Chapitre 17

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Le prêtre sembla apprécier cette audace, car il éclata de rire, un rire sombre qui fit sursauter Amélie tant le frisson qui la parcourut fut désagréable. Amélie devina que ces distractions antérieures s’adressaient à lui avec déférence, voire vénération pour bénéficier de ses meilleurs conseils. Pour sa part, tout ce qu’elle pouvait apprendre était du bonus, et s’il se taisait, elle ferait sans. Se rappelant les conseils avisés lors de la séance de spiritisme, elle songea néanmoins brièvement que négliger un quelconque enseignement serait très dommage. Elle décida d’attendre sagement les instructions de son parasite.

« T’es-tu déjà demandé pourquoi le folklore de la sorcellerie comprend des baguettes magiques, cela jusque dans votre bible ?

Amélie pouffa.

- Te fiche pas de moi !

- Je suis toujours sérieux. Les simples mortels ne peuvent exploiter les forces de la nature qui résident dans les éléments, les sorciers oui. Tu as un potentiel impressionnant, mais lorsque tu utilises la magie, tu en disperses la grande majorité. Un peu comme si tu utilisais une torche enflammée pour éclairer un insecte, alors qu’il te faudrait user d’un laser. »

La richesse du vocabulaire du prêtre fascinait Amélie, elle se rappela alors la vitesse à laquelle Denise s’était elle aussi approprié la langue française du 21ème siècle une fois unie à elle. Elle restait néanmoins dubitative quant à ces informations sur les baguettes.

« Donc si je ramasse un morceau de bois et que je dis abracadabra, ma magie sera plus efficace ?

- Cesse ces sarcasmes ! » Siffla le prêtre, vraisemblablement irrité par le manque de sérieux d’Amélie. « Les baguettes canalisent ton flux d’énergie et t’aident à le diriger. Tu as réussi à briser un puissant sceau magique, ramener de la mort des animaux et un homme… Imagine ce dont tu pourrais être capable si tu canalisais mieux ton énergie !

La suggestion rendit Amélie rêveuse et envieuse.

- Je suis curieuse d’essayer. Mais je suppose qu’il faut un type de bois particulier ?

- Tu te trouves assise sur la racine d’un parfait spécimen pour toi. L’if est un bois réputé immortel, les sorciers de nombreuses cultures l’appréciaient pour sa souplesse et son lien spirituel avec le monde des morts… »

Amélie se redressa et se servit de son portable pour éclairer l’arbre. Elle restait sceptique, mais cela ne lui coûtait rien d’essayer après tout ! Elle repéra rapidement une branche fine et longue à sa portée.

« Mauvais choix. » Susurra le prêtre, stoppant Amélie dans ses gestes. « À l’image de cet arbre, tu es un être vivant, mais ce n’est pas sur ce plan que s’exerce ton pouvoir. »

Amélie comprit tout de suite l’allusion faite et porta son attention sur le côté gauche de l’if. Elle se saisit d’une branche morte, celle-ci ne se cassa pas aussi facilement qu’elle le pensait. Amélie se retrouva avec une brindille d’une quinzaine de centimètres à la forme incertaine. Toujours aussi perplexe, elle fit tourner la brindille entre ses doigts telle une majorette, s’attendant presque à voir des étincelles en jaillir, mais rien ne se produisit.

« Et maintenant ? » Demanda Amélie.

Seuls le vent soufflant les feuilles mortes et le tonnerre se rapprochant lui répondirent.

« Presque 4000 ans et tu n’as toujours pas appris à dire « bonjour », ni « au revoir » ? C’est consternant ! Je ne sais même pas ton nom ! » Maugréa Amélie, agacée par ce soudain silence.

« À qui parles-tu ? demanda doucement sa mère

- Personne. » Répondit-elle machinalement à voix haute.

Toujours à la lueur de son téléphone portable, Amélie étudiait la brindille morte d’if. Le meilleur moyen d’être fixé, c’était encore d’essayer ! Se résolut-elle d’un mouvement d’épaule. Elle s’éloigna de son if et rejoignit le caveau le plus vieux du cimetière. Elle aimait les défis.

Le caveau était en pierre blanche, le nom de famille n’avait pas résisté au temps, seules quelques lettres subsistaient vaillamment ainsi que les mots « concession à perpétuité ». Le caveau avait dû être très beau à l’époque, surmonté d’une statue représentant l’ange Michel terrassant un dragon. Aujourd’hui, il ne restait pas grand-chose non plus de cette création. Amélie ferma ses yeux, se concentrant sur la plus vieille dépouille gisant à ses pieds. Il s’agissait des restes d’un homme : des os fragiles et quelques tissus décomposés et desséchés. Elle voyait mal comment ce tas d’os pourrait prendre vie, à cette distance du corps, sans utiliser la magie du sang, ni ses pierres à feu… Mais cela valait le coup d’essayer.

Elle s'obstina à commencer avec son ancienne méthode : elle tendit une main face à elle, ordonnant à la carcasse de creuser jusqu’à elle. Elle ressentit les os trembler, s’agiter de manière anarchique, mais rien de plus. Amélie reconnut rapidement son échec, elle était faible ces derniers temps et jouer au médium n’avait pas aidé à améliorer cela. Sa main gauche tenait fermement la baguette d’if. Amélie ressentait la curiosité et l’incompréhension de sa mère et Denise, ses dernières n’avaient pas le moindre souvenir de la conversation et ne semblaient pas pouvoir y accéder. Elle se sentait un peu ridicule, mais s’efforça de passer outre.

De sa baguette, elle pointa la zone où se trouvait sa cible et réitéra son ordre. À sa surprise, elle ressentit aussitôt un changement : au lieu de sentir son énergie émaner de son avant-bras, de sa main, elle la sentit glisser le long de son bras tel un serpent froid pour glisser entre ses doigts et s’infiltrer dans la baguette d’if. La réaction ne se fit pas attendre. Elle jubila lorsqu’elle sentit les os du cadavre se souder et déchirer avec rage les tissus pourris du cercueil, frapper énergétiquement les parois en bois jusqu’à ce qu’elles cèdent et creuser, creuser frénétiquement la terre, la pierre, se brisant contre les roches, jusqu’à ce qu’elle perçoive le sol remuer à ses pieds. Elle se recula légèrement, un sourire béat sur le visage, laissant sortir son premier guerrier osseux. Elle admira sa créature avec curiosité à la lueur de son cellulaire, quand un puissant éclair lui permit de brièvement contempler son exploit. La chose mesurait 1m70, le peu de chair et de tissu qui avait survécu au temps dans le caveau avait été arraché des os lors de l’ascension.

Amélie s’approcha du squelette, tremblante d’excitation. Elle saisit un bras pour voir de plus près les jointures, curieuse de comprendre comment un tel prodige pouvait être possible, qui plus est sans utiliser ses pierres à feu pour simuler l’étincelle de vie comme elle l’avait toujours fait jusque-là. Sa créature se laissa ausculter, tel un enfant obéissant. Au début, elle ne remarqua rien. Ce n’est qu’en forçant sur le poignet pour tenter de le séparer du reste du bras qu’elle perçut un filament noir, plus fin qu’un cheveu. Amélie relâcha le poignet qui se rattacha aussitôt au bras. Elle étudia son nouveau pantin sous tous les angles, du vide des orbites au bout des doigts, songeant qu’il lui faudrait renforcer l’ossature de ses futures créatures pour éviter qu’elles ne s’abiment autant. Au comble de la joie, elle enserra même brièvement la dépouille dans ses bras, avant de se ressaisir.

Alors que les premières gouttes de pluie se faisaient sentir, Amélie réalisa qu’elle ne savait pas quoi faire de son jouet ! Elle ne pouvait malheureusement pas le ramener avec elle, quant à le cacher discrètement, cela semblait délicat. Elle ordonna finalement à son nouvel esclave de regagner la forêt en visualisant la clairière de Mutu, elle lui ordonna de passer par le champ qui longeait le fond du cimetière et qui donnait ensuite sur la forêt. À peine eut-elle intimé ses instructions que le squelette se tourna et prit la direction des champs. D’un coup de baguette distrait, elle reboucha le trou à ses pieds et ferma les yeux, savourant l’instant. Elle s’apprêtait à prendre elle-même la direction de la sortie pour rentrer chez elle, quand elle entendit un feulement derrière elle. Elle sursauta avant d’éclater de rire en songeant au chat effrayé.

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