Chapitre 5

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S’il avait hérité des traits fins de sa mère, Hayato possédait la chevelure hirsute et la peau pâle de son père. Sauf que celui-ci ne prenait pas de coups de soleil. Kita Katsurou était grand et athlétique, tout en restant mince. Ce n’était pas l’homme le plus expressif qui soit : son visage carré accentuait son absence de sourire. Mais il était capable de lancer un regard doux à sa femme.

Chizuru était aux anges. Cela faisait deux mois que son mari était loin de la maison. Elle avait pourtant l’habitude de ce rythme, mais c’était un véritable bonheur à chaque fois qu’il rentrait. D’autant plus pour les vacances d’été où sa famille serait réunie.

Depuis l’extérieur, les Kita formaient une famille modèle. Un couple amoureux, que l’âge et la distance ne séparaient pas, qui avait donné naissance à un fils obéissant qui ne faisait pas de vague. Tous n’avaient pas cette chance parmi les voisins. Pourtant, tout ceci n’était qu’une façade. Du moins, du point de vue d’Hayato. Pour lui, la réalité était nettement moins rose.

  • Hayato, qu’est-ce que tu attends ? Viens saluer ton père ! s’enthousiasma sa mère.

Après avoir embrassé et enlacé son mari, Chizuru avait remarqué la présence silencieuse de son fils qui attendait dans les escaliers. Il était nettement moins emballé à l’idée de revoir son pater, mais il s’exécuta sans rouspéter. Il eut un moment d’hésitation en arrivant devant lui, qui fut balayé par Katsurou qui fit le premier pas. Il l’enlaça cordialement en n’oubliant pas de lui donner une tape dans le dos, un peu trop forte pour son maigrelet fiston.

  • Bon retour … père, lança Hayato d’une voix faiblarde, le souffle coupé par la poigne de son père.
  • Bonjour, fiston, lui répondit-il en tentant maladroitement d’exprimer une sorte de joie.

Ils restèrent ainsi pendant quelques minutes qui semblèrent interminables pour le lycéen. La situation le gênait et il se demandait bien ce que son père attendait pour le libérer. Ce fut finalement sa mère qui donna le signal en s’éclaircissant la gorge.

  • Oh, pardon, s’excusa-t-il, ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu. Tu m’as… manqué.

Ah quelle belle excuse, ironisa le jeune homme dans sa tête. Il aurait pu lui faire croire ses paroles si elles n’étaient pas prononcées avec un ton aussi monotone.

  • Oui, à moi aussi, répondit-il avec la même énergie.

Cela pourrait être un « tel père, tel fils », mais Chizuru n’était pas dupe. Elle savait pertinemment qu’entre Hayato et Kasturou, le temps n’était pas au beau fixe. Pourtant, elle devait rester forte face à cette situation pour garder sa famille unie. Elle sourit et tapa des mains avant d’annoncer :

  • Bon et bien, allons manger ! Le repas va refroidir sinon !

***

Hana avait la sensation d’assister à une scène qu’elle ne devrait pas voir. Hayato lui avait pourtant dit qu’elle pouvait rester dans sa chambre pour ne pas se retrouver face à une situation gênante ; elle avait refusé, ne voulant pas se retrouver seule. Sa curiosité avait aussi pris le pas devant sa raison. Elle souhaitait découvrir l’étrange relation que son ami entretenait avec son père. Quand elle vit la scène dans l’entrée, elle comprit qu’elle aurait mieux fait de le laisser tranquille. Mais désormais, elle n’osait plus laisser Hayato traverser cette épreuve seul. Elle n’était qu’un fantôme que lui seul pouvait voir, mais elle allait faire profiter le lycéen de sa particularité. S’il cherchait un regard compatissant, elle serait la présence sur qui il pouvait compter.

Hayato était installé face à son père. Un silence pesant régnait dans la pièce. Les Kita mangeaient le curry préparé avec amour par Chizuru, mais l’ambiance les empêchait d’apprécier la ce délicieux plat à sa juste valeur. Le jeune homme essayait pourtant de se concentrer sur les fantastiques saveurs qui se libéraient contre son palet. Mais l’aura froide et puissante de son père prenait le dessus dans ses pensées. Il n’osait pas prendre la parole et se contentait simplement de planter sa cuillère au même rythme que ses parents.

Chizuru détestait cette situation. Cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas réunis ainsi et leur premier repas devait se faire dans un silence de mort. Elle en voulait aux deux hommes qui ne faisaient aucun effort pour rendre ce moment agréable. Mais elle refusait d’hausser le ton. Les assiettes venaient d’être vidées quand elle osa prendre la parole :

  • Qui veut de la pastèque ?

Sa gaieté détonnait avec le silence des deux autres. Mais elle eût l’effet escompté. Les deux hommes réagirent en relevant la tête vers elle et acquiescèrent de concert. Elle leur sourit et retourna dans la cuisine. La langue de Katsurou se délia au même moment :

  • Alors, comment se sont passés tes examens ?

Hayato blêmit. Le moment fatidique était arrivé. Il leva les yeux vers son père, mais n'arriva pas à soutenir son regard. C'était pourtant une question anodine que tout père pouvait poser. Mais pour le lycéen, c'était un véritable coup de poing qu'il lui envoyait.

  • Et bien... réussit-il à souffler.

Il n'eût pas le temps de se justifier davantage. Le soupir de Katsurou signifiait qu'il avait bien compris. C'était comme d'habitude.

  • Je sais ce que tu vas faire de tes vacances, lança-t-il d'un ton froid.

Son fils hocha la tête, ne pouvant pas contredire son père. Chizuru revint avec la pastèque.

  • Tu as des nouvelles de Shou ? demanda-t-elle pour changer de sujet.

Ouf, il pouvait enfin respirer ! Merci maman !

  • Oui, et il va bien, répondit-il avec un petit sourire.
  • Très bien ! Et qu’est-ce qu’il fait de ses vacances ? Il avait l’air d’avoir des choses à te raconter aujourd’hui !

Hayato se tendit. Quoi, elle l’avait entendu parler avec Hana ? Il ne lui semblait pas avoir parlé fort pourtant… Mais il n’avait plus vraiment fait attention au reste de la maison une fois dans sa chambre. Enfin, elle n’avait pas l’air d’avoir compris la discussion qu’il tenait avec le fantôme. Elle semblait avoir fait le rapprochement avec Shou, seul ami avec qui il s’entendait suffisamment bien pour s’appeler aussi longtemps.

  • Ah euh… Il travaille à la ferme de ses grands-parents, à la campagne. Il n’a pas beaucoup de réseau là-bas donc il a profité d’avoir quelques barres pour m’appeler et discuter de tout et de rien… Comme d’habitude !

Il essaya de sourire pour se donner une convenance, mais cela pouvait le décrédibiliser plus qu’autre chose. En soit, il n’avait pas menti : Shou était bien chez ses grands-parents. En revanche, l’histoire du réseau c’était du pipeau. Tout comme le fait qu’il avait passé l’après-midi à discuter avec lui. Son meilleur ami disait constamment : « Ne pas dire toute la vérité, ce n’est pas vraiment un mensonge ! ». Certes, mais pour Hayato, c’était pareil.

  • J’espère qu’il n’accaparera pas le temps qu’il te faut pour réviser, lança Katsurou toujours aussi froidement.

Son père n’avait jamais apprécié Shou. Il avait une mauvaise influence sur son fils. C’est sûr qu’il n’aidait pas pour rester le nez dans les bouquins. Mais jamais il ne tirerait son ami vers le bas. Le lycéen prit aussitôt sa défense :

  • Non, ne t’inquiètes pas. Il est d’ailleurs prêt à m’aider.
  • « Aider », répondit-il d’un ton dédaigneux.
  • Il est major dans trois matières et est sixième au classement général. Donc oui, il peut m’aider.

Katsurou se contenta de répondre par un souffle hautain. La colère bouillonna dans Hayato.

  • Dommage que ce ne soit pas tes résultats.

Le jeune homme écarquilla les yeux et serra les poings. Tout son corps était tendu et la rage qui restait en sourdine voulait sortir. Comme osait-il lui dire ça ? Il croisa le regard d’Hana. Son inquiétude le déstabilisa et il reprit conscience. Ses doigts se détendirent et ses épaules s’affaissèrent. Qu’est-ce qu’il comptait faire ? Ce n’était pas lui. Il n’était pas comme ça. Jamais il ne lèverait la main sur quelqu’un et encore moins son père.

Ce dernier était resté de marbre. Il n’avait pas manqué une miette de la montée de colère de son fils. Hayato réussit à regarder son père. Serait-ce de la déception qu’il apercevait dans ses yeux ? Le lycéen baissa les siens.

  • Je… Je vais retourner dans ma chambre. Je suis fatigué je crois. Merci pour ce repas.

Il quitta la table sans regarder derrière lui.

***

Recroquevillé sur lui-même, Hayato voulait disparaître, même si la couverture qui le couvrait ne réaliserait pas ce souhait. Quelques mèches de sa chevelure rebelle dépassaient.

  • Il est méchant ton père.

Hana flottait au-dessus du garçon. Elle se sentait impuissante et il s'agissait des seuls mots qu'elle réussit à lui dire. La boule que formait le lycéen se mit en mouvement et un bout de nez, suivi du reste du visage, se détacha à l'extérieur.

  • C'est sûr qu'il n'était pas sous son meilleur jour, mais...

Il marqua une pause pour chercher ses mots. Ce n'était pas facile d'exprimer ses sentiments à son égard.

  • Il reste mon père et je... Je l'aime quand même. Je n'arrive pas à le détester malgré tout ce qu'il peut me dire.

Il resserra ses bras autour de ses genoux.

  • C'est juste que... Je ne suis pas le fils qu'il aurait voulu avoir. Je ne suis pas bon dans les études, je ne suis pas sportif non plus... J'ai toujours essayé d'avoir sa reconnaissance, mais jamais il ne m'a félicité. Jamais il ne m'a encouragé. Je faisais des efforts, mais ils ne payaient pas. Il n'y a que les résultats qui comptent pour lui. Pourtant...

Hayato sentit les larmes lui monter aux yeux. De nombreux sentiments se mêlaient dans son cœur. La colère contre son père, la tristesse de sa situation, la honte de lui-même. Il tenait portait un véritable poids sur ses épaules. Ce n'était pourtant pas nouveau. Ce fardeau lui pesait depuis toujours. Son père n'avait jamais changé.

  • Pourtant je voulais qu'il voie mes efforts. Au moins ça. Je veux juste qu'il me dise simplement "C'est bien". Je ne veux rien de plus de lui.

Mais... Il n'était jamais là pour voir le travail qu'il fournissait. Il n'était jamais là pour l'aider. A quoi bon ? Pourquoi encourager son bon à rien de fils ? Hayato plongea son nez entre ses genoux. Il pourrait en vouloir à son père, il aimerait être plus en colère contre lui, mais il n'y arrivait pas. A chaque fois, il se voyait comme étant le coeur du problème.

  • Je ne suis pas ton père, mais... sache que tu peux être content de toi. En tout cas, je suis fière d'être ton amie. Tu es quelqu'un d'incroyable !

Hana s'était rapprochée de lui, un sourire sincère dessiné sur ses lèvres. Sa main était posée sur celle du jeune homme. C'était dans ces moments qu'elle aimerait être faite de chair. Mais elle espérait que ce geste le réconforterait.

Hayato leva sa tête et planta ses yeux dans ceux du fantôme. Il lui sourit en retour.

  • Merci, c'est gentil, dit-il dans un souffle.

Son intervention n'était peut-être pas la meilleure, mais elle avait suffi à lui ouvrir les yeux. Il se sentait plus léger après s'être confié. Il ne savait pas pourquoi, mais Hana apportait un sentiment de sérénité. Il n'avait pas peur à l'idée de lui dire ce qu'il lui passait par la tête.

Le lycéen retira son drap - il faisait bien chaud là-dessous - et se redressa. Il prit une grande inspiration et expira l'air de ses poumons, comme pour évacuer le reste des émotions qui lui pesaient. Il regarda la petite fille qui penchait légèrement la tête sur le côté tandis qu'une lueur malicieuse émergea de ses yeux. Un large sourire se dessina sur ses lèvres et fit apparaître sa dentition d'ivoire. Son énergie communicative était une véritable bouffée d'air frais pour Hayato. Il ne se sentait plus abattu. Le sourire d'Hana avait effacé ses derniers doutes. Il s'agissait d'une simple accalmie, mais il s'en contentait. Ces pensées noires le suivaient depuis bien trop longtemps pour disparaître aussi simplement.

  • Je suis contente que tu ailles mieux ! J'étais inquiète et je... Je ne savais pas trop quoi faire pour toi, avoua-t-elle.
  • Non, tu as très bien fait. Tu m'as fait réaliser qu'il faut que je regarde les choses d'un autre point de vue. Je ne peux pas m’apitoyer sur mon sort dès que j'ai un moment de faiblesse.

Il afficha un air sérieux et fixa ses poings. Gagner la reconnaissance de son père était la chose qu'il souhaitait le plus, mais il devait s'y résoudre : cela serait difficile et même impossible au vu de son caractère. Il n'était pas le fils doué qu'il aurait toujours voulu avoir, mais il était lui. Hayato était travailleur, sérieux, sympathique malgré sa timidité maladive et son manque de réussite. Il n'était pas parfait, mais il avait des qualités. C'était un exercice difficile que de l'admettre. Mais il savait que sa mère était derrière lui pour le soutenir, tout comme son meilleur ami Shou. Maintenant, il avait aussi Hana à ses côtés. S'ils l'entouraient, l'encourageaient et l'appréciaient, c'était bien pour une raison. Il n'était pas un bon à rien comme son père le persuadait. Refermer les cicatrices que son retour avait rouvertes demanderait du temps, il en avait conscience. Mais il devait commencer pour arriver au bout de cette épreuve.

  • Hayato-kun ?

L'interpellé se redressa d'un coup. Il s'était à nouveau perdu dans ses pensées. Il vit le fantôme devant son ordinateur. Merde, il avait oublié de l'éteindre ! Mais Hana ne releva pas ce fait.

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