* Chapitre 5 *

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La journée avait été longue et éprouvante. Son corps n’était que douleurs, son esprit était en proie à la folie, son cœur était en deuil… Elle avait passé les dernières heures ainsi, allongée dans cette maigre couche de paille qui empestait la pisse et la merde, la tête tournée vers la fine ouverture donnant sur l’extérieur, en quête d’air frais.

Quelle heure peut-il être ? pensa-t-elle vaguement. Peu importe. Que cela se termine vite.

Il faisait encore jour, elle le sentait. De même, elle sentait que cela n’irait jamais assez vite. L’Église l’avait condamnée à rejoindre les flammes de l’Enfer par le bûcher. Elle songea que l’Enfer ne serait rien face à cette journée.

Le visage de son mari revint malgré elle à son esprit, elle ne pouvait même pas le pleurer : par crainte de ces pouvoirs, l’Église lui avait brûlé les yeux et coupé la langue. Leur crainte de sa sorcellerie n’avait toutefois pas suffi aux hommes pour ne pas la ravager avec perversion, chacun à leur tour, encore et encore... Elle sentit quelque chose chatouiller sa cuisse, un insecte ? Du sang ? Aucune idée… Elle ne bougea pas, tout cela n’était rien face à la peur qu’elle ressentait. Cette peur n’était pas pour elle, son destin était déjà scellé. Ce n’était pas non plus pour son mari, ce dernier avait rendu son dernier souffle en la défendant.

Cette terreur sans nom qui lui dévorait les entrailles, seule une mère pouvait la connaître.

Alors que son époux tentait de repousser les fanatiques, elle avait caché leur fils dans un renfoncement dans le sol de leur chambre, sous le lit. Ce renfoncement qui servait d’ordinaire à cacher leur maigre fortune était devenu le gardien de leur plus grande richesse. Elle lui avait dit d’attendre la nuit pour sortir, puis de courir vers la forêt, de courir jusqu’à la ville. Dans un village, tout le monde se connait ; en ville il n’y a que des anonymes. Elle l’avait embrassé en pleurant, le suppliant de les oublier, d’oublier son nom et d’en adopter un autre lorsqu’il croiserait de nouvelles personnes.

Quelle chance un enfant de 8 ans avait-il de survivre seul ? Avait-il suivi ses instructions ? Mais plus que tout, elle priait pour que les fanatiques n’aient pas mis le feu à leur demeure depuis leur départ…

Des bruits de pas la sortirent quelque peu de sa torpeur. Ils étaient nombreux et bruyants, était-ce l’Heure ? Elle comprit rapidement que non, son tourment n’était pas fini, lorsqu’elle sentit des mains abruptes lui saisir les bras et d’autres saisir ses hanches. Elle tenta de mordre l’une des personnes qui la tenaient, elle reçut un violent coup dans la mâchoire en guise de réponse. Le goût métallique du sang inonda à nouveau sa gorge. Son estomac ne supporta pas ce substitut de pitance et se révulsa. Elle régurgita ce qui lui sembla être un torrent de sang, la chose devait être impressionnante, car elle rendit hilares ses bourreaux qui continuèrent de la besogner chacun leur tour avec férocité.

Elle ne compta pas le nombre de fois où elle fut ravagée, pas plus qu’elle ne compta les coups qu’on lui asséna lorsqu’elle commençait à s’évanouir. Lorsqu’enfin, elle sentit qu’on la jetait sur son tas de paille, elle se laissa perdre connaissance, relâchant ce corps fait de douleurs.

Le répit ne dura pas.

Elle reprit finalement ses esprits alors qu’elle était debout, attachée à un pilier en bois. Ce qui l’avait réveillée n’était ni plus ni moins que ses poumons déchirés par la fumée. Une fine brise vint caresser son visage douloureux, lui apportant une dernière fois la douce odeur des foins et la fraicheur de la nuit. Elle remercia la déesse des vents tandis que la chaleur du brasier progressait son ascension. La foule hurlait autour d’elle, pestait et crachait son nom en le maudissant.

« Ah ! Elle se réveille ! Parfait ! » Grogna une voix qu’elle reconnut comme étant celle de l’officier. « Enlevez le bâillon et enflammez le second bûcher ! »

Alors qu’elle s’apprêtait à accueillir la mort avec force et humilité, elle paniqua. Le second ? Mais qui ? Elle n’eut guère le temps de s’interroger davantage, des pleurs résonnèrent rapidement non loin d’elle et lui brisèrent le cœur.

Une petite voix cristalline, à peine audible, lui parvint, entrecoupée de sanglots.

« Maman ! Pardon maman ! Je suis sorti trop tôt, ils m’ont vu ! »

L’univers chavira. Elle voulut le rassurer, les supplier de l’épargner, mais avec sa langue tranchée, tout ce qui sortit de sa bouche fut un gémissement incompréhensif. Elle hurla de désespoir.

« Maman... j’ai peur… »

Elle aurait vendu son âme contre la seule possibilité de rassurer son enfant, le prendre une dernière fois dans ses bras, embrasser tendrement son front, se perdre dans le gris de ses yeux… L’étendue de ses derniers désirs, de ses regrets mourut dans les flammes qui commençaient à lécher sa chair, embrasant sa peau avec ardeur. Son fils hurlait à côté d’elle, elle qui n’était que douleur. Rapidement, les flammes atteignirent son ventre, elle ne parvint plus alors à retenir ses propres hurlements…

Amélie se réveilla en sursaut, couverte de sueur, le cœur battant la chamade, la sensation des flammes dévorant sa chair encore très présente. Dehors, il faisait nuit.

« De l’eau… » Supplia Denise. Amélie se redressa dans le lit, cherchant son souffle. Elle se pencha et prit la bouteille d’eau qu’elle laissait à côté du lit, une habitude nouvelle depuis que Denise faisait partie de sa vie. Elle l’ouvrit et laissa Denise la vider à moitié de son contenu. L'esprit de son amie apaisée, elle reprit le premier plan, se leva et ouvrit la fenêtre de sa chambre, laissant l’air frais de l’automne chasser ce qui restait de ses « rêves ». Sa peau, encore couverte de sueur, frissonna. La fenêtre de sa chambre donnait directement sur le cimetière du village, si de tels lieux l’avaient angoissée enfant, ils l’avaient terrorisée lorsque ses pouvoirs et ses visions de l’autre monde avaient commencé à se manifester. À présent, cela lui était complètement égal. Le cimetière qui s’étendait face à elle, de l’autre côté de la rue, était ennuyeusement vide. Tandis qu’elle essayait d’imaginer une vie normale, elle entendit l’esprit de sa mère lui murmurer doucement : « Ferme la fenêtre, tu vas attraper froid. » Elle hocha la tête et ferma la fenêtre. Elle se rallongea et ferma les yeux, légèrement anxieuse à l’idée d’affronter d’autres souvenirs de ses esprits.

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