Chapitre treize : J'ai un ami./Amicum habeo.

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-Nathan, tu as fini ?

Je n’étais décidément jamais seul bien longtemps ! Je hochai la tête en fermant le meuble dans lequel j’avais posé le plumeau que je venais d’utiliser.

-Bien. Va au Jardin, Gabriel t’attend, il a besoin d’aide, me dit le majordome.

Le « Jardin » ? J’allais pouvoir m’occuper des fleurs ?! Je me dépêchai de m’y rendre et pour une fois, je ressentis comme une étincelle de joie dans ma poitrine. Depuis quand cela ne m’était-il pas arrivé ? Si longtemps… Je ne m’en souvenais même plus.

Je trouvai le trentenaire devant une série d’arbustes à tailler, torse nu, jean usé et portant une paire de gants bien épais. Ses cheveux châtains brillaient au soleil avec de jolis reflets. Il était très joli garçon, ne pus-je m’empêcher de remarquer. En m’entendant arriver, il s’arrêta et se tourna vers moi, un sourire aux lèvres. Son regard était vraiment doux. Cet homme respirait la gentillesse. Mais était-ce une fausse apparence ?

-Ha, Nathan ! Viens ! J’ai su par monsieur Wolf que tu aimais beaucoup les fleurs et j’ai justement besoin d’un coup de main ! Ça te dit de m’aider ?

Je lui rendis timidement son sourire et me contentai de hocher la tête.

-Ok. Tu as déjà taillé des arbustes ?

Je fis signe que non de la tête.

-Je vais te montrer. Après, lorsque tu auras fini, nous nous occuperons des fleurs. Nous devons en préparer pour les Vestalia.

-« Les Vestalia » ?

-Eh oui ! Nous sommes en juin, la période va déjà commencer. Et monsieur Wolf s’occupe d’une bonne partie de l’organisation des fêtes.

Les Vestalia étaient les fêtes données en l’honneur de la déesse du foyer et de la protection, Vesta. Durant l’antiquité, on promenait des ânes aux couronnes de fleurs et de petits pains afin de rappeler qu’un âne avait sauvé Vesta en la réveillant alors que le dieu de la fertilité et des jardins, Priape, allait abuser d’elle. Des offrandes étaient offertes en l’honneur de la déesse. Aujourd’hui, les fêtes consistaient à remplir les rues de personnes, de musiques, de stands de nourriture dont les mets étaient à base de pain et de brioche. Les femmes devaient porter une fleur dans leurs cheveux et les hommes sur un de leurs vêtements. Généralement, ils mettaient une petite fleur à l’intérieur de l’emplacement d’un bouton de chemise. On s’inspirait du passé et on le modelait à sa guise, tel pouvait être le message du Gouverneur à travers notre quotidien.

Je n’avais pas pensé que nous étions arrivés à cette période de fêtes car la dernière fois que j’y avais assisté, j’étais encore un être humain libre. Ça faisait si longtemps… Je me rappelais que j’y allais avec ma famille et que l’on mangeait, que l’on se promenait en écoutant la musique qui rythmait les rues. C’était également l’occasion de voir des amis, des collègues et d’autres membres de la famille. C’était festif, joyeux. La tête pleine de souvenirs, je me mis au travail. Un travail qui me semblait agréable pour une fois.

**

Quelques jours passèrent ainsi. J’aidais au ménage et à la cuisine durant la matinée, puis le reste de la journée était consacré aux fleurs, aux plantes, à toutes sortes d’arbustes auprès de Gabriel qui prenait le temps de m’expliquer les tâches auxquelles j’étais assigné. Il me parlait des fleurs qu’il préférait et même parfois à quoi elles lui faisaient penser. Un souvenir qui resurgissait et qu’il me racontait, souvent en lien avec sa famille. J’avais appris qu’il avait un frère plus jeune, d’à peu près mon âge, qui lui manquait énormément. Il ne l’avait pas vu depuis presque deux années mais il ne m’avait pas expliqué pour quelle raison. Ils s’étaient sans doute disputés !

Gabriel m’avait également raconté que son amour des fleurs, de la nature et de tout ce qu’elle avait à offrir datait de son enfance et lui venait de sa mère qui possédait une grande cour fleurie par ses soins. Pour cette dernière, il s’agissait d’un passe-temps plus que d’une passion mais pour lui, c’était différent et il avait choisi d’en faire son métier.

Grâce à la gentillesse du jardinier et nos conversations - ou plutôt SA conversation car je devais bien admettre que je ne parlais pas tellement, je n’en avais tout simplement pas l’habitude -, je me sentais presque à l’aise en sa présence et en y pensant, je réalisais que ça faisait très longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Être à l’aise avec une personne mais surtout quelqu’un du même sexe que le mien. En tant qu’esclave, je me trouvais toujours sur mes gardes à me protéger car tous ceux que je croisais représentaient un potentiel danger. Mais je devais admettre que j’appréciais la compagnie de Gabriel, assez pour oser lui poser une question. Pendant que je creusais la terre avant d’y mélanger du terreau à celle retirée pour la plantation de nouvelles fleurs, je me lançai :

-Gabriel, j’aimerais savoir… Lorsque l’on s’est parlés pour la première fois dans la cuisine, tu m’as dit que tu étais déjà au courant de ma punition chez le Gouverneur. Les autres employés ne l’étaient pas, alors pourquoi toi oui ?

Il m'avait autorisé à le tutoyer, ce que j'appréciais énormément. Le vouvoiement induisait une distance entre les personnes, ce qui était voulu dans mon cas de par mon statut. Gabriel s'en moquait et me parlait comme si j'étais son égal dans la société et seulement un apprenti, pas un servum*.

Il arrêta son activité consistant à trier les fleurs qui allaient être mises dans la camionnette afin d'être emmenées aux festivités débutant bientôt et me regarda.

-Tout simplement parce que monsieur Wolf me l'avait dit.

-Mais pourquoi ? Il n'avait pas prévenu les autres !

Il baissa la tête, s'essuyant les mains avec un chiffon attrapé dans sa poche, apparemment gêné, avant de me regarder à nouveau.

-Monsieur Wolf est mon employeur et comme tu le sais, le fils du Gouverneur. Et nous sommes également en... relation de travail pour un projet dont je ne peux pas te parler aujourd'hui. Après ta punition publique, il m'a appelé sur notre affaire en cour et m'a en même temps raconté ce qui venait de se passer.

D'accord... Je voyais bien qu'il ne voulait pas que je pose trop de questions. Il s'agissait apparemment d'un sujet sensible. Alors je hochai la tête, décidant de m'en contenter. Il me sourit et nous nous remîmes au travail pour quelques heures.

Nous étions à présent en fin d'après-midi, je m'occupais de charger la camionnette d'un blanc éclatant pendant que Gabriel apportait des plantes.

-Ça y est, c'est la dernière ! s'exclama ce dernier en s'avançant vers moi.

En l'entendant, je reculai après avoir terminé de placer un petit arbuste contenant des rubans de toutes les couleurs que nous avions placés, afin d'aller prendre la dernière plante. Je ne fis pas attention et ne vis pas que je me trouvais au bord du véhicule...

-Ha ! m'écriai-je en tombant en arrière.

À mon grand étonnement, je n'atterris pas brutalement sur un sol dur mais contre quelque chose de plus... confortable.

-Je t'ai attrapé juste à temps !

J'ouvris les yeux pour découvrir que je me trouvais dans les bras de Gabriel et plus précisément contre son torse heureusement habillé d'un T-shirt. Il me souriait.

-Heu... Je... Merci, dis-je tout gêné.

-Pas de quoi ! me répondit-il en me reposant sur mes jambes.

-Vous avez fini ? fit tout d'un coup une voix grave et autoritaire qui me fit sursauter.

Je me retournai pour voir que Wolf se dirigeait vers nous, l'air sévère et... mécontent. Avais-je encore fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? Nous étions pourtant dans les temps.

-Oui, nous venons de terminer ! répondit Gabriel en mettant la plante dans le véhicule qu'il referma.

-Bien. Nathan, tu as bien travaillé, tu peux aller prendre une douche pendant que je vois les détails de la livraison avec Gabriel.

Je hochai la tête, fis un petit signe de la main au gentil jardinier et partis vers la demeure de Wolf jusqu'à la salle de bain. Je pris bien le temps de savourer ma douche. J'avais de la terre plein les ongles et même dans les cheveux ! Me laver lorsque j'en avais besoin, voilà une chose que j'appréciais énormément. Tout comme manger à ma faim, pouvoir marcher, me promener dans les limites de la demeure et du terrain, certes, mais je n'étais plus enfermé dans une petite pièce insalubre. Des plaisirs simples que beaucoup ne savouraient pas car vivant dans l'abondance depuis toujours et ne se rendant pas compte de la chance qu'ils avaient.

Je pris le temps de me sécher les cheveux après m'être vêtu d'un ample T-shirt blanc et d'un jean bleu ciel. Une fois prêt, je partis dans ma chambre, pour me figer sur le seuil... Wolf se trouvait là, son épaule contre le mur, dans une posture nonchalante à m'attendre, visiblement. Son regard me parcourut avant de se plonger dans le mien. Que me voulait-il ? Il ne m'appliquait plus de pommade depuis quelques jours car je n'en avais plus besoin. Elle avait bien fait effet, mon dos ne me faisait plus mal et les plaies cicatrisaient bien. Même prendre une douche n'était plus du tout une torture.

-Les vêtements que je t'ai choisis te vont vraiment bien, dit-il, pensif.

Alors c'était lui qui les avait choisis et pas un de ses employés ? Ça m'étonnait vraiment !

Son regard s'attarda sur le torqui* que je portais. Ce collier était fait pour que je ne puisse pas le retirer. La matière était résistante et je devais dormir et me laver avec. Seul le dominus* pouvait l'ouvrir. Tout était toujours fait pour me rappeler mon statut de servi*.

Sans mot dire, Wolf se redressa et s'avança vers moi qui me pétrifiais. Non, je devais me reprendre ! S'il me touchait, il le regretterait ! Je serrai mes poings, prêt pour la bagarre, si c'était ce qu'il cherchait. Il s'arrêta à quelques centimètres de moi, se contentant de me regarder.

-Tu l'as laissé te toucher.

Hein ?! De quoi parlait-il ? En voyant mon air surpris, il reprit :

-Gabriel. Tu l'as laissé te toucher.

Ce n'est pas comme si j'avais eu le choix ! Et il n'avait fait que m'aider !

-Je... J'ai glissé et il m'a rattrapé.

-Tu n'avais pas l'air dégoûté.

Il se rapprocha d'un pas. Son corps frôlait presque le mien. Mon cœur s'accéléra. Instinctivement, je me reculai vers la salle de bain mais je me pris le mur. Merde ! Il en profita pour poser ses mains de chaque côté de ma tête. Il se pencha, son eau de toilette envahissant mes narines.

-Qu'est-ce que vous voulez ? demandai-je en le foudroyant du regard, prêt à lui en foutre une.

-Est-ce que je te dégoûte ?

-Oui ! répondis-je sans hésitation.

Un léger sourire narquois se dessina sur ses lèvres et mes joues se colorèrent en repensant à ce qu'il y avait déjà eu d'intime entre nous. Il ne me croyait donc pas ? Il y pensait aussi ?

Contre toute attente, il se redressa et s'éloigna de moi.

-Dans deux jours, les Vestalia débuteront. Il est de mon devoir d'y participer, et tu viendras avec moi.

Eh merde... Je n'avais aucune envie de l'accompagner. La dernière « sortie » s'était assez mal passée comme ça ! Et je me doutais que j'allais être particulièrement surveillé, après ce que j'avais tenté. Pour quelle raison exiger ma présence à ces festivités ?

-Pourquoi ?

-Je vois que ça te fait plaisir... dit-il de manière moqueuse. Tu n'as pas de question à poser. Tu viendras, c'est tout.

Et il partit. Je soupirai d'agacement. Apparemment, je l'avais vexé. Tant mieux !

(Un autre chapitre arrivera prochainement...)

*Accusatif singulier de « servus » : « esclave ».

*Datif singulier de « torques » : « collier ».

*Nominatif singulier : « maître ».

*Génitif singulier de « servus » : « esclave ».

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