile de Gaarin, je l’envoie direct vers les rives sans vie. Non, c’est elle ! Cette odeur de sueur et de foin ne trompe pas. Ses doigts fins tremblent légèrement. Elle appuie sur ma peau comme pour trouver une faille.

Je veux la voir.

La seconde suivante, je flotte autour d’elle sous ma forme astrale. La dernière fois que je l’ai vue, seule la cruauté visible sur sa peau m’avait frappé. Pourtant les traitements sévères qu’elle a subi n’affectent pas sa beauté naturelle : ses yeux verts, son petit nez retroussé, sa bouche pleine, quelques taches de rousseur qui piquent çà et là sa peau claire. J’enrage de ne pas l’avoir protégé. Une lueur étrange sur sa poitrine attire mon attention. J’examine cet éclat d’un peu plus près. On dirait un pendentif. J’approche ma main pour sentir cette aura qui pulse comme un cœur qui bat. Serait-ce une autre marque d’appartenance ?

Elle vient de sourire alors que je renâcle comme ce crado de Gaarin. Elle reprend son exploration. Je retourne dans mon corps. Un supplice, il n’y a pas d’autres mots. Un doux supplice. Maintenant mes lèvres, elle en fait le contour descend dans mon cou et revient sur l’arrondi de mes arcades. Je suis subjugué par ce qu’elle fait. Plus rien ne compte que la pulpe de ses doigts traçant des fils de feu. Un peu à droite. Oui. Ma tempe. Ma joue. Encore ma bouche ? Va-t-elle profiter de ce répit pour me tuer ? Elle en serait capable avec ce que j’ai vu hier.

— Je sais que tu ne dors pas, murmure-t-elle à mon oreille.

J’exquise un sourire en coin.

— Je ne suis pas ton ennemi. Tu n’as rien à craindre.

— Ah, oui ?

J’ouvre les yeux et tombe dans le sien. Elle se relève aussitôt et s’éloigne.

— Je sais que tu ne me crois pas, mais je suis celui qui a passé des mois avec toi dans tes rêves.

Elle exquise une grimace pleine de mépris, attrape une pomme du plateau et y plante ses dents. Au moins, elle mange.

— Je te l’ai déjà dit tu ne peux pas être lui. Tu es comme tous les autres : un imposteur.

J’attends qu’elle avale pour répondre.

— En effet, je ne le nie pas.

Elle croque un morceau juteux.

— Hum…

— Laisse-moi quand même te poser une question. As-tu dis à chacun de ceux qui ont essayés la même réponse ?

— Qu’il ne pouvait pas être lui.

— Oui.

— Et qu’ont-ils répondu ?

— La mauvaise réponse, affirme-t-elle en haussant les épaules.

— Et si je connaissais la bonne réponse ?

Elle se marre.

— Impossible.

— Je t’ai pourtant donné le bon nom : Azur.

Elle prend un morceau de pain et de fromage.

— Oui.

— Je ne peux pas l’inventer ?

Elle s’empresse de tout ingurgiter. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas été nourrie ?

— Je me demande si tu le fais exprès ou si c’est un jeu ?

Je perds un peu de mon assurance. De quoi parle-t-elle ?

— Tu es très fort et j’admets avoir eu une seconde de doute, mais ne fait pas comme si tu ne savais rien.

— Savoir quoi ?

Elle boit une longue gorgée d’eau pour faire passer le tout.

— Tout ce que j’ai dit à tes copains lors de mes précédentes captivités alors que j’ignorais de quoi ils étaient capables. Écoute bien ce qu’il va se passer, dit-t-elle en s’approchant. Tout d’abord, je vais te faire un résumé rapide de la situation. Après un instant d’hésitation, tu me montreras ton vrai visage et de ton échec viendra ton exécution. Qui sera le meilleur moment de la journée à mon sens et je retournerais dans ma boite pour une prochaine rencontre. Ton successeur va devoir s’accrocher. Je te dois bien une chose, tu as du talent, mais de toute évidence pas assez. Alors finissons-en…

Lentement, je la rejoins, elle est plus petite que dans mes souvenirs. Je m’approche au plus près d’elle et colle presque ma bouche à son oreille.

— Tu ferais du mal à ta « Conscience »…

Je souffle ses paroles plus que je ne les dis. Sa réaction est immédiate. Elle me gifle avec force et porte une main à sa bouche. Son visage affiche une terreur mélangée à de l’incompréhension. Elle recule jusqu’au lit. Son corps fragile tremble. Elle me fixe les yeux remplis d’un tourment indescriptible.

Pas facile de faire face à la réalité quand aucun espoir n’est permis. Elle semble perdue et pourtant, je sens qu’elle veut y croire. Une lueur nouvelle vient de surgir dans ses iris.

— Ce n’est pas possible… Tu ne peux pas.

— Je te l’ai dit que j’étais un imposteur, mais pas de la façon dont tu l’entends.

— Comment as-tu fais ? Mes barrières sont infranchissables.

— Et elles le sont toujours. Combien de fois dois-je te répéter que je suis la bonne personne.

— Tu m’as trompée !

Je l’implore les mains en l’air en signe de paix.

— Je t’en prie… Laisse-moi une chance de tout t’expliquer.

— Mensonge.

— Pose-moi des questions que seul Azur peut répondre.

Sa réflexion dure si longtemps que j’imagine le pire.

— 12

J’ai envie de la serrer dans mes bras.

— Le nombre de nuances de bleu dans mes yeux.

— Étincelle ?

— La première fois que tu as fait pousser une fleur de feu.

— Rouge ?

— La couleur préférée de ta mère.

— C’est impossible… murmure-t-elle. Impossible. Pourquoi avoir menti ?

— Je suis un Voyageur et je voulais savoir pourquoi une femme qui ne faisait pas partie de mon clan pouvait se rendre dans la dimension astrale. J’étais retenu ici, je croyais que tu étais à la solde de Krahor.

— Qui ?

— Le sac d’os que tu as rencontré en arrivant dans la grande salle. Il m’envoie me battre dans des arènes. Je croyais qu’il avait tout manigancé pour je ne sais qu’elle raison tordue et puis le temps que m’aperçoive que j’avais tout faux le mal était fait. J’avais menti et… j’ai été égoïste.

— Tu veux dire que tu l’as fait exprès ?

— Évidement, j’avais bien trop peur de te perdre.

— Pourquoi ?

— Parce que tu étais une île au milieu de cet océan de pourriture. Qu’est-ce que tu veux que je te dise que je suis un sale con ? Je le sais. J’ai merdé alors déteste-moi si tu veux, mais maintenant tu es là, je ne compte pas faire le boulot que ce connard m’a demandé. On va s’évader d’ici.

— 182

Je réponds du tac-o-tac.

— Le nombre de fois où tu m’as demandé de partir.

Soudain, des larmes ruissellent sur ses joues. Ses lèvres tremblent d’une émotion trop longtemps refoulée.

— J’espère que c’est bien toi, dit-elle entre deux sanglots, sinon je te tue.

— Oui, c’est bien moi.

Sans manifester d’autres démonstrations d’enthousiasme, elle retourne s’asseoir sur le lit.

Tu t’attendais à quoi, pauvre idiot, qu’elle te tombe dans les bras ?

— On se trouve où ? finit-elle par demander.

— Nous sommes à Spérione, la cité de pierre.

— En Malorique ! Ok, et le plan ?

— Très facile, tu vas mourir.

— Quoi ?

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