Chapitre 23 - 1100

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En retournant dans ma chambre, je tombe nez à nez avec mon chat, cet imbécile animal que m'a offert Jean-Marie et que j'avais choisi d'appeler Senseï pour ne pas oublier. Je déteste ce félin comme je déteste mon Maître, aussi sournois et fourbes l'un que l'autre. À peine un coup de pied et il fuit loin de moi, à l'autre bout de la maison.

Fébrilement, je ferme à clef ma chambre. Je ne veux voir personne. Je ne me sens pas en sécurité tant qu'il est là. Tout le reste de ma vie, je me méfierai de lui. J'attrape mes ciseaux posés sur mon bureau et je les fais tourner en m'asseyant à califourchon sur mon fauteuil près de ma fenêtre. J'attends qu'il parte. Ce ne sera pas pour tout de suite, j'en ai conscience. Énervé, je fais tournoyer les lames autour de mon doigt pour tenter de me calmer.

J'entends depuis ma chambre les rires hypocrites de Jean-Marie qui résonnent bien plus forts que tous les autres. Ils ressemblent à sa voix roque et autoritaire. J'accélère le tourbillon que font les ciseaux autour de mes doigts, mais je suis tellement agité que je les envoie voler au fond de la pièce, sous ma commode. Je grogne de colère en me levant pour les ramasser, puis je saisis mon portable.

J'ai reçu des messages de Mila durant mon absence. Elle m'annonce qu'elle a terminé son exposé. Je songe aussitôt que je n'ai pas du tout avancé sur le mien et que je n'ai pas de nouvelles de Margaux à ce sujet. Une fois de plus, j'explose de rage contre elle et décide de la rappeler à l'ordre via une série de messages.

Baudry : T'en es où dans l'exposé ? Tu te bouges ?

Les conversations enflammées de mon père et de Jean-Marie m'horripilent. Ils parlent de la dernière catastrophe parisienne et se plaignent de la perte d'un des plus beaux monuments européens, Notre Dame de Paris, qui a sombré lors de l'incendie d'hier. Mon ciseau dans la main droite et mon téléphone dans l'autre, je n'ai pas la patience d'attendre que Margaux me réponde. Je lui envoie un nouveau message.

Baudry : Tu réponds, connasse ! T'as fait quoi sur l'exposé ?

Dans le salon, le ton baisse pour laisser place à des mouvements. Des pas piétinent le carrelage et semblent se déplacer vers la porte d'entrée.

Je me penche vers la fenêtre pour vérifier mes suspicions. Le maître et sa femme sortent et se dirigent vers leur voiture en agitant leurs mains en direction de la maison. Ils s'en vont, mais je n'ai pas le temps d'être soulagé. Dans un dernier réflexe, Jean-Marie lève les yeux vers ma fenêtre pour me transpercer le coeur du regard. Ses pupilles me fusillent pour me signaler qu'il m'a vu. Les quelques secondes qu'il passe à me dévisager m'assassinent. Je suis pétrifié de douleur et en reculant d'un pas, je m'entrave dans les roulettes de mon fauteuil de bureau. Je tombe, à moitié sur le sol et sur mon lit, perdant au même moment mon ustensile favori et mon téléphone. Cet homme me fait encore tellement peur...

Je tremble en cherchant à tâtons sous mon lit, mon portable et mes ciseaux. Je jure à haute voix toutes les grossièretés qui me viennent à l'esprit. J'en veux à cet homme de m'avoir brisé. J'en veux à mes parents de le recevoir chez moi. Je m'en veux d'être lâche, faible et méprisable. J'en veux à tout le monde. J'en veux à Margaux de ne pas me répondre.

Baudry : Espèce de pute, tu vas répondre !

Demain, je vais lui régler son compte, une bonne fois pour toutes. Elle va comprendre qui je suis.

— Baudry, Fred, vous voulez manger ? interroge ma mère depuis le couloir. Vous avez quelques affaires dans le frigo...

— Ça va aller ! crié-je avec contrariété.

Je n'ai absolument pas faim. Je n'ai qu'une envie, me glisser dans mon lit et oublier. Oublier qui je suis, qui j'étais...

Je m'allonge habillé. J'ai froid. J'ai besoin de me couvrir, de m'enrouler dans la couette épaisse. J'ai la sensation de me créer une bulle protectrice pour la nuit. Rapidement, j'ai très chaud, mais j'ai peur de me découvrir. Je préfère transpirer intensément plutôt que quitter mon refuge. Le sommeil finit par s'emparer de moi et m'emporte dans un tourbillon de cauchemars contre lesquels je lutte toute la nuit.

Au réveil, je suis fracassé. J'ai mal dormi, je suis angoissé et d'humeur massacrante. En regardant mon portable, je me rends compte que Margaux ne m'a toujours pas répondu, pourtant, chacun de mes messages est bien distribué. La fatigue de ma nuit animée se fond dans la haine qui se développe envers Margaux.

Baudry : À tout de suite, pétasse !

Ce matin, je me prépare rapidement, pas le temps de traîner dans la salle de bains. Dans tous les cas, la douche n'est pas indispensable, car je démarre les cours par le sport. Je n'ai qu'une obsession, trouver Margaux en arrivant au lycée.

Tel un chasseur cherchant sa proie, je file sans bruit dans le long couloir qui jouxte le gymnase. Mon oreille est aux aguets du moindre son qui pourrait ressembler à sa voix. Mes yeux balaient les chevelures de tous les lycéens qui se dirigent lentement vers les vestiaires. Mila me rejoint et comme toujours, elle me parle, mais je suis dans un état second, je ne l'entends pas. Je reste concentré sur tout ce qui s'avoisine de près ou de loin à ma victime. Tel un serpent qui ondule pour rentrer dans son nid, les adolescents s'orientent tous dans la même direction. Je suis inconsciemment la trajectoire.

— Baudry, tu vas où ? m'interrompt soudain Mila en se positionnant devant moi pour me barrer le passage. Tu vas quand même pas me suivre jusque dans le vestiaire de filles...

Elle pouffe de sa blague, mais moi ça ne me fait pas rire. Margaux est ici, je le sens, tel un braconnier qui aurait reconnu son gibier. L'odeur des déodorants féminins envahit mes narines pendant que je jette un dernier regard à l'intérieur de la pièce tapissée de casiers, sans trouver celle que je traque.

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