Résolution au temple

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Nivom s'acquitta donc de ses diverses tâches. Il montra les bases de la traque à son fils. Sa compagne refusa de laisser le moindre de ses descendants se désister pour lui succéder. Il assassina les cibles désignées par les Clairvoyants. Seconda sa compagne dans ses tâches.

A chacun de ses assassinats, le lys revenait, devenant de plus en plus rouge. Les lignes sur les feuilles, puis leurs contours, puis d'autres parties encore devenaient rouge sang. Peu importait ce que Nivom en faisait, la plante revenait. Ce qui inquiétait toujours plus le dragonien.

Puis, la veille de son départ pour son dernier assassinat, sa compagne lui désigna la même cible que les Clairvoyants. Plus précisément, il devait démanteler un culte. Sa compagne se méfiait des sectes humaines, qui bien trop souvent devenaient des mouvements de fanatiques désireux d'éradiquer leur peuple. Quant aux Clairvoyants, s'ils ne doutaient pas un instant de la bonté du prêtre actuel, préféraient éviter que son culte, prenant de l'ampleur dès le début, ne dégénère aux mains de son remplaçant futur. Nivom devait ne laisser aucun survivant, et détruire le lieu de culte perdu dans les bois. Une mission classique pour lui.

Il approchait du temple, quand il perçut plusieurs auras. Il grimaça. Des hybrides. Des demi-dragoniens, et des demis issus de bien d'autres peuples se comptaient parmi les croyants. Nivom n'aimait pas les hybrides. Ils se plaignaient d'avoir le cul entre deux chaises, et étaient indignes de confiance. Pour finir, tout comme leurs parents non-humains, ils pouvaient pratiquer la magie.

Inhibant autant qu'il put son aura, Nivom poursuivit son chemin. Arrivé devant la porte fermée du lieu de culte, il se rendit immatériel et la traversa. Puis observa. Le prêtre parlait de bonté, de générosité et de bien d'autres choses bien jolies, mais impossible à pratiquer sur le long terme. En bâillant, le dragonien observait les potentielles sorties pour ses proies. Son repérage terminé, il retraversa la porte, puis fit tomber plusieurs lourdes branches, en les tranchant avec des lames de vent. Il s'en servit pour barricader les lieux. Il s'assura une dernière fois qu'aucune échappatoire ne s'offrirait à ses cibles. Satisfait, il entra.

S'équipant de son arc en bois, il visa patiemment le prêtre, et lui tira une flèche en pleine gorge. Il profita de la sidération de ses ouailles pour en tuer d'autres. Les plus proches de lui. Huit de plus moururent, avant que quelques-uns ne se remettent de leurs émotions. Certains, les plus proches, accoururent auprès du mort, tandis que d'autres se ruaient vers Nivom.

Le dragonien, mal à l'aise pour les combats au corps-à-corps, même contre des personnes désarmées, se téléporta à l'autre extrémité du temple, et décocha plusieurs autres flèches à un rythme soutenu. Ce petit jeu recommença deux ou trois fois, avant qu'il ne décide d'en finir. Les mages présents avaient repris leurs moyens, il était temps de mettre un terme à tout ceci. D'un mot, il redevint immatériel, et indétectable. Il se déplaça jusqu'à un endroit encore tranquille, y redevint matériel et lança plusieurs lames de vent à différentes hauteurs. Ses assaillants furent tranchés à plusieurs niveaux. Très peu survécurent. Nivom les acheva avec ses griffes.

Tous les hurlements l'avaient assourdi jusque-là. Puis il comprit pourquoi il flairait encore des odeurs de terreur et de pisse. En levant les yeux, étonné d'entendre des hurlements venus du haut, il vit des enfants de chœur. Nivom déglutit. Les tuer revenait à signer un aller simple pour l'Enfer. Et merde. Il ne voulait pas y aller. Les Juges des âmes savaient se montrer flexibles sur bien des choses, mais pas sur les infanticides. Sauf très rares cas, mais Nivom savait que les esprits décidant de l'envoyer en Enfer ou au Paradis ne lui pardonneraient pas ça. Aucun d'entre eux ne menaçait directement un membre de sa famille. Et Eyaëlle avait précisé qu'elle ne voulait aucun survivant.

De ce qu'il voyait, les enfants étaient enfermés sur un balcon. Certainement que les cultistes se méfiaient des désertions pendant les chants. L'assassin scruta la part immatérielle de ce qui l'entourait. A part les enfants et lui, plus rien ne vivait. Et merde. Nivom tourna en rond, tout en jurant et piétinant les cadavres.

Son instinct lui soufflait de se rouler sur les carcasses, pour s'imprégner de leur odeur. Et puis, les odeurs de peur et de sang aiguisaient son appétit, ainsi que ses instincts de prédateur. Rien de tout ceci ne l'aidait à réfléchir, alors il hacha menu la porte principale, et marcha rapidement dans la forêt. Les odeurs d'humus lui permirent de penser à autre chose qu'au festin auquel il tournait le dos.

Haletant, prenant son temps pour arrêter sa décision concernant les enfants, il ne remarqua pas tout de suite le clairvoyant apparu près de lui, adossé à un arbre. L'autre finit par s'impatienter. Il rugit assez fort pour faire s'envoler les oiseaux somnolents qui les entouraient. Nivom, par réflexe, ne passa pas loin de le trancher en deux d'une lame de vent. Reconnaissant l'autre à temps, il interrompit son geste et poussa un soupir tremblant.

-Bordel connard, ça va pas ?

-Je vais très bien, merci, railla le Clairvoyant. Dis-moi, je rêve, ou tu hésites à tuer ?

-C'est des mômes. Ils ne constituent même pas une menace. Ils pourraient ne pas tarder à se faire bouffer par des démons.

-Et les esprits t'en tiendraient responsable.

Nivom déglutit. Il savait bien. Il pointa un doigt accusateur vers l'autre et cracha :

-Vous saviez.

-Ouais. Quelques futurs génocidaires vivent, et il faut les empêcher de nuire. On aimerait bien te confier ça aussi, plutôt que d'appeler les mercenaires et de laisser des traces avec les contrats.

-Eh bien je peux pas.

-Cesse tes enfantillages. Tu veux vraiment attirer des démons ici ? Parce que je te préviens, s'il y en a un seul qui vient nous voir, à cause de ces mômes, on l'envoie directement auprès de ta famille.

L'assassin le foudroya du regard. Il savait que le Clairvoyant ne bluffait pas. Ils n'en avaient pas besoin. Ils avaient tant de visions concernant les massacres et atrocités possibles, qu'ils en devenaient blasés. Comme souvent, ils finissaient par ressembler à ce contre quoi ils luttaient. Pour rester à armes égales. Les écailles hérissées, Nivom songea très sérieusement à tuer le clairvoyant. Mais les autres verraient, et lui feraient vivre un enfer. Il ne pouvait plus que s'incliner.

-Toujours pas de certitude concernant ce lys rouge ? s'enquit-il.

-C'est aussi pour ça que je suis venu.

Nivom supposa qu'il venait aussi vérifier le travail. Résigné, le mage de vent retourna au temple en traînant les pieds, et hacha menu les enfants, leur évitant des souffrances et de la terreur supplémentaires. Ce massacre terminé, il chercha d'un regard las le lys rouge. La plante surgit au milieu de la salle, prenant racine sur plusieurs corps encore tièdes. Cette vision et sa certitude de finir en Enfer lui coupèrent l'appétit. Il s'affala sur l'autel, et laissa le clairvoyant s'approcher de la plante. Les recherches terminées, il devrait encore raser le bâtiment.

Avant que son surveillant n'effleure la plante intégralement rouge sang, le plafond fut traversé par un aveuglant rais de lumière. Nivom se passa une main sur le visage en gémissant. Un ange, maintenant. Manquait plus que ce fléau. Quelle sale soirée.

L'être androgyne, portant la sempiternelle robe blanche que les siens s'échinaient à nommer bure, descendit par le rayon de lumière, les ailes immobiles et à demi déployées. Nivom se demandait pourquoi ils persistaient à ne pas utiliser leurs ailes. Ils préféraient se mettre en lévitation. Abrutis, dégénérés et incompréhensibles jusqu'au bout.

-Bonjour, frères.

Le petit écho dans la voix de l'ange hérissa les écailles des deux dragoniens. Il allait essayer de les convertir. Les anges les prenaient depuis toujours pour des nécessiteux arriérés. De plus, cet écho soulignait la puissance de l'ange. Ils étaient dans la merde jusqu'au cou, et la dernière chose qu'ils verraient serait cet indésirable.

-Animal...

Nivom prit sur lui pour ne pas foudroyer l'enculé du regard. "Animal". Pourquoi ne disait-il pas directement "petite et sombre merde" ? Le dragonien rêva de plumer l'ange. Il se contint encore.

-Commences-tu à réfléchir sur tes actes ? Cette fleur de lys te sers-t-elle ?

Alors, c'était ça... songea le dragonien. Il jeta un bref coup d’œil à son comparse. L'autre mobilisait toutes ses forces pour ne pas céder à la panique. Se sentant seul, il préféra rester diplomate pour le moment. Ses ancêtres avaient conclu depuis longtemps que l'honnêteté permettait de limiter les dégâts, face à un ange. Il joua donc cette carte.

-Oui, répondit-il avec humilité.

-Te sens-tu prêt à embrasser nos enseignements, à ne plus te comporter en bête ? demanda l'ange avec espoir.

Se sentait-il prêt à renier son peuple, ses croyances et ses convictions, et en plus à se faire insulter et prendre de haut jusqu'à la fin de ses jours par des salopards pires que lui ?

-Non.

L'ange parut surpris. Pourtant, il pouvait aller se faire foutre pour que Nivom renie tout ça. L'immortel voulut discuter, engager un dialogue de sourds, mais le dragonien savait déjà comment ses conneries allaient se terminer. En bain de sang. Avant, il devait savoir ce qui avait attiré l'attention de l'indésirable sur lui. Enfin, après une discussion interminable, l'ange lui dit ce qui l'avait interpellé.

-Tu sembles être le seul, parmi les tiens, à ne pas succomber au péché de chair. Tu ne forniques pas pour le plaisir, uniquement pour donner la vie. Spontanément, tu suis une partie de nos enseignements. Nous aimerions te voir les suivre, et aider tes semblables à aller sur le droit chemin, en leur montrant l'exemple.

Nivom se retint pour ne pas ricaner. Toutes ces simagrées parce qu'il était monogame ? L'ange qui lui faisait face était comme les autres. Il ne faisait même pas semblant de s'intéresser à la culture dragonienne. Il l'aurait fait...

Nivom était monogame parce qu'il ne comptait pas tolérer le moindre écart de la part de sa compagne. Et qu'elle l'étriperait au moindre écart. Sans compter que celles qu'il approchait le traitaient comme un confident, mais ça il ne l'avouerait jamais. Pour compléter le tableau, Eyaëlle détestait le thé abortif que les dragoniens connaissaient depuis toujours. Et elle estimait que douze enfants suffisaient. A partir de tout ceci, les anges en concluaient qu'il était monogame et vertueux ? Quand comptaient-ils s'acheter un cerveau ? Enfin, s'il lui suffisait d'aller voir ailleurs pour que les anges lui foutent la paix... Ils l'emmerdaient, ces cons.

Il se demanda comment se débarrasser du bavard. L'ange ne pourrait pas contrer ses flèches immatérielles, sauf en se téléportant. Et lui-même devrait suivre la même tactique pour survivre. Pendant qu'il réfléchissait, l'ange voulut connaître le résultat de ses réflexions issues de l'apparition du lys rouge. Nivom y répondit volontiers en continuant de chercher un plan.

-Ce n'est pas tant tuer, qui m'intéresse le plus, que de voir les autres vivre leur mort.

Il s'imposa de développer, de broder. Comme tous les autres, l'ange niait sa nature prédatrice. Imbécile jusqu'au bout. Les autres peuples ne pouvaient pas leur foutre la paix ? Les dragoniens ne demandaient rien d'autre. Même pas du respect, juste la paix. Son plan arrêté, il le mit à exécution. En un éclair, il créa une flèche immatérielle derrière l'ange, et l'attira vers lui. L'indésirable ne vit rien venir, et se dissout quelques instants plus tard.

Les deux dragoniens soupirèrent de soulagement. Ils sortirent du temple, et comme promis à sa compagne, Nivom le réduisit en poussière. Cette tâche accomplie, il négocia de nouvelles exigences auprès des Clairvoyants. Maintenant qu'il était certain d'aller en Enfer après sa mort, il lui semblait normal de passer un bon moment parmi les vivants.

Au lever du jour, satisfait, il rentra chez lui, et attendit son prochain assassinat avec impatience. Quand il accomplit sa mission, aucun lys rouge ne parut. Ce poursuivant-ci le laissa tranquille jusqu'à la fin de ses jours.

Fin.

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