Les Clairvoyants

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Le dragonien apparut directement à l'entrée des grottes où vivaient les clairvoyants, ses employeurs de toujours. Il fouilla les alentours, et trouva la corne de brume. Il y souffla deux fois, et attendit qu'un garde vienne le voir. Une vieille connaissance ne tarda pas à venir, et ils prirent le temps de discuter longuement. Les deux échangeaient des nouvelles sur leur famille respective, puis leurs dernières activités. Enfin, ils se faufilèrent dans les boyaux souterrains.

Arrivés à destination, le garde retourna à son poste, et Nivom faisait face à un clairvoyant qu'il connaissait depuis le début de tout ceci. Ce dernier écrivait comme un possédé, couchant sur vélin ses dernières visions avant de les oublier, ou que ses souvenirs n'en modifient les détails. Sa frénésie terminée, il leva enfin les yeux sur Nivom.

-Ssseh, Nivom, toujours à l'heure ! Content d'te voir !

Pour toute réponse, il ouvrit les bras et y accueillit le clairvoyant. Les deux ronronnèrent, puis ils passèrent aux choses sérieuses. Son ami lui tendit une liste contenant douze noms et prénoms, accompagnés des professions, des lieux et de l'heure de la mort souhaitée. Et, au dos de la liste, quelques annotations au cas où les clairvoyants se seraient trompés. Nivom parcourut le tout, et signala qu'il s'était déjà occupé de deux des personnes désignées.

-On l'avait pas vue venir, celle-là, se moqua le clairvoyant.

Il aimait l'auto-dérision par-dessus tout. Ceux de son ordre voyaient les différents passés, présents et avenirs possibles. Il leur fallait d'interminables entraînements, pour pouvoir différencier ces trois temps, et la probabilité de survenue des événements qu'ils voyaient. Car ils voyaient tout. Cela faisait très longtemps, que Nivom assassinait pour eux les parents de futurs génocidaires, de futurs gourous ou tout simplement des tueurs en série. Sans compter les mages noirs qui iraient trop loin dans leur quête de connaissance, ceux qui déclencheraient divers fléaux... ainsi que les oracles et les devins.

Ces trois types de personnes voyant l'avenir s'entretuaient depuis la nuit des temps. Nivom se moquait bien de savoir pourquoi. Les dragoniens se fiaient bien plus volontiers aux clairvoyants qu'aux autres. Et puis, l'assassin préférait servir des personnes capables de reconnaître leurs erreurs. De plus, son absence de scrupules ne les dérangeait pas. Pour finir, aucun membre de son peuple ne devenait jamais devin ou oracle. Ce qui l'arrangeait bien. Il régla encore quelques détails, afin de se garder du temps auprès de sa famille. Ces broutilles réglées, il voulut interroger l'autre sur cette plante qui le poursuivait, mais fut devancé.

-Attends ! Nous avons vu que tu viendrais avec des questions. Tu veux savoir si ta compagne est enceinte, et tu es poursuivi par du lierre sanguinaire. C'est ça ?

Nivom éclata de rire.

-Pas du tout ! Ça fait trois ans que ma compagne ne se laisse plus approcher, pour elle douze enfants ça suffit. Et je suis bien poursuivi par...

-Trois ans ? s'étonna le Clairvoyant. Tu sais que tu peux aller voir ailleurs, Nivom ?

-Pas envie.

-Ssseh, la monogamie, c'est bon pour les humains, pas pour nous.

-Tu sais, si un jour elle attends l'enfant d'un autre, je le bute. Alors je ne compte pas courir le risque d'en avoir un sans elle. Je pratique le donnant-donnant, tu vois ?

-Je vois que tu te compliques la vie comme personne. Bon. Et cette plante ?

Nivom lui raconta l'événement qui ponctuait ses quatre derniers assassinats. Le clairvoyant tenta de provoquer une vision sur le sujet, puis, n'y parvenant pas, ce don étant capricieux, il fit patienter l'assassin des clairvoyants, pendant qu'il partait interroger ses confrères.

De longues heures plus tard, Nivom discutait avec plusieurs gardes des lieux quand, enfin, son ami revint. Les gardes filèrent à leur poste. Le clairvoyant portait une lourde pile de notes, qu'il laissa choir sur sa table.

-Bon, nous n'avons aucune certitude concernant ton lys. Certains pensent que c'est une incarnation de tes remords.

-Ca m'étonnerait, commenta l'intéressé.

-Une hallucination, précisa l'autre. Personnellement, j'en doute aussi. D'autres pensent qu'il s'agit d'une malédiction ratée. Quelqu'un aura voulu te voir mourir, vidé de ton sang par une plante, aurait mal formulé sa demande et elle se nourrit de ceux que tu tues.

-Elle a une odeur de lys normale. Et puis je sais quand même détecter la magie du sang.

Le clairvoyant soupira, puis se figea. Son regard devint vide. Il avait une vision. Il en nota les détails avec ferveur, puis relut les notes concernant son assassin.

-Autre possibilité, un ange ou un démon veut te faire passer un message.

-Ils ont rien d'autre à foutre, ceux-là ? pesta le dragonien.

-Sinon...

L'ami de Nivom parcourut les notes, puis estima tout le reste trop peu probable pour l'intéresser. L'assassin l'en remercia, puis, songeur, se dirigea vers la sortie. Une fois à l'air libre, il poursuivit son chemin, désireux d'errer au hasard pour réfléchir à tout ça.

Sous le couvert de la forêt épaisse où vivait le groupe de clairvoyants qu'il servait, il croisa la route de l'un des leurs. Ils se saluèrent, puis la rencontre causa une vision. Le clairvoyant parla durant celle-ci.

-Tu mourras blessé par ton pire ennemi et assassiné par ton frère et Nér-hi.

Nivom dévisagea l'autre. Les clairvoyants ne parlaient pas, pendant leurs visions. Sa conclusion le fit sourire. Il fit apparaître une hache à deux mains difficile à manier, et ricana avant de la brandir :

-Paroles de devin !

Comprenant son erreur, l'infiltré prit la fuite. Nivom le trancha en deux, de haut en bas. Depuis le temps qu'il se demandait si ce genre de chose était difficile à réaliser ou non. Il en conclut qu'il n'aimait ni les armes aussi lourdes, ni manier quelque chose d'aussi encombrant. Pas moins heureux de ce repas chaud, il commença par le foie. Celui qu'il venait de tuer était un elfe infiltré. Les Clairvoyants devaient se dépêcher de changer de cachette.

Attirés par l'odeur du sang, les dragoniens vivant dans la caverne ne tardèrent pas à venir voler des morceaux de sa proie. Il ne put sauver qu'une partie du foie et un bon morceau de jambe. Quels rats.

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