Chapitre 25 - 1059

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Je voudrais lui faire mal, lui faire subir ce que j'ai enduré pendant des mois, alors qu'elle ne cessait de se moquer de moi. Je la tiens fermement coincée entre deux porte-manteaux, sa joue est écrasée contre le crépi blanc du mur. Elle n'est plus en mesure de parler, mais elle grommèle en pleurant. Je l'ai à ma merci, si faible et si fragile, et pourtant, je n'arrive plus à bouger. Les images qui m'envahissent brusquement sont trop douloureuses, j'appuie mon front contre sa chevelure et je m'effondre, submergé par les sanglots.

— Va-t'en, soufflé-je en libérant ma prise. Dégage...

Je ne peux rien lui faire. Je ne suis bon à rien, même pas à me venger. Je me cache le visage avec les mains et je me laisse glisser sur le sol, emporté par des souvenirs atroces. En un geste rapide et sans un mot, Margaux ramasse ses affaires et les range dans son sac puis, elle disparaît et me laisse, gisant à terre.

Je me vide de mes larmes et de tous les maux que j'ai subis au pire moment de ma vie. Je suis incapable de me reprendre en main. Pendant des minutes interminables, chargé de douleur, tout mon corps souffre. Je grelotte sur le carrelage glacé sans arriver à me ressaisir ni à chasser les stigmates de mon esprit.

Ce sont des pas décidés provenant du couloir qui me font réagir. J'arrive à me redresser et à m'appuyer contre le mur quand la silhouette de Mila se dessine dans l'encadrement de la porte.

— J'ai oublié ma serviette ! se justifie-t-elle avant de se rendre compte que je pleure. Ça va pas ?

Après avoir pris soin de refermer la porte derrière elle, elle s'assoit à même le sol, un peu trop près de moi. Oubliant la raison de sa venue, elle se penche vers moi pour tenter de comprendre ce qu'il m'arrive. Ses grands yeux bleus trop maquillés me scrutent et me détaillent. Je ne veux pas qu'elle me voit pleurer. Que va-t-elle penser de moi ? Je me redresse et j'en profite pour me décoller d'elle.

— T'en as gros sur le cœur, pas vrai ? murmure-t-elle.

Elle tend son épaule contre la mienne. J'évite au maximum ses yeux perçants qui ne me quittent pas, préférant fixer le sol. En me voyant m'essuyer le visage sur la manche de mon sweat, elle se met à fouiller dans son sac à la quête d'un paquet de mouchoirs en papier, qu'elle me présente gentiment.

Je rechigne puis m'en empare pour me moucher bruyamment. Mila patiente aimablement à mes côtés. Le silence pesant m'incommode. Je veux fuir loin et ne plus jamais revenir. J'ai la sensation d'avoir perdu la tête, de devenir fou, d'être un inconnu pour moi-même.

— Est-ce que tu me fais confiance, Baudry ? finit par me demander mon amie.

J'hésite à répondre. Je redoute qu'elle me tende un piège et m'oblige à mettre des mots sur ce que j'ai vécu et je ne le peux pas. Elle me propose de saisir sa main droite, mais je reste un long moment à observer. Je ne sais pas quoi faire de cette main qu'elle m'offre. L'accepter et passer à autre chose une bonne fois pour toutes ou la refuser et agir contre celui qui m'a détruit.

— Baudry ! insiste Mila.

Je lève les yeux au ciel et je pose ma main dans la sienne. Elle enlace mes doigts fermement pour ne pas que je lui échappe.

— J'ai bien réfléchi à tout ça... À ce qu'il se passe depuis des mois, à ton changement de comportement...

Je tente de retirer ma main, mais elle me tient puissamment, ses doigts ont enlacé les miens et je n'ai plus la force de lutter.

— Tu m'écoutes, m'ordonne-t-elle avec douceur. Je vais te poser une seule question. Réponds-moi juste par oui ou non.

Je sais d'avance la question qu'elle va me poser. Mila est loin d'être bête, bien sûr qu'elle a compris. L'acharnement du maître pendant les cours de judo, ses longues réprimandes, ses convocations de fin de cours, sa façon de me regarder parfois avec dégoût parfois avec envie, ses gestes sur mon dos pour montrer une nouvelle prise, toutes les fois où il a insisté pour me raccompagner...

J'ai honte. Tellement honte de moi. De n'avoir rien dit avant qu'il ne soit trop tard. D'avoir cru pouvoir gérer ça, seul.

— Est-ce que Senseï t'a fait du mal ?

Je déglutis. J'ai envie de le crier. OUI ! Oui, il m'a fait tellement de choses horribles mais je ne voulais pas. Je n'étais qu'un adolescent faible devant cet homme si fort.

Sans me lâcher, Mila se met accroupie devant moi. Elle plonge ses yeux dans les miens pour m'obliger à l'affronter.

— Oui... lâché-je dans un souffle à peine perceptible. Oui !

Pendant quelques instants, le visage de Mila se transforme, affichant un masque horrifié puis elle s'adoucit et pose son front contre le mien.

Elle sait, et avoir enfin quelqu'un qui partage cette souffrance avec moi, m'aide à être mieux, ce que je n'ai pas ressenti depuis des mois. Sa tête appuyée sur moi, elle me donne la force de me relever. Elle me berce affectueusement, caressant mes cheveux et mon visage.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? me demande-t-elle.

Je n'ai qu'un soupir à lui offrir en réponse. Je ne peux en parler à personne d'autre qu'à Mila. Personne ne peut comprendre.

— Tu devrais en parler à tes parents...

— Oh non ! Pas mes parents, Mila ! Pas eux !

C'est au-delà de mes forces. Ça je ne peux pas. Je ne pourrais plus jamais regarder mon père dans les yeux s'il apprend ce que j'ai fait.

— Jean-Marie doit payer ! Imagine s'il recommence...

Mila a raison. Je hais cet homme. Je le hais plus que tout. Je me redresse et me détache des bras si réconfortants de mon amie.

— J'ai une idée ! me lance-t-elle. Viens chez moi, je t'explique !

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