• On a une semaine pour respecter la promesse.

Hana regardait Hayato droit dans les yeux, sans sourciller. Ce dernier fit papillonner ses paupières, le temps que l’information arrive jusqu’à son cerveau.

• Hein, quoi ?
• J’y crois pas, t’es vraiment long à la détente ! soupira l’être fantomatique, en levant les yeux au ciel, c’est pourtant clair ce que j’ai dit ! On a sept jours pour aller à Kamakura et se revoir pour mon anniversaire, comme le jour de la photo ! Et comme ça, on respectera notre promesse.

Le lycéen ne savait pas quoi dire. Il avait bien compris ce que l’enfant avait en tête, mais comment lui expliquer que cela allait être compliqué ?

• Euh oui, mais… euh… balbutia-t-il.
• Quoi ? On est trop loin de Kamakura ? On ne pourra pas y aller en sept jours ? Pourtant, tu habites toujours au Japon, non ? À moins que j’ai loupé un épisode…, l’interrompit-elle.

Des épisodes, elle en avait loupé plein, ne pouvait s’empêcher de penser le jeune homme. Il soupira et lui expliqua que la distance n’était pas la raison du problème.

• Comme je te l’ai dit, je n’ai pas de nouvelles d’eux.
• Oui, mais ils doivent y aller pour mon anniversaire, non ?
• Je ne pense pas qu’ils s’en souviennent… dit Hayato, un peu nerveux.
• Oh… répondit Hana, en baissant la tête.

Il était étonné qu’elle n’ait pas compris ça plus tôt. S’il ne s’en souvenait pas, c’était aussi valable pour le reste de la bande. Cela faisait presque dix ans qu’ils ne s’étaient pas parlés. C’était alors difficile de se concerter pour fixer le rendez-vous promis. De plus, sans la principale concernée, la promesse était tombée à l’eau. Mais ça, c’était avant qu’elle ne réapparaisse… d’une certaine manière.

• Bah dans ce cas, on a qu’à leur rappeler ! lança soudainement la jeune fille qui avait retrouvé sa motivation.

Hayato fit les yeux ronds. Elle n’avait pas toujours pas capté qu’il n’avait plus aucun contact avec eux ? Il n’allait pas pouvoir leur faire une piqûre de rappel ! Mais cette explication ne lui suffisait plus. Elle n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Elle s’approcha de nouveau du lycéen, les yeux pétillants de plus belle.

• On va les retrouver ! Et on va se refaire cette journée à la plage !

Le jeune homme ne dit plus rien. Il avait l’impression qu’il ne pouvait pas vraiment refuser la requête d’Hana. Comme à l’époque de son vivant. C’était comme ça que ça se passait : d’abord la demande annoncée avec plein d’entrain, puis elle approchait son visage pour montrer son regard étincelant qui l’éblouissait, et enfin :

• Hayato-kuuuun, fit-elle d’une voix mielleuse.
• Ouais…ouais… bon OK, abdiqua-t-il.

Rien n’avait changé chez lui. Cette technique était absolument redoutable. Hana pouvait lui faire faire n’importe quoi. Il se demanda à quoi elle aurait ressemblé à son âge. La nostalgie l’envahit soudainement, mais le fantôme ne lui laissa pas le temps de s’installer plus longuement. Elle réveilla le lycéen en lui rappelant qu’il avait un grenier à ranger.

***

La maison était enfin impeccable et Chizuru n’avait plus rien demandé à son fils. Il n’y avait plus grand-chose à faire de toute façon. Ou bien, la peur qu’il refasse un malaise l’avait calmé dans ses exigences.

Hayato avait quitté le grenier pour rejoindre sa chambre. Hana l’avait suivi, et il réalisa que c’était la première fois qu’une fille rentrait dans « son antre ». Il ressentit un peu de gêne quant à cette idée, même si c’est une enfant… pas réelle en plus. Ce sentiment n’était pas du tout partagé par le fantôme. Elle prit le loisir d’observer la pièce dans ses moindres détails. Elle posait plein de questions au sujet des figurines et des mangas. Comme il s’agissait de sa passion, Hayato lui répondit avec beaucoup d’entrain et de plaisir, oubliant la nervosité du début. Une fois sa curiosité étanchée, la petite fille revint sur le sujet qui les avait amenés ici. Sauf que le jeune homme ne savait pas par où commencer, et le fantôme ne lui était pas d'une grande aide, faute d'idées aussi. Quand il faisait face à un problème, le lycéen pouvait compter sur son meilleur ami.

• Salut Hayato ! Comment vont ces vacances d'été ? lança ce dernier depuis le téléphone.

Watanabe Shou était dans la même classe qu'Hayato, ce qui n'avait pas changé depuis leur première année de collège. Garçon dynamique aux cheveux châtains et à l'allure d'un délégué de classe, c'était un grand sportif avec des facilités dans les cours théoriques. Mais il était plutôt bavard et dissipé. De ce fait, il n'aidait pas spécialement son camarade à améliorer ses résultats. Ce dernier, lui était assez opposé sur plusieurs points, mais ils se complétaient bien. Quand Shou entreprenait les choses avec trop d’énergie, Hayato pouvait lui remettre les pieds sur Terre. Ce n'était pas pour rien s'ils ne s'étaient pas quittés depuis tout ce temps.

Hayato lui raconta ce qu'il s'était passé. La découverte de la photo, le souvenir de ce 22 juillet 2009... et sa rencontre avec le fantôme d'Hana. Il y eut un moment de silence et il se demanda si son ami était toujours en train de l'écouter. Quand soudain, un éclat de rire surgit du téléphone.

• Hayato, mon cher Hayato... Tu ne cesseras jamais de me faire rire avec ton imagination débordante ! Mais là, je me demande bien ce que tu as pris au petit déjeuner !

Shou tentait de calmer son hilarité, en vain. Il avait mal au ventre et soufflait pour récupérer. Il avait les larmes aux yeux. De l'autre côté du combiné, Hayato était vexé par une telle réaction, mais au fond, comment lui en vouloir ? Lui-même avait mis du temps à réaliser ce qui lui était tombé dessus, tellement c'était surréaliste. À ses côtés, Hana s’esclaffa aussi, touchée par le rire communicatif de Shou, et l'expression faciale de son ami. Le lycéen attendait que les deux se calment, mais il avait les oreilles qui sifflaient. Rapidement, il n'eut plus la patience et explosa :

• Oh, c'est bon ! Stop !

Le silence s'installa dans la pièce. Il était très rare qu'il s'énerve et à chaque fois, l'effet était immédiat. Il soupira.

• Je sais que ça parait complètement délirant, mais c'est la vérité. Hana-chan n'est peut-être que le fruit de mon imagination, mais elle m'a rappelé que j'ai une promesse à tenir, dit-il avec beaucoup de sérieux.

Son ami était désormais tout ouïe. Hayato en vint alors au problème qui l'avait poussé à l'appeler. Comment retrouver quelqu'un qui n'avait pas donné de nouvelles depuis dix ans ? Pour Shou, la réponse était évidente :

• Tu as leurs noms ? Et bien il suffit d'aller sur Internet ! On en est 2019, ce ne sont pas les moyens qui manquent !

S'il utilisait fréquemment les réseaux sociaux pour être au courant de la vie de tout le lycée, ce n'était pas le cas de son ami qui trouvait cela trop intrusif. Faire la même chose pour retrouver les enfants de la photo ne lui disait rien. Mais le regard insistant d'Hana lui fit comprendre qu'il ne pouvait pas y dérober. Il soupira, signe qu'il abdiquait encore une fois. La petite fille lui fit alors son plus beau sourire.