Fielleuse missive

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Madame,

Vous attendez, escomptez les plus obséquieux commentaires des pérégrins qui s’aventurent sur votre progéniture textuelle ; vous me voudriez douce, flatteuse, enrobant mes dires de rubans, pianotant sur mon outil numérique quelques dithyrambes exaltées. Pour ma part, il s’agirait de la prévarication de mon âme critique – et celle-ci nage en pleine alacrité lorsqu’elle est honnête. Je ne me ferai pas pateline pour vous plaire, très Chère, je préfère encore qu’on me dise acerbe. Vous voudriez voir jaillir de mon clavier quelques compliments chattemites, me trouvez peut-être un brin ignivome, comme si, par mes mots, j’avais prévariqué une sainte loi : celle de ne pas vous froisser. Mais je ne suis guère flagorneuse ni pusillanime.

Vous semblez penser que mon intention fût de vous morigéner, vous sabouler, voire, de corroder votre récit. Que nenni.

Si je vous importune avec mes myriades de corrections – soit dit en passant : j’ai contenu mes munificences aux enjeux grammaticaux –, permettez-moi de vous dire que je vous trouve fort irascible. Que vous me jugiez particulièrement désagréable, peut-être même horripilante, je puis l’admettre : je ne suis sûrement pas de la meilleure compagnie si vos désirs sont de douces caresses dans le sens de vos lettres. Vous concéderez cependant qu’il est insolite – voire invraisemblable – que dans une communauté « littéraire », l’on s’offusque que le quidam relève les erreurs ! S’il eût fallu que je me morfonde à chaque annotation venant égruger mon texte, je serais depuis belles lurettes sous anti-dépresseurs – ou ventoyant au bout d’une corde dans un sous-bois, les effluves de mon corps en putréfaction n’atteignant nullement mes agresseurs au surlicurseur. Sachez, Madame, que ce n’est pas par pur plaisir de vous supplicier que j’use moi-même de l’arme tant redoutée, mais bien dans l’horizon de vous accompagner dans la progression de vos récits.

Aussi abrogez-vous tout bonnement ma parole pour quelques corrections débonnaires et une dépréciation personnelle. Que vous déplait-il ? Je ne me suis autorisé nulle observation condescendante, n’est en rien évalué la valeur de votre écrit, me suis maintenue dans une posture honnête, mais non moins courtoise, me semble-t-il, en soulignant – par deux fois : j’ai pris le pli pour certains individus – que tout avis n’engage que celui qui le porte. Comprenez bien, Madame, que par l’usage des mots, que vous dites révérer, je n’ai fait que disposer de ma liberté d’expression. D’autant que, disons cela cocasse, vous exprimez vous-même – par la mention C.V, gage, a priori, d’approbation du badigeon – votre adhésion à la critique.

J’ai pu constater que mes textes languides et veules – maintes fois billebarrés par les lecteurs, finissant en débris, leurs carcasses molles, décharnées et fétides –, renaissaient de leurs cendres plus forts et vigoureux. Mes premiers « bons » écrits, je tends à le penser, ont été rudéraux. J’ai en effet moi-même, voyez-vous, subi l’assaut jaculatoire des correcteurs-relecteurs. Leurs constats alarmants, leurs légitimes et judicieuses considérations à l’égard de mes mots, leurs reformulations, tantôt éclairées, tantôt incongrues, parfois leurs erreurs ; leurs commentaires affûtés, leurs moqueries bienveillantes, leurs petites leçons de syntaxe – je ne vous dresse pas la liste exhaustive – m’ont poussée à abonnir ma démarche. Et oui, c’est irritant, je le confesse, c’est un crève-cœur que de voir son texte balafré de toutes parts, son égo surmené, sa confiance malmenée. Aujourd’hui néanmoins, je vous le dis sans détour, je ressens à leur égard une assuétude immarcescible. C’est bien simple : je ne m’en lasse pas. J’ai la syllogomanie de l’annotation, je les chéris, je les garde jalousement, précieusement, je les quémande. Oui je les aime. Sans elles que suis-je ? Une écrivailleuse éclamée, bancale. Ce sont elles qui tiennent les rachis flexueux de mes ainsi-prétentieusement-nommées « œuvres » droits et fiers. Parce qu’après les blessures du « moi », les versions révisées se montrent vulnéraires. Et si, par mésaventure, mon texte reste dans son état virginal alors que les cœurs pleuvent, je claudique : la pommade encensée recèle d’une odeur nidoreuse que j’exècre. La critique, quant à elle, demeure mirifique, très chère.

Et me voilà injustement à vous prendre à partie alors que, si je m’adresse à vous aujourd’hui, c’est avant tout pour exhaler mon ras-le-bol irréfragable des bélîtres du compliment, des addicts du bouton cordiforme ! C’est pour tonitruer mon exaspération ! La prolifération de votre espèce, je le subodore, est inexorable et bien omineuse. Je pourrais vous dire : furoncle ! protubérance ! gibbosité ! Oui, je pourrais, et voudrais vous exclamer ô combien j’abhorre les comportements de prétentiards chatouilleux et imbus de leurs autoproclamés talents… Toutefois, trouvant le scribaysage de plus en plus raboteux, je me demande si ce n’est pas moi qui suis de guingois et au fond, peut-être, une vieille rombière.

Bien à vous,

LN

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