Chapitre 17 - 1171

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— Qu'est-ce qu'il t'a pris, Baudry ? hurle mon père qui fait les cent pas autour de la table basse du salon.

Il est en costume et rentre tout juste de son boulot. Les poings fermés, il plisse les yeux pour me dévisager. En me projetant dans le fauteuil du salon pour m'écarter de mon frère, sa cravate s'est coincée sur son épaule. Nerveusement, il la lisse et retire ses lunettes qu'il range dans leur étui. La tension est encore présente avec mon frère qui est toujours assis dans le canapé en face de moi.

Fred, qui n'a pas bougé, se force à déglutir en se caressant la pomme d'Adam. Je me rends compte que j'aurais pu le tuer si je n'avais pas été interrompu. J'étais à deux doigts d'étrangler mon propre frère. Il m'a poussé à bout et je suis devenu totalement incontrôlable. Je ne veux plus qu'il me regarde, qu'il m'approche ou pire, qu'il me touche. Je ne supporte pas de tels gestes, tout chez lui me dégoute.

— On t'apprend quoi au judo ? La maitrise de soi, non ? T'as déjà oublié ?

Mon père est hors de lui. Il crie sur moi pendant que Fred saisit son verre de coca. Il a encore du mal à reprendre son souffle alors que de mon côté, j'ai mal aux côtes. À coup sûr, je me suis à nouveau blessé. Je passe ma main sous mon T-shirt pour me toucher le torse et essayer de sentir du bout des doigts si quelque chose est anormal mais, à part la douleur qui persiste, je ne détecte rien.

— Regarde-moi quand je te parle !

Je lève les yeux vers le visage tendu de mon père. Il est agressif et prêt à exploser mais je suis sous le coup de l'énervement et ce qu'il dit ne m'impressionne presque pas. Je ne l'écoute que d'une oreille. Je suis sous l'effet de l'adrénaline du jeu et de l'affrontement. J'ai besoin de frapper, de laminer, de mortifier. J'appuie sur ma côte et la douleur me saisit. Je ne sais pas pourquoi à ce moment-là, je pense à Margaux. À ce que je pourrais lui faire pour la blesser encore et encore. Margaux, la bonne élève, la populaire du lycée, la championne de danse.

— Est-ce que je vous ai éduqué comme cela ? Est-ce que j'ai déjà levé, ne serait-ce qu'une seule fois, la main sur vous ?

Mon père s'adresse désormais à nous deux. Il s'emporte facilement et souvent pour pas grand chose, mais il a raison. Même s'il a déjà cassé des verres ou quelques objets, jamais il ne nous a porté de coups. Ses crises d'irascibilité m'ont pourtant toujours impressionnées. Tout son être se métamorphose en un étranger atrabilaire qui m'effraie.

Ses yeux noirs et furieux passent de mon frère à moi. Fred n'en mène pas large devant l'autorité paternelle furibonde. Subitement, je me sens proche de mon père quand il devient impulsif. Je me rends compte que nous avons le même caractère. Je lui ressemble dans ses débordements. Je pense que Fred découvre peu à peu que je ne suis plus un gamin qui se laisse faire. Je suis presque un homme et je peux lui faire face.

— Dégagez dans vos chambres ! ordonne-t-il en mettant un coup de pied dans la porte du buffet qui se met à vibrer.

Je n'ai pas envie de me retrouver seul avec mon père. J'ai peur qu'il continue de me hurler dessus. Je laisse Fred passer devant moi. Puis, lentement, afin de ne pas trop réveiller la douleur, je me lève, ramasse mon sac de cours et mon casque pour filer dans ma chambre. Je referme la porte à clefs derrière moi. Je suis énervé. Je balance violemment mes affaires sur mon lit défait. Mon casque roule et finit par s'écraser par terre.

— Fait chier, pesté-je en ressentant le tiraillement dans ma poitrine.

Je retire mon T-shirt pour vérifier mon torse dans le miroir. J'examine minutieusement l'endroit où irradie la douleur. Aucune trace n'est visible. Je me rhabille et saisis mon portable dans la poche arrière de mon jean's.

Margaux est toujours dans ma tête. Elle occupe de plus en plus de place. Notamment depuis que je sais qu'elle se drogue occasionnellement et qu'elle prend des amphétamines en cachette pour contrôler son poids. Je trouve cela absolument incroyable.

Je consulte son compte Facebook puis ses autres réseaux pour vérifier qu'elle n'a rien posté de nouveau. Je suis à l'affût de tout ce qu'elle fait. Ça me détend de lire ses posts insignifiants. De constater qu'elle est toujours active. Au lycée, j'ai remarqué qu'elle avait un nouveau téléphone. Une version moins récente que celui d'avant. Il doit s'agir de son ancien.

Dans mon ordinateur, j'ai conservé son programme nutritionnel surprenant. Devant sa silhouette qu'elle exhibe sur son compte Instagram, je me glorifie de cette découverte. Je dois la contacter pour triompher devant sa nouvelle infériorité. Je choisis de lui envoyer un message.

Baudry : Hey bouffone, demain 18h, au CDI pour l'exposé.

En attendant sa réponse, je vide mon sac de cours. Je pose mon contrôle de maths sur mon bureau. Je jette à nouveau un oeil sur les corrections que j'ai notées pour comparer ce que j'ai fait sur le devoir. Je suis dérouté. J'avais la plupart des réponses. Ça me tue. D'autant plus que comme toutes les notes inférieures à la moyenne, il va falloir que je le fasse signer à mes parents.

J'attendrai demain matin. Ma mère est plus indulgente, elle croira plus facilement à l'excuse de l'accident. Mon père part à l'aube pour son travail, je profiterai de son absence.

Mon portable s'allume et vibre. Je saute dessus pour lire le message qui vient d'arriver.

Margaux : Non, je répète de 18h à 20h !

Son refus m'irrite. Que dois-je faire pour qu'elle comprenne que ce n'était pas une proposition mais un ordre ! Cette fille me rend dingue.

Baudry : 17h dès qu'on sort du lycée. T'as pas le choix.

Ne recevant pas de nouvelle réponse de sa part, j'en conclus qu'elle valide notre entrevue.

— Baudry, Fred, vous venez mettre la table ? nous demande ma mère depuis la cuisine.

Je sors le premier sans un regard pour Fred qui m'ignore également. Je n'ai pas envie que mon père s'énerve. Je ne veux surtout pas que ma mère soit prise entre nous. C'est suffisamment difficile pour elle qui se retrouve toujours au milieu de nos disputes, avec la peur de contrarier l'un si elle défend les autres. Je veux l'épargner.

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