Sydney

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Sydney

Je me réveillai en pleine crise vers 5 h 30 du matin. Mon souffle refusait de se frayer un chemin dans ma poitrine, de la transpiration poissait mon corps tout entier et mes muscles commençaient à s’engourdir. D’un revers de main, j’essuyai mon visage moite. La vache ! Après des années à souffrir de ces symptômes, j’aurais pu m’y habituer. J’aurais dû m’y habituer. Mais la vie n’était pas aussi facile.

Je me réveillai en pleine crise vers 5 h 30 du matin. Mon souffle refusait de se frayer un chemin dans ma poitrine, de la transpiration poissait mon corps tout entier et mes muscles commençaient à s’engourdir. D’un revers de main, j’essuyai mon visage moite. La vache ! Après des années à souffrir de ces symptômes, j’aurais pu m’y habituer. J’aurais dû m’y habituer. Mais la vie n’était pas aussi facile.

Les yeux fixés sur le plafond, la gorge nouée, je tentai de me souvenir des conseils donnés par un ancien psy.

Me calmer.

Me concentrer sur mon souffle.

Inspirer.

Expirer.

Insulter intérieurement l’homme responsable de mon état.

Recommencer depuis le début.

— Bordel, finis-je par lâcher.

La douleur dans ma poitrine diminuait à mesure que ma respiration reprenait le dessus. Une fois le combat gagné, je bondis hors du lit, frictionnai mes bras et sautai sur place pour réveiller mes jambes. C’était un des moyens que j’avais trouvés pour éviter la « paralysie ». Ça, courir jusqu’à l’asphyxie et jouer, avec mes émotions et celles des autres.

Je n’en étais pas particulièrement fière. Mais c’était ça ou perdre les pédales.

Consciente que je ne parviendrais plus à dormir, je décidai de m’occuper l’esprit en commençant une rédaction que je devais rendre pour le cours d’espagnol. Quatre pages plus tard, mon crâne m’élançait, mais au moins j’avais réussi à me concentrer sur une tâche utile.

Quand le soleil commença à se lever, je laissai tomber les cours pour me concentrer sur une activité beaucoup plus attrayante : Facebook.

Je cherchai le profil de Nojan en utilisant la liste d’amis de Terry la gothique. Cette fille m’avait envoyé une invitation dès le jour de mon arrivée, alors que nous ne nous étions même pas encore rencontrées : il m’avait pris l’idée un peu hâtive de mettre « Université du Kentucky » en établissement fréquenté, et elle avait dû le voir. J’étais à peu près sûre que tous les étudiants de la fac étaient dans ses contacts. Tant mieux pour moi, puisque je ne tardai pas à trouver le compte du jeune homme que je recherchais. Sur sa photo de profil, il se tenait en compagnie d’un mec qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau, les tatouages en moins – probablement Joram –, et d’une fille brune au sourire lumineux.

Ce qui me surprit sur cette image, c’est que le Nojan de l’époque n’avait rien à voir avec l’actuel. Il paraissait beaucoup plus serein, plus joyeux et plus ouvert. Qu’est-ce qui avait changé pour qu’il soit si refermé sur lui-même désormais ?

Curieuse et déterminée, je lui envoyai une invitation, accompagnée d’un message privé.

[Crois-tu que ceux qui posent les panneaux « ne pas toucher, danger de mort » sont morts eux-mêmes ?]

Puisqu’il y avait peu de chances que Nojan me réponde tout de suite, je m’installai à nouveau dans mon lit, soupirai et pris le premier bouquin de cours qui me tomba sous la main.

À ma grande surprise, mon téléphone vibra cependant, me prévenant de l’arrivée d’une réponse à mon message.

[Tu es qui ?]

La question était légitime : mon pseudo Facebook était « Mademoiselle Cat », et ma photo de profil montrait un chaton plein d’innocence plutôt que mon visage.

[Celle avec qui tu as bu de l’essence hier soir et qui ne quittera plus tes pensées jusqu’à ce que tu lui cèdes.]

[Ah, je vois. J’espérais que tu aies fini la bouteille et que ça t’ait achevée.]

[Dommage pour toi. Si on pariait que d’ici un mois, on aura couché ensemble ?]

[Qu’est-ce que tu fais debout à cette heure ?]

Question tout aussi légitime.

[Insomnie.]

[Bienvenue au club.]

[Qu’est-ce qui te tient éveillé, toi ?]

Comme la précédente, cette question resta sans réponse. Heureuse malgré tout d’avoir réussi à engager le dialogue, je partis courir.

Le bar de mon père se situait au bord d’une route fréquentée, mais l’arrière du bâtiment donnait sur des champs séparés par des sentiers : l’idéal pour mes footings. Le sport était essentiel à mon équilibre : j’aimais sentir mes muscles, mes poumons, mon corps entier se soumettre à un effort de plus en plus intense. J’avais besoin de ça pour rappeler à mon esprit que je n’étais plus allongée dans un lit, immobile, prête à m’abandonner aux ténèbres. Alors je courais à en perdre haleine. Je courais pour me sauver, pour me sentir en vie.

Je rentrai à temps pour prendre une douche avant de partir en cours. Une fois à l’université, je profitai de chaque pause entre deux amphis pour chercher Nojan du regard dans les couloirs, sans succès.

En fin d’après-midi, je pris la direction de la résidence universitaire afin d’y retrouver Violette. En réalité, elle s’appelait Victoria ; je l’avais rencontrée alors qu’elle finissait son contrat saisonnier dans le bar de mon paternel. Elle m’avait attendrie dès que j’avais croisé ses grands yeux bleus et découvert sa frimousse toute mignonne. Depuis, la pauvre devait me supporter.

À peine entrée dans sa chambre, je me laissai tomber sur le lit de Lauren.

— Je n’en reviens pas que la bimbo de Nojan soit ta coloc, lançai-je.

— Et moi, je n’en reviens pas qu’elle m’ait jetée dehors hier. D’ailleurs, si tu me parles encore de Nojan, je t’étrangle.

— Tant pis, parce que j’aurais bien voulu que tu me balances ce que tu sais à son sujet.

— Rien, je te l’ai déjà dit.

— Oh, allez, tu l’as déjà servi au bar, non ?

— Je te rappelle que je restais derrière le comptoir. Tu l’as déjà vu se lever pour aller commander ? Non, monsieur préfère attendre que les bières viennent à lui.

— S’il te plaît, minaudai-je en papillonnant des paupières.

Violette repoussa une mèche parme derrière son oreille et soupira :

— Je sais juste qu’il lui est arrivé un truc moche il y a un an.

— Quel genre de truc ?

— Ses parents et son frère ont eu un accident, je crois.

Un accident qui avait fait de Nojan ce qu’il était aujourd’hui, devinai-je en repensant à sa photo de profil. Un mec brisé, sur le point de succomber à la peine et à la colère. Je l’avais lu dans ses yeux, la veille. Il était prêt à tout pour oublier sa tristesse.

Une chance que je sois arrivée dans sa vie.

— Je le veux, décrétai-je.

— Pourquoi ?

— Je le trouve… craquant.

— C’est tout ?

— Oui.

Violette me décocha un regard plein de méfiance. Elle avait raison, ce n’était pas toute la vérité.

— Tu attends quelque chose de lui, comprit-elle.

— Peut-être, admis-je.

— Et c’est quoi ?

Elle s’installa sur le bout du lit, me détaillant avec curiosité.

— Tu ne comprendrais pas si je t’en parlais.

— Je ne suis pas idiote, Sydney.

Loin de là, en effet.

— Tu crois qu’il aime les défis, Violette ?

— Je n’en sais rien, je ne le connais pas. Il me donne juste envie de sauter sous un train.

— Moi, il me donne envie de le sauter tout court.

Mon amie tenta de garder son sérieux, sans succès.

— J’avoue qu’il est pas mal, lâcha-t-elle avec un sourire.

— C’est un euphémisme. Ce mec est une bombe sexuelle. Toute cette énergie qu’il dégage…

Je poussai un soupir rêveur.

— Si tu veux mon avis, ce mec n’aime pas les défis…, me dit Violette. Il est un défi.

— Eh bien voilà !

— Quoi ?

— Ça répond à ta question. C’est exactement pour cette raison qu’il me plaît. Tu devrais songer à devenir psychologue plutôt que biologiste, Violette.

Je me redressai d’un bond, chipai un paquet de gâteaux posé sur la table de chevet et déposai un baiser sur la joue de mon amie.

— Je dois y aller, mon chou. Arrête de me regarder comme ça, on dirait que j’ai commis un crime !

— Quoi que tu aies l’intention de faire avec Nojan, prends garde.

— Bien, grande prêtresse du destin. Je suivrai ton judicieux conseil. Mais tu as vu ses biceps, ses abdos, ses tatouages… Rien que d’y penser, j’ai un orgasme.

Violette éclata de rire, non sans me mettre un coup de hanches pour me sortir de sa chambre.

— Je te le laisse volontiers.

— Trop gentil. Cette semaine, faut qu’on sorte toi et moi. Jeudi. J’aime le jeudi. Je t’emmènerai faire les boutiques.

— On mangera des donuts ?

— Des tas.

— Marché conclu, alors.

Nous nous dirigeâmes vers la sortie du bâtiment. Dans le hall, nous croisâmes Lauren, qui discutait avec d’autres filles. Quand elle nous vit, elle nous lança un regard meurtrier.

— Je déteste cette nana, grimaça Violette.

— Attends de voir sa tête quand Nojan la larguera pour moi.

Dehors, le ciel dégagé promettait une soirée à la météo clémente.

— N’empêche, soupira mon amie après quelques secondes, Nojan Saïdi… Tu aurais pu choisir un mec moins compliqué.

Oui, mais alors, le jeu aurait été moins drôle.

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