Chapitre 15 - 1293

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Cette fois-ci, je tiens Margaux pour de bon. Tous ses petits secrets enregistrés dans sa clé USB, sont entre mes mains. Ce que je possède sur elle me rassure et m'aide à rester calme.
En cours de maths, assis derrière elle et Mila, je sens grandir en moi une puissance redoutable. À tout moment, je peux l'achever. Elle sait parfaitement que si elle déroge à notre petit accord, elle signera son arrêt de mort. Finie l'image de l'adolescente parfaite. Finie sa carrière en danse classique. Finie sa vie modèle. Je peux la détruire. Je vais la détruire. Comme elle a voulu me détruire.

Notre professeur nous rend les contrôles que nous avons rédigés la semaine dernière. J'ai conscience du mal-être profond dans lequel je me trouvais à ce moment-là, perturbé par ce que j'avais qualifié d'accident et qui avait causé mes blessures. Je n'arrivais pas à me concentrer. J'étais encore sous le choc physique et psychique de cette altercation qui sera à jamais la dernière, j'en suis convaincu.

Je m'attends à une note déplorable. Bien qu'habitué, je n'y suis pas insensible. J'estime fournir assez de travail à la maison pour réussir, mais une fois devant ma copie, je perds tous mes moyens. Damien ne s'attend pas non plus à un miracle, nous traversons tous les deux une phase compliquée. Il vient de m'annoncer que ses parents divorcent. Leurs disputes constantes au sujet de sa garde le tracassent considérablement. Il va devoir choisir et a peur de blesser l'un ou l'autre.
L'enseignant chauve aux petites lunettes rondes vogue dans les allées de la classe, son paquet de feuilles à la main. Il commente chaque devoir à voix haute, alternant entre félicitations et conseils d'améliorations.

— Mila, 18 sur 20 !

L'adolescente se redresse sur sa chaise et fait un petit signe au professeur qui la cherche. Ses yeux pétillent de joie en entendant sa note. Elle me lance discrètement un petit regard fier auquel je choisis de ne pas répondre. Perdu dans mes pensées, je fixe mes ciseaux qui tournent vivement sur mon doigt.

— Une petite erreur d'étourderie mais l'ensemble est excellent !

Le prof tend le devoir à son élève qui le réceptionne avec dignité. Margaux se penche sur Mila pour jeter un coup d'oeil sur le contrôle de sa voisine. Mes yeux vaguent d'une lycéenne à l'autre. Je m'interroge, comment deux filles aussi différentes peuvent-elles si bien s'entendre ?

— Margaux, chuchote Damien. C'est vrai que tu as retrouvé ton sac ?

— Oui ! répond la jeune fille du bout des lèvres.

J'ai apprécié qu'elle démente et poste une publication sur son compte Facebook. Elle y explique que tout va bien et qu'elle a retrouvé toutes ses affaires, égarées par inadvertance durant la soirée. Je suis, par ailleurs, ravi de l'effet produit. Une pluie de commentaires déferlent sur le compte de la lycéenne, allant des moqueries jusqu'aux insultes. Elle s'en est aperçue et a voulu les supprimer mais c'était déjà trop tard. Il m'a alors semblé opportun de faire une copie du post qui m'innocente, puis j'ai participé au relai de cette information capitale pour qu'absolument personne ne passe à côté. Je ne suis pas l'auteur du vol du sac à main et Margaux est une peste doublée d'une menteuse. Son histoire devient ridicule. En se rendant compte de son incrimination infondée, Mila m'a envoyé un message pour s'excuser d'avoir douté de moi hier.

— T'étais tellement défoncée que tu savais plus ce que tu faisais de tes affaires, se moque Flavien.

Affalé sur son bureau, de l'autre côté de l'allée, il n'est pas loin de Margaux et il ne loupe rien de ce qu'elle fait en cours. Il garde toujours un oeil sur elle et semble satisfait de la tournure que prend la situation.

Le prof est à l'autre bout de la classe. Concentré sur les notes qu'il continue de commenter, il ne s'intéresse absolument pas à ce qu'il se passe de notre côté.

— Surtout qu'elle accuse des innocents ! j'ajoute en lui tapotant l'épaule.

— Ouais, t'es bien sympa, Baudry ! Moi, j'aurais exigé des excuses en public ! ajoute Flavien.

Margaux se tourne vers moi et s'apprête à me dire quelque chose, mais elle se ravise aussitôt. Elle jette un regard confus vers Mila qui soupire, acculée entre son amie et moi.

— Margaux, t'as pas des bonbons ? je lui demande en sachant pertinemment qu'elle sera la seule à comprendre l'allusion.

Je sais désormais qu'elle est extrêmement complexée par son corps. Elle se trouve grosse et est suivie par un professionnel pour lui éviter de prendre un gramme, ce qui serait défavorable à son projet de carrière dans la danse classique. Mais il y a beaucoup plus intéressant que le poids de ses légumes verts et féculents. Il y a le dossier, "Mes bonbons préférés" caché au milieu du fichier "Programme Nutritionniste" de sa clé USB. Sa consommation excessive de "sucreries" me permet d'excercer une pression sur elle.

— Baudry !

Avachi sur ma chaise, je me relève brusquement et pose les ciseaux sur mon bureau. Je plisse le front à cause de l'angoisse qui monte en moi. J'appréhende ma note qui va être annoncée devant toute la classe. Je lève le doigt pour indiquer à mon professeur où je me trouve.

— 3 sur 20. Vous avez un vrai problème de concentration en ce moment. Ressaisissez-vous ! Le trimestre n'est pas encore fini.

Je saisis mon devoir en soupirant. Damien pose une main sur mon épaule et approche sa feuille remise plus tôt pour la coller à la mienne. Il me chuchote dans le but de me consoler :

— Si on additionne nos deux notes, on a la moyenne ! Soyons positifs !

Bien qu'extrêmement déçu par mon résultat, je ne peux m'empêcher de sourire à sa remarque sarcastique.

— Margaux !

— 19 sur 20, c'est la meilleure note, je n'ai rien à dire.

— Fayotte ! je lance à mi-voix.

Flavien approuve en levant son pouce dans ma direction alors que Mila pince ses lèvres pour souffler dans ma direction et me signifier de me taire. Tant pis si ça ne lui convient pas, il va falloir qu'elle s'y habitue. Margaux ne bronche pas, figée sur sa chaise, elle choisit de nous ignorer et je me félicite de la tournure des choses en faveur de ma toute nouvelle puissance.

En entendant la sonnerie de fin de cours, je ne traîne pas. Le prof rend la dernière copie pendant que je ramasse rapidement mes affaires. Puis, je me lance à la poursuite de Margaux que je rattrape dans le couloir envahi de lycéens errants vers la sortie.

— Il faut que l'on se voit, je dis à Margaux en la poussant contre le mur.

Je me rapproche suffisamment d'elle afin de ne pas bloquer le passage des adolescents qui quittent le lycée. Margaux est décontenancée, ses yeux me fuient pour chercher une aide extérieure qui pourrait la sortir de mon embuscade. Mais personne ne prête attention à nous dans le chahut de la fin des cours. Chaque jeune n'a qu'une préoccupation : terminer sa journée en dehors du lycée.

Seule, Mila partie devant, se retourne et fait demi-tour pour venir vers nous. Rapidement, je glisse, dans la main de Margaux, sa fameuse clé USB en lui disant assez proche de son oreille, pour qu'elle seule entende :

— Je n'en ai plus besoin, je me suis fait une copie !

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