Chapitre 5 - 1538

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Chaque jour après les cours, j'ai pris l'habitude de retrouver quelques amis du lycée, dans un petit parc. Je ne suis pas un solitaire. J'ai un bon groupe depuis le collège dans lequel je me sens plutôt bien intégré. J'ai besoin d'eux pour avoir un semblant de vie normale, afin de tenir le coup et penser à autre chose qu'à mon mal-être ou à mes blessures. Je me complais à les entendre raconter des blagues et à les voir faire des pitreries. J'apprécie de traîner en leur compagnie, sans me soucier de l'heure ni de ce qu'il va se passer quand je serai chez moi.

Parmi les adolescents de mon âge, je suis paisible et serein. Je pense que les lycéens que je fréquente m'apprécient pour mon caractère plutôt facile et discret. J'aime rire et je m'adapte à toutes les situations. Ils savent également qu'ils peuvent compter sur moi durant les moments difficiles. L'an dernier Alban s'est cassé la jambe en faisant du skate et j'ai passé beaucoup de temps chez lui sur sa console de jeux, pour le distraire. Malgré ma part d'ombre, j'aime plaisanter. Pendant que je gare ma moto au milieu des autres cyclomoteurs, Mila et Margaux arrivent à ma hauteur. Après ce qu'il vient de se passer, je suis un peu surpris que Margaux veuille nous rejoindre mais, Mila me prévient discrètement qu'elle s'est sentie obligée de lui proposer de venir.

Je retire mon casque et l'enfile à mon avant-bras. Il fait frais, c'est encore l'hiver, à cette saison il n'y a que très peu de monde qui flâne par ici. Margaux reste en retrait. Prenant garde de ne pas être trop proche, elle marche quelques pas derrière nous. Elle a remonté son écharpe rose sur son menton et enfoncé son bonnet assorti sur ses oreilles. Au collège, j'aurais fait n'importe quoi pour lui plaire. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, sa présence m'exaspère. Heureusement, elle se fait discrète ; ses yeux ne quittent pas l'écran de son portable. Mila avance à côté de moi en me souriant timidement. Son insistance à me fixer m'incommode. Je n'ai pas l'habitude qu'une fille s'intéresse à moi. Je suis incapable de lancer la conversation et tellement embarrassé par le fait de me retrouver seul avec elle que je serai capable de bégayer. Je préfère accélérer le pas en faisant de grandes enjambées pour qu'elle arrête de me dévisager. Bien plus petite que moi, elle a du mal à me suivre.

— Qu'est-ce que tu t'es fait à la lèvre, m'interroge-t-elle pendant que nous longeons la grille de l'aire de jeux des enfants.

En portant mes doigts à ma bouche pour vérifier la plaie, j'ose un coup d'œil en direction de Margaux qui nous suit toujours silencieusement. Je n'ai pas réfléchi quand j'ai pincé les lames des ciseaux. Je voulais lui faire peur, lui prouver que j'étais capable de tout et finalement je me suis amoché la lèvre. L'entaille n'est ni profonde ni grande, un centimètre tout au plus mais j'ai beaucoup saigné. Je tapote du bout des doigts ma blessure pour vérifier qu'elle est bien sèche. Les yeux azur de Mila me scrutent, guettant ma réponse à travers sa frange brune toujours impeccablement coiffée. Elle m'agace avec son insistance. Je sais que je suis moche.

Je me contente de hausser les épaules en suçant ma lèvre légèrement enflée jusqu'à ce que nous arrivions à proximité des toboggans où nous attend notre bande.

Je pose mon sac et mon casque par terre tandis que Damien se décale sur le banc pour me faire une place. Ses cheveux trop longs flottent dans le vent glacial. Pendant qu'il se recoiffe, levant ses sourcils, il me glisse à l'oreille :

— Alors avec Margaux, ça avance comment votre exposé ?

— C'est chaud...

— Chaud bouillant, genre y a rapprochement ?

Évidemment que non ! Margaux est opposée à tout ce que je propose et ça fait monter en moi une rage que j'ai de plus en plus de mal à contenir. Je ne sais pas comment l'aborder ni comment agir en sa présence. Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris pourquoi Mila lui a proposé de se joindre à nous. Cela n'a pas l'air d'enchanter Flavien assis sur la balançoire. Il avait l'air enjoué jusqu'à ce qu'il découvre Margaux qui marchait derrière moi. Son visage est désormais fermé, ses lèvres pincées. Une veine sur son front me fait comprendre qu'il est vraiment contrarié. Il dessine avec ses Vans des cercles dans le sable. Mila demande à Alban, un garçon de notre classe de se pousser un peu pour lui faire une place. Nous sommes vraiment serrés maintenant mais vu le froid qu'il fait, cette proximité n'est pas désagréable. Seule, reste Margaux, debout, plantée entre le banc que nous occupons et la balançoire. Emmitouflée dans son grand manteau noir, elle est toujours plongée sur la lecture de son téléphone. Elle attend que l'un d'entre nous lui adresse la parole, ce que fait Alban qui lance pour plaisanter :

— Margaux, t'as qu'à t'asseoir sur Baudry !

Elle me jette un regard mauvais et je ne sais pas pourquoi, j'ai une soudaine envie de l'embêter. Voyant qu'elle ne se sent pas à sa place au milieu de notre groupe, je trouve qu'il est facile de prendre une nouvelle fois le dessus sur elle.

— Ouais, viens sur moi, tu me déranges pas ! dis-je ironiquement.

Je sais parfaitement qu'elle n'en a pas envie. Mais la provoquer m'amuse alors je m'appuie contre le dossier du banc et lui désigne mes genoux. Margaux me toise et me fait comprendre d'un hochement de tête qu'elle refuse.

— Tu fais ta farouche ? Vas-y, assieds-toi sur Baudry ! continue Flavien en souriant.

Il semble content de la tournure que prend cette conversation. Margaux est de plus en plus embarrassée et son ex petit ami jubile.

— Non, je ne veux pas, finit par se défendre Margaux en soupirant.

— Tu faisais moins ta mijaurée, l'autre jour, devant le CPE... ajoute Flavien.

Il se lève pour se mesurer à Margaux et la pousse violemment sur moi. Toute notre bande éclate de rire devant l'attitude confuse de l'adolescente que je réceptionne pour qu'elle ne finisse pas par terre.

— T'as pas le choix ! Regarde, on est bien tous les deux, m'exclamé-je en serrant fortement Margaux, l'empêchant de se relever.

Il y a quelque temps, je n'aurais pas été à l'aise avec Margaux sur mes genoux et au milieu de toutes ces moqueries. Mais ridiculiser l'adolescente devant mes amis qui se marrent me donne la sensation d'être comme eux : un gars populaire, respecté et pleinement intégré. Bien que Mila me fusille du regard, je persiste dans la raillerie. Je choisis de ne pas prêter attention à ses yeux qui me supplient de lâcher sa copine et je me concentre sur les réflexions de mes amis qui se réjouissent tout autant que moi.

— Baudry, tu vas choper ! approuve Damien en applaudissant. Continue tu es bien parti !

Je bloque fermement les bras de Margaux, assise sur mes cuisses. Celle-ci me griffe les mains et tente de me faire céder mais j'ai plus de force qu'elle et surtout ce genre de douleur n'est rien pour moi. Je résiste à son poids malgré mes côtes toujours vulnérables.

— Margaux aime ça ! Tout le monde le sait ! surenchérit Flavien.

Il part se rasseoir sur la balançoire pour profiter du spectacle de son ex qui persiste à se débattre inutilement. Ses cheveux frôlent mon visage et son parfum vanillé et fruité caresse mes narines. Puis, elle finit par renoncer et me demande d'une petite voix :

— Laisse-moi, Baudry, s'il te plaît !

Elle ne bouge plus, attendant patiemment que je la libère.

— Hey Margaux, vous faites un beau couple ! complimente Alban en me faisant un clin d'œil.

Elle lui jette un regard noir, les yeux chargés de larmes. Mila se lève brusquement du banc et lance :

— Qu'est-ce que vous pouvez être cons, parfois !

L'énervement ayant raison de moi, je ne peux m'empêcher de hurler :

— C'est Margaux qui est conne !

Je libère ma prise en l'expulsant violemment de mes genoux. Celle-ci perd l'équilibre, trébuche et tombe par terre. Voir la belle Margaux bien mal en point, les cheveux décoiffés et le pantalon troué nous procure une ultime raison de rire tous ensemble de bon cœur. Mila nous jette un dernier regard assassin et l'aide à se lever avant de partir sans se retourner.

— Mes parents sont pas là samedi. Ça vous dit, une petite soirée tranquille ? propose Alban.

— Vas-y, invite Margaux qu'on rigole ! lancé-je sans quitter des yeux les jeunes filles qui me tournent le dos.

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