Chapitre 16 - 1332

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Notre emploi du temps est allégé ces derniers temps grâce aux épreuves de Bac Blanc des  Terminales. L'ambiance dans mon groupe d'amis lycéens est tendue à cause des conflits autour de Margaux. Chacun préfère rentrer chez soi plutôt que de se prendre à nouveau la tête.
Mon casque à la main, je franchis le seuil du salon en bougonnant contre Senseï qui me tourne autour pour réclamer ses croquettes.

— Tu parles d'un Maître ? Quelle idée j'ai eue de t'appeler comme ça, sale bête, ouais !
Après avoir fait quelques pas dans le couloir, un son familier captive mon attention. Mon frère joue à notre jeu favori : Mortal Kombat. Je reconnais les grognements des héros et les bruitages de coups qu'ils s'assènent. Je passe la tête dans le salon, un sourire aux lèvres. Gagné ! Fred est assis sur le canapé, ensorcelé par l'écran, il agite nerveusement ses doigts sur la manette.

— T'es sourd ? lui demandé-je en saisissant la télécommande pour baisser le volume.

— Tu joues ?

Sans quitter la télévision des yeux, Fred me désigne d'un coup de menton ma manette posée sur la table basse. Il est en train de perdre sa partie et je le sens ouvert à se refaire contre moi.
Je pose mon sac de cours ainsi que mon casque par terre, je ne peux résister à l'appel du jeu. J'adore jouer et me mesurer aux autres. J'ai l'esprit vif et le judo a développé en moi le goût de la compétition. Mon frère est redoutable dans ses combats mais je rêve toujours de le réduire à néant. Alors je saute sur le canapé pour m'affaler à côté de lui et je saisis la manette noire tandis qu'il quitte sa partie pour en démarrer une nouvelle. Sur le décor d'un château fort moyenâgeux, il choisit son joueur favori : Scorpio, le spectre. Je râle car c'est le mien également.

— T'aurais pu me le laisser pour une fois !

— On change pas les bonnes habitudes...

Déçu, je me rabats sur Raiden, le combattant au chapeau chinois. Je soupire et fais la tête alors qu'il appuie sur Play.

En regardant le décompte défiler sur l'écran, je crispe mes doigts sur les touches et prends une grande inspiration. Je connais Fred par coeur et je sais que son premier réflexe sera de m'envoyer une boule de feu dans le ventre. Je m'y prépare en me protégeant avec mon bouclier.
Mais, oh surprise ! Il m'envoie ses deux haches avec leurs chaînes pour m'attirer au plus près de lui. Mon personnage accuse le coup par un grand râle puis s'immobilise. L'espace de quelques secondes, il se retrouve paralysé.

— Tu m'as pris pour un débutant ? se marre Fred.

— Mais ta gueule ! sifflé-je en m'acharnant sur ma manette qui ne me répond toujours pas.

Fred ou plutôt Scorpio, le chevalier noir, en profite pour attribuer à Raiden, c'est à dire moi, une série de coups de poings qui entame gravement ma barre d'énergie.

— Non mais calme-toi ! J'ai même pas pu placer un coup !

Je commence à m'énerver. Je pince les lèvres et me concentre sur la prochaine prise que je vais lui asséner mais il est trop tard.

"Round 2" s'affiche sur l'écran.

Fred gagne la première manche. Je retrouve enfin mes forces et nous nous remettons en place. Je fais craquer mes doigts pour les détendre durant la courte pause. Dès la reprise, je fonce directement la tête la première dans les airs. Allongé à l'horizontal, je rentre dans le ventre de mon adversaire qui s'étale par terre. Avec cette technique, je prends le dessus et je me défoule sur lui. Après trois coups de boule, un saut avec élan pour mieux lui enfoncer mes deux pieds dans le ventre, Scorpio souffre et sa barre d'énergie descend à vue d'oeil.

— T'aurais jamais du faire ça, Baudry ! me lance calmement mon frère.

Autant il est impassible, autant je ne tiens plus, envahi par la rage de faire souffrir.

"Round 3" annonce le jeu.

J'ai les mains moites. Je les essuie rapidement sur mon pantalon. Je sens les yeux de mon frère peser sur moi. Il m'observe pendant la courte pause, le regard en coin. Je n'aime pas qu'il me détaille. Il voit toujours mes défauts et il ne lui faut pas longtemps pour remarquer le bouton sur mon front.

— Quoi ? le questionné-je en faisant une grimace.

— Détends-toi, c'est un jeu !

Non, il se trompe. Ce n'est pas un jeu. Je lui règle son compte. Je profite de son regard dégueulasse et insistant sur moi pour l'attaquer le premier. Mon armure noire scintille de bleu sur l'écran à chaque coup. Scorpio recule et tente de se défendre mais je ne me laisse pas faire. Je tape à gauche, puis à droite, de manière désorganisée pour qu'il ne puisse pas anticiper mes gestes. Le sang gicle et les grognements sont de plus en plus forts. Le dos de mon adversaire cogne contre un rocher, c'en est fini pour lui ! Je me prépare au coup fatal.

— Tu crois quand même pas que je vais te laisser gagner ? lâche Fred en me mettant une tape derrière la tête.

Il sait que je ne supporte pas qu'il me touche. Il le sait ! Je le repousse en tapant dans son épaule.

— Me touche pas ! Me touche pas, Fred !

— Je te touche si je veux !

Il me remet une claque sur la joue cette fois-ci. Je lui jette la manette dans la figure, oubliant le jeu et les armes secrètes que je n'ai pas encore utilisées. Fred se protège le visage avec ses mains.
Comme Raiden le fait dans le téléviseur, je me jette sur lui, le poing en l'air.

Fred rentre sa tête dans les épaules pour éviter mon coup. Il préfère se concentrer sur la partie et reprendre le dessus en lançant sa boule de feu dans les entrailles de Raiden qui le transperce de part en part. Son coeur pend hors du corps. Son visage tombe par terre et on voit son cerveau et l'intérieur de sa tête. Sa langue frétille.

La télévision affiche les deux messages ultimes : Finish him ! Scorpio win !

C'est pas juste !

— T'as triché, t'as triché ! l'accusé-je en lui collant, cette fois-ci, mon poing dans la figure.

Les traits de son visage se contractent sous la souffrance. Il est bien plus fort que moi et il me saisit rapidement pour me contenir et m'empêcher de le frapper à nouveau. Il plaque son corps contre mon dos. Je ne supporte plus ce genre de contact. La chaleur de sa peau qui traverse son T-shirt, ses muscles tendus sur moi, je veux m'en libérer.

— Laisse-moi ! Me touche pas ! Me touche pas !

— T'es malade, Baudry ! T'as vraiment un sacré problème !

Je le supplie de ne pas aller plus loin. Je ne veux pas. Je suis maître de mon corps. La rage s'empare de moi. Je me retourne et lui fais face. Je le regarde dans les yeux. Il ne sourit plus. Il me dévisage. Je pivote légèrement vers lui. Je glisse mon bras le long de son cou, du côté de sa nuque, tandis que j'attrape en même temps la manche de son bras droit pour le pousser vers l'accoudoir du canapé. En forçant sur mes jambes, j'arrive à lui passer dessus. Je peux serrer ma main sur son cou pour l'étrangler. Il va payer ! Ses deux mains s'accrochent aux miennes pour tenter de me faire lâcher prise. Mais je suis déterminé, je n'abandonnerai pas.

— Baudry ! Lâche ton frère, putain ! Baudry ! m'ordonne mon père qui me secoue violemment pour me sortir de ma furie.

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