Chapitre 16

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« Si tu le désires, je peux t’aider à maîtriser la nécromancie… » Siffla une voix. La voix ! C’était celle de la séance de spiritisme avec Mévina ! Amélie se redressa aussitôt. Maman, Denise, vous avez entendu ? Pas de réponse. C’était comme si elles étaient absentes ou dumoins endormies.

« Inutile de les appeler, elles ne répondront pas. » Ricana la voix dans un chuintement sinistre.

- Qui es-tu ? Pourquoi est-ce que je ne te vois pas ?

- Te rappelles-tu de moi à présent ? »

Amélie serra les dents. Depuis la séance de spiritisme, elle avait creusé sa mémoire à la recherche de cette voix. En vain. Pourtant, le frisson d’effroi qui parcourait son échine au son de cette voix sèche lui était familier. Elle l’avait entendu auparavant, mais où ? Et quand ?

« Je vais te donner un indice. Tu avais sept ans. »

7 ans ? Cet indice la troublait. À cet âge, elle n’avait pas encore conscience de ses pouvoirs, elle ne connaissait rien de sa véritable histoire, elle n’était qu’une enfant fragile tout juste adoptée par un couple stérile. Ces yeux scrutaient l’obscurité en quête d’une silhouette, quand un éclair sourd illumina brièvement le cimetière, révélant l’absence totale de toute autre présence. Amélie sentait son cœur s’agiter, il y avait longtemps qu’elle n’avait pas ressenti ce sentiment d’impuissance face à l’inconnu. Elle détestait cela. Le tonnerre résonna. Réfléchis, que s’est-il passé cette année-là ? s’ordonna-t-elle silencieusement. Changement de classe, Mme Poury trouvait toutes les excuses possibles pour la réprimander. C’était une garce, mais elle était 100% humaine… Amélie se rassit, démêlant les méandres de mauvais souvenirs de son enfance enfouis dans sa mémoire. Elle entendit la voix ricaner, le son était plus proche de celui qu’aurait fait une personne s’étouffant que d’un rire, mais elle n’eut pas de doute sur la nature moqueuse de ce son.

« Oh tais-toi dont ! Laisse-moi réfléchir ! » S’emporta Amélie à voix haute. L’éventuelle trace de peur qu’elle avait pu ressentir s’était dissipée.

Chantal et Sergei m’ont présenté à leurs amis, leurs familles… Elle se rappela vaguement le chat siamois d’une tante qui l’avait crachée et griffée alors qu’elle avait juste voulu caresser son pelage si soyeux. Ils m’ont aussi emmené visiter un parc animalier, pas de meilleurs résultats qu’avec le chat… Cette énigme commençait sérieusement à l’agacer quand son esprit fit soudainement un lien entre les chats et des petites momies de chats vu dans un musée visité avec l’école. Plus elle y pensait, plus les souvenirs affluaient telles les pièces d’un puzzle.

Il y avait eu une exposition temporaire sur l’Égypte ancienne avec des pièces très rares dans un grand musée non loin de là où elle habitait alors. Elle s’était détachée du groupe sans difficulté pour regarder de plus près et plus attentivement une momie. Le guide audio avait expliqué que les archéologues et scientifiques étaient incapables de déterminer l’identité ou la classe sociale de l’individu. Il avait était embaumé selon des rites différents de ceux réservés aux pharaons et autres personnes importantes, ses organes avaient été séchés et replacés à l’intérieur du corps, son cœur avait été couvert d’or. Pourtant malgré toutes ces attentions, les scanners avaient révélé que l’individu était mort sous la torture. Enfin, le tombeau était anonyme, nul cartouche, un simple message avertissait de ne jamais briser le sceau fermant le modeste sarcophage. Déjà petite, Amélie avait une passion pour les choses morbides, elle se souvint avoir frissonné en voyant le sceau cassé exposé derrière la vitrine, juste à côté du corps anonyme. C’était pendant qu’elle fixait ce sceau qu’elle avait entendu cette voix glaciale. Ignorant la chair de poule et le frisson d’effroi qui avait parcouru son corps, elle avait cru à un dysfonctionnement de son audioguide et était simplement partie rejoindre ses camarades de classe. Amélie essayait de toutes ses forces de se rappeler ce qu’elle avait entendu, mais n’y parvenait pas.

« Intéressante. » Susurra la voix froide à son oreille.

Amélie acquiesça, c’est ce qu’elle avait entendu. Un simple adjectif qu’elle n’avait jamais entendu utilisé à son égard, d’où le fait qu’elle n’ait rien relevé et poursuivi sa visite sans plus de cérémonie, ne cherchant plus néanmoins à rester isolée, juste au cas où...

« A présent que je me souviens de toi, daigneras-tu m’en dire plus sur toi, ce que tu es et ce que tu me veux ?

- Tu poses beaucoup de questions jeune nécromancienne, je vais t’offrir quelques réponses. J’étais un grand prêtre de Seth. J’ai été comme toi, un être capable de magie noire et surtout un puissant nécromancien. Ce que je veux de toi ? » Il eut un gloussement sinistre. « Les millénaires passent et se ressemblent. Tu es une distraction, mon enfant. Rien de plus. Retiens bien que je ne suis ni ton allié, ni ton ennemi. Si je partage mon savoir, c’est avant tout dans le but d’agrémenter la distraction que tu me fournis.

Amélie ne savait pas comment accueillir ces éclaircissements, partagée entre l’indignation et une forme de satisfaction. Le prêtre reprit son discours avant qu’elle n’intervienne, il semblait avoir pleinement accès à ses pensées tout en préservant les siennes. La situation n’était pas nouvelle pour Amélie, elle n’avait pas accès aux souvenirs, ni aux connaissances, ni aux pensées de sa mère et de Denise, elle dépendait de ce qu’elles voulaient bien partager. Néanmoins, à cet instant, elle se sentait frustrée de cet accès à ses pensées de façon unilatérale ; elle avait choisi sa mère et Denise, lui s’était imposé. Enfin, qu’entendait-il par « distraction » ?

« Tu as le droit d’être indignée de mon manque de convenance, mais ne te méprends pas sur mon intérêt pour toi. Tu es un divertissement, ni plus, ni moins. J’ai déjà susurré conseils et poisons à d’autres oreilles que les tiennes, engendrant gloire ou trépas, parfois par millions… » Il gloussa de nouveau dans un grincement désagréable.

Amélie soupira de dépit. Ce nécromancien parlait peu, mais ces propos étaient lourds de sens et de révélations. Elle s’apprêtait à demander s’il comptait lui offrir des conseils ou du poison, mais se ravisa.

« Ni mon allié, ni mon ennemi. Je présume donc que tout ce que tu me diras n’aura valeur de conseil ou de poison qu’en fonction de ce que j’en ferais ? Et toujours sur cette idée de neutralité, je suppose que tu te garderas de me prévenir de tous faux pas que je pourrais commettre ?

- Tu as l’esprit plus vif que la plupart de tes prédécesseurs. Les hommes n’entendent souvent que ce qu’ils ont envie d’entendre.

Amélie se détendit complètement et s’adossa contre son arbre.

- Très bien. Tu veux être distrait ? Qu’à cela ne tienne ! Je tâcherais de te divertir par ma vie ou par ma mort !

- J’aime cet esprit !

- Ouais, je sais, je suis la meilleure… » A présent qu’elle savait à quoi s’en tenir sur cette mystérieuse voix, Amélie retrouvait son flegme et son franc-parler. « Bon, avant que tu me donnes ces précieux conseils empoisonnés pour améliorer mes dons de nécromancienne, j’aimerais savoir comment ton esprit a survécu aux millénaires ? Est-ce que cela a un lien avec le fait que ne je te vois pas ? Et qu’as-tu fait à mes esprits, pourquoi ne réagissent-elles pas ?

- Tu poses beaucoup de questions… Mais je suis d’humeur à parler, alors soit, je vais te confier ce secret… Lorsque d’autres prêtres ont fini par réaliser la puissance qui était mienne, jaloux, inquiets, ils m’ont condamné à mort et maudit : je ne pouvais ni rejoindre l’au-delà, ni errer dans les limbes, j’étais condamné à rester prisonnier de ma dépouille, un peu comme pour ton démon. Mais lorsque le sceau a été brisé par une de mes fidèles, j’ai découvert que je pouvais m’accrocher aux vivants, tel un parasite, grâce aux ombres. Tu ne peux me voir, mais je suis là, bien plus proche de toi que tu ne l’aurais jamais deviné. »

Amélie écoutait avec attention, tentant d’ignorer les frissons que lui donnait la sécheresse de cette voix. Elle ne se formalisa pas de découvrir qu’il était en permanence à ses côtés, depuis qu’elle avait fusionné son esprit avec celui de sa mère, puis celui de Denise, elle avait fait une croix sur la pudeur et la notion d’intimité. Elle était néanmoins fascinée de découvrir qu’il était possible pour un esprit de parcourir les millénaires sans s’altérer. Elle comprenait également beaucoup mieux le besoin de « distraction ».

« Es-tu capable de passer d’une personne à l’autre par les ombres ?

- Non, je suis lié … jusqu’à ce que la mort nous sépare ! » Gloussa le prêtre dans un grincement désagréable. « À ta mort, mon esprit se détachera de toi pour réintégrer ma dépouille, où qu’elle soit.

- Je vois. Je suppose que les opportunités de parasiter des humains intéressants ne doivent pas être si fréquentes que ça.

- Non. Elles ne le sont pas.

- Et qu’en est-il de mes esprits ?

- Je suis peu loquace, je n’apprécie pas de partager mon savoir avec n’importe qui. J’ai simplement couvert tes esprits d’un voile d’ombre. » Amélie ne comprenait pas vraiment comment cela était possible, mais ne s’en formalisa pas, consciente que de nombreuses notions de magie et de nécromancie lui manquaient. Mais à présent qu’elle savait la chose possible, elle souhaitait elle aussi être capable de voiler ses esprits, ne serait-ce que pour retrouver un sommeil normal. Depuis qu’elle partageait son esprit, son cerveau ne bénéficiait plus de réel repos et elle était constamment fatiguée. Le prêtre suivait toujours le cours de ses pensées. « Ce que tu as fait avec ta mère et cette magicienne est une prouesse, je ne savais pas que cela était possible. Il m’a fallu m’adapter à cela. C’est pourquoi aussi je suis resté si silencieux. Il n’est pas impossible que tu parviennes à maîtriser cela toi aussi, une fois ton don apprivoisé…

- Si seulement… En parlant de m’améliorer, venons-en aux faits ! Abreuve-moi de tes poisons ! »

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